[Schmitt, Eric-Emmanuel] La nuit de feu

"- ... Ce qui constitue la beauté d'une bataille, ce n'est ni le succès ni la défaite, c'est la raison de la bataille."

"... l'essentiel: l'étonnement joyeux.
Sur terre, ce ne sont pas les occasions de s'émerveiller qui manquent, mais les émerveillés."

"«Peu de science éloigne de Dieu; beaucoup de science en rapproche.»"

"Une étoile filante glissa devant Orion. L'affolement s'accéléra. Mes tempes cuisaient. À quelle distance ce phénomène se produisait-il? Une distance qui me dépassait... Une distance qui me rendait petit, lamentable. J'étais englouti dans un coin de l'univers, un monde en expansion permanente, un cosmos de quatorze milliards d'années qui subsisterait au-delà de moi. Même ce que je voyais, qui me paraissait énorme, s'avérait minuscule: les planètes dissimulaient des planètes, les galaxies s'ajoutaient aux galaxies, des milliards de systèmes occupaient l'infini inaccessible. Je gisais, poussière au milieu de l'immense, futile poussière de matière, négligeable poussière de temps.
Mon cœur sauta dans ma poitrine. Je l'entendis taper à la porte de mon thorax. Il voulait fuir...
Qui suis-je? Une chandelle qui veille au sein des ténèbres et que le vent éteindra. Dérisoire! Pour l'instant, je peux crier «J'existe» mais mon affirmation s'enrobe de terreur car, hurlerais-je, mobiliserais-je en moi une fougue démentielle, je n'existerais pas toujours. Je ne suis qu'une seconde entre deux éternités, l'éternité d'avant moi, l'éternité d'après moi. Je ne suis qu'un bout de vie entre deux néants, le néant qui m'a précédé, le néant qui me succédera. Et si l'éternité me laisse tranquille, les deux néants, eux, me grignotent. Dire «Je suis», c'est dire «Je ne serai plus». Vivant n'a qu'un vrai synonyme: mortel. Ma grandeur devient mon indigence, ma force mon imperfection. Et la fierté se mêle à l'effroi.
Qui m'a mis ici, sur ce caillou rond? Dans quel but? Et pourquoi si brièvement?
Je ne suis pas rien, plutôt presque rien. Un «presque», voilà ma condition. Presque un être. Presque un néant. Ni l'un ni l'autre, mais une angoisse hybride.
L'univers déploie sa puissance sous mes yeux. Alors qu'il pourrait m'émerveiller, il m'écrase. Je suis cloué à vif. J'ai le vertige. Face à lui, je m'amenuise. Je suis; pourtant je suis promis à n'être rien. Je ne fais que passer. Mon existence se révèle finie, inscrite entre deux événements absurdes, ma naissance et ma mort. Une séparation m'attend, brutale, irrémédiable: séparation d'avec le monde, séparation d'avec mes proches, séparation d'avec moi. Rupture. Je n'ai qu'une certitude, celle de tout perdre.
Une voix, au fond de moi, ricane: «Réjouis-toi! Ta crainte de mourir constitue la preuve constante que tu es en vie! Tant que tu penses que tu ne seras rien, tu es encore. En revanche, lorsque tu ne le penseras plus...»
La mort, je n'arrive pas à l'imaginer. L'écroulement? Le noir? Le silence? Trop concrets... LE vide? Il faut du plein pour saisir le vide. L'arrêt du temps? Qu'est-ce que le temps quand il n'est pas vécu? ... Je l'ignore. Penser le rien, c'est ne rien penser. Aucune représentation ne se propose car pour se représenter quelque chose, on doit rester une conscience. Or je n'en serai plus une."

"Face au questionnement sur l'existence de Dieu, se présentent trois types d'individus honnêtes, le croyant qui dit: «Je ne sais pas mais je crois que oui», l'athée qui dit: «Je ne sais pas mais je crois que non», l'indifférent qui dit: «Je ne sais pas et je m'en moque».
L'escroquerie commence chez celui qui clame: «Je sais!» Qu'il affirme. «Je sais que Dieu existe» ou «Je sais que Dieu n'existe pas», il outrepasse les pouvoirs de la raison, il vire à l'intégrisme, intégrisme religieux ou intégrisme athée, prenant le chemin funeste du fanatisme et de ses horizons de mort. Les certitudes ne créent que des cadavres.

"... les amis de Dieu restent ceux qui Le cherchent, pas ceux qui parlent à Sa place en prétendant L'avoir trouvé."

"Nous devons reconnaître et cultiver notre ignorance. L'humanisme pacifique coûte ce prix-là. Tous, nous ne sommes frères qu'en ignorance, pas en croyance."

"... Dieu n'est pas Celui qui sauve les hommes mais Celui qui leur propose de penser à leur salut."