[Diop, David] La porte du voyage sans retour
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elea2020
lalyre
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[Diop, David] La porte du voyage sans retour
[Diop, David] La porte du voyage sans retour
[Diop, David]
La porte du voyage sans retour Editions Seuil 19 août 2021
2523 pages
Quatrième de couverture
La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs.
C’est dans ce qui est en 1750 une concession française qu’un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l’heure est aux Lumières. Lorsqu’il a vent de l’histoire d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes.
S’inspirant de la figure de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806), David Diop signe un roman éblouissant, évocation puissante d’un royaume où la parole est reine, odyssée bouleversante de deux êtres qui ne cessent de se rejoindre, de s’aimer et de se perdre, transmission d’un héritage d’un père à sa fille, destinataire ultime des carnets qui relatent ce voyage caché.
Mon avis
Dans ce roman nous plongeons dans le Sénégal du XVlllème siècle avec le narrateur Michel Adanson dont David Diop s’est inspiré pour écrire cette odyssée brillante. Nous sommes sur l’île de Gorée avec le naturaliste Adanson qui nous emmène découvrir des plantes, n’oublions pas que les habitants de cette île sont sous le joug français avec l’horreur de l’esclavage, hommes, femmes et enfants sont embarqués sur des navires négriers, nous lecteurs essayons d’imaginer la terreur et la souffrance de ces gens capturés, arrachés à leur terre natale comme des marchandises sous le prétexte qu’ils sont d’une infériorité naturelle alors qu’ils sont foulés aux pieds de ceux qui font de l’argent. Une histoire d’amour ou Adanson qui a retrouvé Maram, une jeune femme qui disparu volontairement, croit avoir trouvé la plus belle fleur de l’île, hélas Maram sera la victime des malheurs de cette terre africaine. Sans en dévoiler plus, cette histoire bouleversante est la confession faite à sa fille Aglaé par Adanson la veille de sa mort. Les thèmes sont nombreux, car à travers le récit écrit avec clarté et simplicité, l’auteur met le point sur la bassesse des profiteurs de ce commerce de la honte qu’est l’esclavage, les rites, les luttes entre différents royaumes du Sénégal, les corruptions, les viols et la violence faite aux noirs. Cependant on y lit aussi à travers les récits, les rites, les contes transmis de génération en génération. Un roman sublime et brillant qui ne se laissera pas oublier, que je recommande vivement….
La porte du voyage sans retour Editions Seuil 19 août 2021
2523 pages
Quatrième de couverture
La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs.
C’est dans ce qui est en 1750 une concession française qu’un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l’heure est aux Lumières. Lorsqu’il a vent de l’histoire d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes.
S’inspirant de la figure de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806), David Diop signe un roman éblouissant, évocation puissante d’un royaume où la parole est reine, odyssée bouleversante de deux êtres qui ne cessent de se rejoindre, de s’aimer et de se perdre, transmission d’un héritage d’un père à sa fille, destinataire ultime des carnets qui relatent ce voyage caché.
Mon avis
Dans ce roman nous plongeons dans le Sénégal du XVlllème siècle avec le narrateur Michel Adanson dont David Diop s’est inspiré pour écrire cette odyssée brillante. Nous sommes sur l’île de Gorée avec le naturaliste Adanson qui nous emmène découvrir des plantes, n’oublions pas que les habitants de cette île sont sous le joug français avec l’horreur de l’esclavage, hommes, femmes et enfants sont embarqués sur des navires négriers, nous lecteurs essayons d’imaginer la terreur et la souffrance de ces gens capturés, arrachés à leur terre natale comme des marchandises sous le prétexte qu’ils sont d’une infériorité naturelle alors qu’ils sont foulés aux pieds de ceux qui font de l’argent. Une histoire d’amour ou Adanson qui a retrouvé Maram, une jeune femme qui disparu volontairement, croit avoir trouvé la plus belle fleur de l’île, hélas Maram sera la victime des malheurs de cette terre africaine. Sans en dévoiler plus, cette histoire bouleversante est la confession faite à sa fille Aglaé par Adanson la veille de sa mort. Les thèmes sont nombreux, car à travers le récit écrit avec clarté et simplicité, l’auteur met le point sur la bassesse des profiteurs de ce commerce de la honte qu’est l’esclavage, les rites, les luttes entre différents royaumes du Sénégal, les corruptions, les viols et la violence faite aux noirs. Cependant on y lit aussi à travers les récits, les rites, les contes transmis de génération en génération. Un roman sublime et brillant qui ne se laissera pas oublier, que je recommande vivement….
lalyre- Grand sage du forum
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
Lu dans le cadre des Lectures Communes de novembre-décembre 2021, livre proposé par Cassiopée, avec Cassiopée, Lhoubi et Pistou :
Mon avis :
C’est presqu’un coup de coeur pour ce roman subtil et fort, qui adopte le point de vue d’un botaniste français en voyage au Sénégal, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, tout du moins lorsqu’il relate son aventure sénégalaise dans les carnets secrets légués indirectement à sa fille Aglaé, qu’il n’a pas su élever, mais avec qui il a renoué des contacts sur la fin de sa vie, puisqu’ils partagent une même passion pour les plantes.
C’est un voyage époustouflant que nous relate David Diop, par le truchement de ces carnets : arrivé tout d’abord au Sénégal pour recenser les espèces du pays et collecter des échantillons, Michel Adanson a pu parcourir la côte de Saint-Louis au Cap-Vert, et se rendre sur l’île de Gorée, d’où les esclaves étaient envoyés par voie maritime aux plantations des Antilles. Il a appris le wolof et, joyeux et de caractère sociable, n’a pas eu de mal à sympathiser, d’abord avec Ndiak, fils du roi du Waalo, qui devient un ami hautement fidèle et loyal, puis avec des villageois rencontrés sur le parcours de ses expéditions. Si le scientifique rationnel est blanc, il ne se sent pas identique à ces trafiquants d’esclaves, qui achètent ou raflent femmes et enfants, et font marché de vies humaines qui ne leur appartiennent pas. Le commerce triangulaire bat son plein et il n’est pas question d’exprimer la plus petite réserve quant au sort de ces populations déportées – car oui, quel autre mot employer, dans ces conditions effarantes d’inhumanité ? Du reste, David Diop nous révèle qu’une croyance courante dans son pays était que les Blancs envoyaient les « Nègres » (il emploie lui-même le terme) pour être abattus et mangés dans ces lointains pays dont l’on ne revient pas.
Or, Michel et Ndiak apprennent par hasard qu’une jeune fille, Mariam Seck, aurait échappé à ce destin tragique, et serait réfugiée dans le village de Ben, au Cap-Vert. Comment cela est-il seulement possible ? Ils n’en savent pas plus, mais sous couvert d’une mission officielle dirigée par la Concession du Sénégal, représentée à Saint-Louis par le peu recommandable Estoupan de la Brüe, ils se lancent sur ses traces, pour en apprendre plus. La vérité de l’histoire de Mariam, que Michel apprendra de sa bouche même, est inouïe et sa rage de vivre n’a pas fini de faire parler d’elle. En même temps qu’il l’écoute avec respect, sans jamais l’interrompre, Michel tombe éperdument amoureux d’elle, jusqu’à tenter de la sauver, à la porte du voyage sans retour, qui connaît bien des dimensions…
« De cette porte pour un voyage sans retour ils allaient, les yeux fixés sur l’infini de la souffrance » Jo Ndiaye (porte de la Maison des esclaves de l’île de Gorée)
On ne peut en dire plus, mais sachez qu’on ne revient pas indemne de ce voyage dans les images, les senteurs et la musicalité de l’Afrique : Mariam, c’est la femme aux prises avec le pouvoir de l’homme, dès son plus jeune âge, et c’est l’Afrique, le Sénégal tout entier, sa voix est celle des esclaves, du sort inhumain infligé à des hommes, des femmes, des enfants même – la voix de Michel est celle des compromissions qu’on accepte, d’une révolte impuissante qui ne fera que davantage de mal, la voix d’un monde dépassé, intoxiqué par son féroce appétit de domination, qui ne sait plus arrêter le mouvement, ni revenir de cet autre voyage sans retour, celui de l’exploitation de l’homme par l’homme. Quand avons-nous commencé ? Question plus urgente encore : comment en sortir ?
Le seul léger reproche que je formulerais est que David Diop prête à cet homme du XVIIIème siècle des pensées de notre époque post-colonialiste. Ainsi, les idées qu’il se formule sur les possibilités d’un mariage entre lui et Mariam, alors qu’il s’inquiète de l’intolérance potentielle de son environnement social, en France, et aborde le risque de vouloir « blanchir » celle qu’il aime. Ce sont des réflexions importantes, mais beaucoup plus actuelles que l’époque du récit, de même que les considérations sur la femme victime du pouvoir masculin, l’inceste… Et pourtant, il est important d’en parler, mais peut-être pas à travers un personnage de cette époque, certes des Lumières, mais pas si avancée sur ces points-là. Il faudra encore bien du temps, à supposer qu’un retour soit possible. Oui, je vous préviens, si la plume de l’auteur est envoûtante, elle ouvre des portes sur des recoins bien sombres, et n’engendre pas une vision souriante de l’humanité, même bien intentionnée et tolérante. Saurons-nous au moins écouter l’histoire des esclaves par leurs descendants, sans interférer ou nous l’approprier ? Saurons-nous nous en tenir à la question qui revient à nos cultures : qu’en reste-t-il, quelles racines sont encore à extirper, de ce mal abject qu’est le racisme ?
Citations :
Aglaé s’imaginait que n’étaient pas appréciés dans ce milieu les êtres qui, comme son père, plaçaient l’honnêteté et la justice au-dessus de tout, incapables de transiger sur leurs principes, pas même pour en faire le sacrifice à leurs amis. (page 33)
Mais, loin de m’affliger, l’idée que je n’étais qu’un grain de sable dans le désert ou qu’une goutte d’eau dans l’océan m’exalta. Mon esprit avait le pouvoir de situer ma place, si infime soit-elle, dans ces immensités. La conscience de mes limites m’ouvrait l’infini. J’étais une poussière pensante capable d’intuitions sans bornes, aux dimensions de l’univers. (page 63)
Mais la folie des rois de ce pays, comme de ceux du monde entier, ne leur fait pas perdre de vue qu’ils ont intérêt à nourrir leurs peuples, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à régner sur des vivants. Comme Ndiak me le disait sentencieusement à ce sujet, en clignant des deux paupières, l’index de la main droite levée :
- Les morts ne paient pas de mine, ne paient pas de leur personne et ne paient pas d’impôts. Ils ne sont donc d’aucun intérêt pour les rois. (page 78-79)
Je ne croyais pas à ces mômeries. Mais elles me révélaient que partout où les hommes entendent conserver le pouvoir, ils trouvent toujours des stratagèmes pour inspirer une crainte sacrée à leurs inférieurs. Associée à leur suprématie, la terreur qu’ils inspirent est proportionnelle à leur peur de perdre leur domination. Plus celle-ci est grande, plus celle-là est terrible. (page 97-98)
Grâce à l’art, nous arrivons parfois à entrouvrir une porte dérobée donnant sur la part la plus obscure de notre être, aussi noire que le fond d’un cachot. Et, une fois cette porte grande ouverte, les recoins de notre âme sont si bien éclairés par la lumière qu’elle laisse passer, qu’aucun mensonge sur nous-même ne trouve plus la moindre parcelle d’ombre où se réfugier, comme lorsque brille un soleil d’Afrique à son zénith. (page 248-249)
Mon avis :
C’est presqu’un coup de coeur pour ce roman subtil et fort, qui adopte le point de vue d’un botaniste français en voyage au Sénégal, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, tout du moins lorsqu’il relate son aventure sénégalaise dans les carnets secrets légués indirectement à sa fille Aglaé, qu’il n’a pas su élever, mais avec qui il a renoué des contacts sur la fin de sa vie, puisqu’ils partagent une même passion pour les plantes.
C’est un voyage époustouflant que nous relate David Diop, par le truchement de ces carnets : arrivé tout d’abord au Sénégal pour recenser les espèces du pays et collecter des échantillons, Michel Adanson a pu parcourir la côte de Saint-Louis au Cap-Vert, et se rendre sur l’île de Gorée, d’où les esclaves étaient envoyés par voie maritime aux plantations des Antilles. Il a appris le wolof et, joyeux et de caractère sociable, n’a pas eu de mal à sympathiser, d’abord avec Ndiak, fils du roi du Waalo, qui devient un ami hautement fidèle et loyal, puis avec des villageois rencontrés sur le parcours de ses expéditions. Si le scientifique rationnel est blanc, il ne se sent pas identique à ces trafiquants d’esclaves, qui achètent ou raflent femmes et enfants, et font marché de vies humaines qui ne leur appartiennent pas. Le commerce triangulaire bat son plein et il n’est pas question d’exprimer la plus petite réserve quant au sort de ces populations déportées – car oui, quel autre mot employer, dans ces conditions effarantes d’inhumanité ? Du reste, David Diop nous révèle qu’une croyance courante dans son pays était que les Blancs envoyaient les « Nègres » (il emploie lui-même le terme) pour être abattus et mangés dans ces lointains pays dont l’on ne revient pas.
Or, Michel et Ndiak apprennent par hasard qu’une jeune fille, Mariam Seck, aurait échappé à ce destin tragique, et serait réfugiée dans le village de Ben, au Cap-Vert. Comment cela est-il seulement possible ? Ils n’en savent pas plus, mais sous couvert d’une mission officielle dirigée par la Concession du Sénégal, représentée à Saint-Louis par le peu recommandable Estoupan de la Brüe, ils se lancent sur ses traces, pour en apprendre plus. La vérité de l’histoire de Mariam, que Michel apprendra de sa bouche même, est inouïe et sa rage de vivre n’a pas fini de faire parler d’elle. En même temps qu’il l’écoute avec respect, sans jamais l’interrompre, Michel tombe éperdument amoureux d’elle, jusqu’à tenter de la sauver, à la porte du voyage sans retour, qui connaît bien des dimensions…
« De cette porte pour un voyage sans retour ils allaient, les yeux fixés sur l’infini de la souffrance » Jo Ndiaye (porte de la Maison des esclaves de l’île de Gorée)
On ne peut en dire plus, mais sachez qu’on ne revient pas indemne de ce voyage dans les images, les senteurs et la musicalité de l’Afrique : Mariam, c’est la femme aux prises avec le pouvoir de l’homme, dès son plus jeune âge, et c’est l’Afrique, le Sénégal tout entier, sa voix est celle des esclaves, du sort inhumain infligé à des hommes, des femmes, des enfants même – la voix de Michel est celle des compromissions qu’on accepte, d’une révolte impuissante qui ne fera que davantage de mal, la voix d’un monde dépassé, intoxiqué par son féroce appétit de domination, qui ne sait plus arrêter le mouvement, ni revenir de cet autre voyage sans retour, celui de l’exploitation de l’homme par l’homme. Quand avons-nous commencé ? Question plus urgente encore : comment en sortir ?
Le seul léger reproche que je formulerais est que David Diop prête à cet homme du XVIIIème siècle des pensées de notre époque post-colonialiste. Ainsi, les idées qu’il se formule sur les possibilités d’un mariage entre lui et Mariam, alors qu’il s’inquiète de l’intolérance potentielle de son environnement social, en France, et aborde le risque de vouloir « blanchir » celle qu’il aime. Ce sont des réflexions importantes, mais beaucoup plus actuelles que l’époque du récit, de même que les considérations sur la femme victime du pouvoir masculin, l’inceste… Et pourtant, il est important d’en parler, mais peut-être pas à travers un personnage de cette époque, certes des Lumières, mais pas si avancée sur ces points-là. Il faudra encore bien du temps, à supposer qu’un retour soit possible. Oui, je vous préviens, si la plume de l’auteur est envoûtante, elle ouvre des portes sur des recoins bien sombres, et n’engendre pas une vision souriante de l’humanité, même bien intentionnée et tolérante. Saurons-nous au moins écouter l’histoire des esclaves par leurs descendants, sans interférer ou nous l’approprier ? Saurons-nous nous en tenir à la question qui revient à nos cultures : qu’en reste-t-il, quelles racines sont encore à extirper, de ce mal abject qu’est le racisme ?
Citations :
Aglaé s’imaginait que n’étaient pas appréciés dans ce milieu les êtres qui, comme son père, plaçaient l’honnêteté et la justice au-dessus de tout, incapables de transiger sur leurs principes, pas même pour en faire le sacrifice à leurs amis. (page 33)
Mais, loin de m’affliger, l’idée que je n’étais qu’un grain de sable dans le désert ou qu’une goutte d’eau dans l’océan m’exalta. Mon esprit avait le pouvoir de situer ma place, si infime soit-elle, dans ces immensités. La conscience de mes limites m’ouvrait l’infini. J’étais une poussière pensante capable d’intuitions sans bornes, aux dimensions de l’univers. (page 63)
Mais la folie des rois de ce pays, comme de ceux du monde entier, ne leur fait pas perdre de vue qu’ils ont intérêt à nourrir leurs peuples, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à régner sur des vivants. Comme Ndiak me le disait sentencieusement à ce sujet, en clignant des deux paupières, l’index de la main droite levée :
- Les morts ne paient pas de mine, ne paient pas de leur personne et ne paient pas d’impôts. Ils ne sont donc d’aucun intérêt pour les rois. (page 78-79)
Je ne croyais pas à ces mômeries. Mais elles me révélaient que partout où les hommes entendent conserver le pouvoir, ils trouvent toujours des stratagèmes pour inspirer une crainte sacrée à leurs inférieurs. Associée à leur suprématie, la terreur qu’ils inspirent est proportionnelle à leur peur de perdre leur domination. Plus celle-ci est grande, plus celle-là est terrible. (page 97-98)
Grâce à l’art, nous arrivons parfois à entrouvrir une porte dérobée donnant sur la part la plus obscure de notre être, aussi noire que le fond d’un cachot. Et, une fois cette porte grande ouverte, les recoins de notre âme sont si bien éclairés par la lumière qu’elle laisse passer, qu’aucun mensonge sur nous-même ne trouve plus la moindre parcelle d’ombre où se réfugier, comme lorsque brille un soleil d’Afrique à son zénith. (page 248-249)
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
Lu dans le cadre des Lectures Communes de novembre-décembre 2021 avec Eléa, Lhoubi et Pistou
Mon avis
Inspiré par les vrais carnets de voyage de Michel Adanson (1727-1806), un botaniste qui consacra sa vie à constituer une volumineuse encyclopédie, David Diop nous emmène au Sénégal en se mettant dans la peau et l’esprit du scientifique.
C’est Aglaé, la fille de Michel, qui découvre après le décès de son père, un carnet de voyage où il raconte sa jeunesse et son amour pour Maram, une jeune femme sénégalaise vendue pour être esclave.
Venu dans le pays pour observer les plantes, il a appris à connaître, à comprendre, une population bien différente de celle qu’il côtoyait en France.
Avec ces écrits, Aglaé voit une autre facette de son père, plus humain, sentimental, secret, prêt à tout pour celle qui l’a d’abord intrigué avant d’emplir son cœur.
L’écriture de l’auteur est lumineuse, délicate, posée comme celle d’un homme de l’époque évoquée. Mais un homme qui porte la poésie en lui. Les scènes, les paysages, les conversations, tout est rédigé, retranscrit avec finesse.
Il faut se laisser entraîner dans cet univers. On y arrive sur la pointe des pieds et on en ressort le cœur meurtri devant tant de mépris des blancs pour les « nègres », tant d’injustice, de mauvaise foi mais aussi tant d’amour de la part de ceux qui croient qu’il est encore possible d’agir, même des années après pour adoucir la vie de ceux qui ont souffert….
Le seul bémol que je mettrai, c’est que certaines réflexions ne sont pas, pour moi, en lien avec ce qui se pensait au XVIII -ème siècle. Je ne suis pas persuadée que les personnes avaient, à ce moment-là, un tel recul sur les situations vécues. Il n’en reste pas moins que c’était important d’en parler et que je ne sais pas comment l’auteur aurait pu évoquer de tels thèmes d’une autre façon.
Mon avis
Inspiré par les vrais carnets de voyage de Michel Adanson (1727-1806), un botaniste qui consacra sa vie à constituer une volumineuse encyclopédie, David Diop nous emmène au Sénégal en se mettant dans la peau et l’esprit du scientifique.
C’est Aglaé, la fille de Michel, qui découvre après le décès de son père, un carnet de voyage où il raconte sa jeunesse et son amour pour Maram, une jeune femme sénégalaise vendue pour être esclave.
Venu dans le pays pour observer les plantes, il a appris à connaître, à comprendre, une population bien différente de celle qu’il côtoyait en France.
Avec ces écrits, Aglaé voit une autre facette de son père, plus humain, sentimental, secret, prêt à tout pour celle qui l’a d’abord intrigué avant d’emplir son cœur.
L’écriture de l’auteur est lumineuse, délicate, posée comme celle d’un homme de l’époque évoquée. Mais un homme qui porte la poésie en lui. Les scènes, les paysages, les conversations, tout est rédigé, retranscrit avec finesse.
Il faut se laisser entraîner dans cet univers. On y arrive sur la pointe des pieds et on en ressort le cœur meurtri devant tant de mépris des blancs pour les « nègres », tant d’injustice, de mauvaise foi mais aussi tant d’amour de la part de ceux qui croient qu’il est encore possible d’agir, même des années après pour adoucir la vie de ceux qui ont souffert….
Le seul bémol que je mettrai, c’est que certaines réflexions ne sont pas, pour moi, en lien avec ce qui se pensait au XVIII -ème siècle. Je ne suis pas persuadée que les personnes avaient, à ce moment-là, un tel recul sur les situations vécues. Il n’en reste pas moins que c’était important d’en parler et que je ne sais pas comment l’auteur aurait pu évoquer de tels thèmes d’une autre façon.
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Cassiopée- Admin
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
On a ressenti le même bémol, Eléa !
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Cassiopée- Admin
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
Cassiopée a écrit:On a ressenti le même bémol, Eléa !
Oui, c'est vrai ! Et j'adhère totalement aussi à ces phrases, que je trouve belles :
"Il faut se laisser entraîner dans cet univers. On y arrive sur la pointe des pieds et on en ressort le cœur meurtri devant tant de mépris des blancs pour les « nègres », tant d’injustice, de mauvaise foi mais aussi tant d’amour de la part de ceux qui croient qu’il est encore possible d’agir, même des années après pour adoucir la vie de ceux qui ont souffert…."
Ce roman m'a littéralement brisé le coeur, j'ai mis une bonne semaine à m'en remettre.
- Spoiler:
- L'oubli, la "trahison" de Michel envers le souvenir de Mariam m'a aussi désolée, elle ne méritait pas ça.
elea2020- Grand sage du forum
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Cassiopée- Admin
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
Coup de coeur pour moi. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi fort, ouvert. Un regard sans équivoque et sans faux-semblant sur notre passé. Très belle histoire, très beau livre !
Pistou 117- Grand sage du forum
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
C'est noté Pistou. Merci!
Moulin-à-Vent- Grand sage du forum
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Re: [Diop, David] La porte du voyage sans retour
Au milieu du XVIIIe siècle, le naturaliste Michel Andanson choisit, pour ses explorations, de se rendre dans une région d’Afrique alors encore très mal connue des Européens : le Sénégal. Il y passa cinq ans, comme modeste commis de la Compagnie des Indes, et en ramena quantité d’observations géographiques et ethnologiques, ainsi que d’importantes collections botaniques et ornithologiques. Ruiné par l’insuccès de ses publications à son retour de voyage, il élabora avec Jussieu une nouvelle méthode de classification des végétaux, et se lança dans un gigantesque projet d’encyclopédie, qui ne fut jamais publiée. Il mourut dans le dénuement, léguant à sa fille Aglaé sa passion pour les plantes et une montagne de manuscrits. Et aussi - mais là c’est l’imagination de David Diop qui prend le relais -, des carnets relatant une version beaucoup plus intime de son expérience sénégalaise.
Ressuscitant le botaniste sous les traits d’un jeune homme ouvert et curieux, que ses explorations amènent à remettre peu à peu en cause les préjugés raciaux de ses semblables, au fur et à mesure qu’il se familiarise avec la langue, les traditions et les croyances, enfin le rapport au monde des Sénégalais, l’auteur nous entraîne dans un fascinant et dépaysant récit d’aventures, bientôt tendu par le mystère d’une disparition et d’une quête. Car, nous voilà bientôt sur les traces d’une jeune Africaine, évadée aux abords de l’île de Gorée, alors que, promise à l’esclavage, elle devait, comme des millions d’autres au temps de la traite des Noirs, y franchir « la porte du voyage sans retour ». Fasciné par la légende qui s’est aussitôt emparée du destin de cette fille devenue héroïne pour les uns, gibier pour les autres, notre narrateur laisse un temps de côté la flore pour s’intéresser à cette Maram, sans se douter que les développements romanesques de cette aventure le marqueront à jamais.
Romanesque, l’histoire de Michel et de Maram l’est absolument. C’est en vérité pour n’en revêtir qu’avec plus de force une dimension résolument symbolique et éminemment poétique. Ce jeune Français, qui, animé par l’esprit des Lumières, s’avère capable de raisonner à contre-courant des préjugés de son époque pour apprendre à connaître et à respecter un autre mode de rapport au monde, et qui, pourtant, échoue, comme Orphée, à sauver Eurydice de la mort et des Enfers, et, de retour en France, s’empresse d’oublier le changement de mentalité entamé lors de son voyage pour épouser à nouveau sans réserve les plus purs principes matérialistes, illustre tristement ce que les liens entre l’Europe et l’Afrique auraient pu devenir, loin de toute relation d’assujettissement, si l’appât du gain avait cessé un temps de les dénaturer.
Finalement rattrapé par l’inanité de ses ambitions et de ses tentatives encyclopédiques de maîtriser le monde, le personnage principal prend conscience, sur le tard, de ses erreurs et de ses ambiguïtés. Trop tard, hélas, pour les victimes de l’esclavage, et pour le mal et la souffrance terriblement infligés. Mais pour mettre en mots, transmettre la mémoire, et, peut-être, espérer, un jour, un avenir plus humain entre Afrique et Occident. (4/5)
Ressuscitant le botaniste sous les traits d’un jeune homme ouvert et curieux, que ses explorations amènent à remettre peu à peu en cause les préjugés raciaux de ses semblables, au fur et à mesure qu’il se familiarise avec la langue, les traditions et les croyances, enfin le rapport au monde des Sénégalais, l’auteur nous entraîne dans un fascinant et dépaysant récit d’aventures, bientôt tendu par le mystère d’une disparition et d’une quête. Car, nous voilà bientôt sur les traces d’une jeune Africaine, évadée aux abords de l’île de Gorée, alors que, promise à l’esclavage, elle devait, comme des millions d’autres au temps de la traite des Noirs, y franchir « la porte du voyage sans retour ». Fasciné par la légende qui s’est aussitôt emparée du destin de cette fille devenue héroïne pour les uns, gibier pour les autres, notre narrateur laisse un temps de côté la flore pour s’intéresser à cette Maram, sans se douter que les développements romanesques de cette aventure le marqueront à jamais.
Romanesque, l’histoire de Michel et de Maram l’est absolument. C’est en vérité pour n’en revêtir qu’avec plus de force une dimension résolument symbolique et éminemment poétique. Ce jeune Français, qui, animé par l’esprit des Lumières, s’avère capable de raisonner à contre-courant des préjugés de son époque pour apprendre à connaître et à respecter un autre mode de rapport au monde, et qui, pourtant, échoue, comme Orphée, à sauver Eurydice de la mort et des Enfers, et, de retour en France, s’empresse d’oublier le changement de mentalité entamé lors de son voyage pour épouser à nouveau sans réserve les plus purs principes matérialistes, illustre tristement ce que les liens entre l’Europe et l’Afrique auraient pu devenir, loin de toute relation d’assujettissement, si l’appât du gain avait cessé un temps de les dénaturer.
Finalement rattrapé par l’inanité de ses ambitions et de ses tentatives encyclopédiques de maîtriser le monde, le personnage principal prend conscience, sur le tard, de ses erreurs et de ses ambiguïtés. Trop tard, hélas, pour les victimes de l’esclavage, et pour le mal et la souffrance terriblement infligés. Mais pour mettre en mots, transmettre la mémoire, et, peut-être, espérer, un jour, un avenir plus humain entre Afrique et Occident. (4/5)
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