[Daeninckx, Didier] Leurre de vérité et autres nouvelles

Résumé de couverture :
Journalistes, présentateurs, animateurs, acteurs, candidats de jeux télévisés, gens ordinaires tirés de l'anonymat par une caméra indiscrète ou prêts à tout pour être filmés, la télévision a bouleversé leur vie, le petit écran a fait irruption dans leur quotidien.
Didier Daeninckx zappe de chaîne en chaîne avec férocité et humour pour décrire les usages et les abus d'une télévision qui n'est que le reflet de notre société...

Mon avis :
Ce recueil de nouvelles de Didier Daeninckx est pour moi l'occasion de rattraper une lecture de cet auteur que j'ai peu lu, de par son appartenance au genre policier ; toutefois, c'est un auteur dont je trouvais souvent des extraits dans les manuels scolaires. Le livre compte neuf nouvelles, toutes liées à un moment donné aux médias, et notamment à la télévision. Il est souvent question d'émissions de divertissement et de jeux télé, domaine qui semble avoir inspiré Daeninckx comme un concentré de bêtise, de veulerie et de manipulation.

L'aspect social est mis en avant, d'abord parce que le panel de participants, comprenez personnages des nouvelles, est très varié : outre le personnel des émissions, on y rencontre des candidats sportifs, des touristes, des cambrioleurs, des familles, des jeunes en manque de sensations, une humanité bien imparfaite, mais pour laquelle on sent que l'auteur a plus de tendresse. À l'inverse, la sévérité est de mise pour les journalistes qui savent qu'ils n'en sont pas vraiment, les bobos qui écument les cinémas de quartier ou les expositions dont on parle, enfin toutes ces compromissions politiques qui leur permettent de rester en place.

Le rôle de la télévision est vu sous le prisme d'un réalisme sans concession, parfois sous un angle de légère anticipation - de manière peu rassurante. L'influence du média télévisuel peut aller jusqu'au crime, c'est le cas dans plusieurs nouvelles, ou encore jusqu'à la trahison, la vénalité, le mensonge. Le monde de ces nouvelles est un peu daté, puisque le Minitel y règne encore, sans internet, mais certaines questions politiques et sociales d'aujourd'hui y trouvent un écho : montée de l'extrême-droite et complaisance des journalistes, question des banlieues, complotisme... On n'oublie pas non plus que l'auteur est engagé à gauche, proche du communisme puis de l'extrême-gauche.

J'ai lu ces nouvelles avec intérêt, l'auteur a un certain talent dans la description de lieux habituellement considérés comme laids ou inintéressants, les dialogues sont vrais, cela sonne juste. Mais, c'est un peu selon moi le problème du réalisme contemporain, c'est vite obsolète et dépassé. 3,5/5

Citations :
Je pianotai "Michèle Teiffer" sur le Minitel de démonstration puis "Strasbourg". La machine afficha la phrase rituelle : aucun abonné ne répondait à ce nom dans la localité choisie. Je tentai ma chance dans les banlieues proches, à Neudorf, à Robertsau, à Cronenbourg, sans plus de résultat. Je bus un bock dans une auberge au toit crénelé. Des dockers s'y noyaient dans la bière. La lumière crue des néons sur les tentures vertes momifiait les visages.
"Santé à la une", page 28.

Le laser projetait l'ombre démultipliée des silhouettes sur ces écrans gigantesques. King-Kong grimpait au flanc de la tour Joachim-du-Bellay (ex-tour Éluard), tandis que Superman semblait soulever la barre Paul-Déroulède (ex-barre Jean-Ristat) et que Zorro griffait la façade du centre d'animation culturelle Alphonse-de-Lamartine (ex-cac Aragon). Le groupe de rap de l'École de maçonnerie industrielle, salopettes orange, pompes de sécurité, casques de chantier, prit possession de la scène et installa en moins d'un quart d'heure les instruments marqués d'un logo scintillant composé des trois initiales mêlées de son nom : B.T.P. Les médias, les officiels, traduisaient Bâtiments Travaux Publics, la meute qui suivait le groupe de concert en concert se chargeait d'écrire le sous-titre : "Baise Ton Père".
"Rodéo d'or", page 42.

Leur bâtiment, de construction trop ancienne, ne comportait pas de "cynonette", ces pièces auto-nettoyantes qui équipaient maintenant les appartements des familles tenues de posséder un animal. Félix s'empressa de refiler la corvée à son fils qui ne pouvait plus se retourner vers personne. Joël retrouva la laisse sous un paquet de vieux journaux et la passa au cou du cabot dont l'existence s'était resserrée comme une noix autour de sa vessie.
"Poursuite triviale", page 77.

Béatrice tenta de protester, arguant que le blond n'était pas, à proprement parler, une couleur mais plutôt une teinte de cheveux. Le public commença à siffler. Une bonne moitié de ceux qui étaient censés soutenir les Bessonac avaient d'ores et déjà rejoint le camp des Mortier. Se sentant soutenue Mauricette rabroua Béatrice.
- Parce que pour Madame, une teinte c'est pas une couleur...
Elle leva les bras à la manière d'un coureur chanceux pour répondre aux applaudissements. Joker trancha dans le vif en rappelant que le jeu consistait à retrouver les choix statistiques des Français et qu'il fallait se conformer à leur jugement même si, parfois, cela pouvait sembler surprenant.
"Une famille de merde", page 89.

L'autre ne s'était pas contenté de refuser. Ses paroles avaient hanté chaque seconde de la dernière nuit.
- Vous êtes bien tous les mêmes, toujours à vous faire plaindre, et dès que ça devient sérieux, les premiers à prendre la tangente...
"Leurre de vérité", page 104.