[Godbout, Jacques] Salut Galarneau!
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[Godbout, Jacques] Salut Galarneau!
(Godbout, Jacques) Salut Galarneau!
Édition: Seuil
JACQUES GODBOUT, Salut Galarneau, Paris, Éditions
du Seuil, 1967, 155 p.
Galarneau, c'est le nom qu'on donne au soleil dans certaines
régions du Québec. Peu importe l'origine de cette coutume fantaisiste.
Salut Galarneau est le titre chaleureux d'un roman qui
raconte simplement le bonheur et le malheur de vivre, d'écrire,
de vécrire sous le soleil d'ici.
Le héros, qui dit je, s'appelle aussi Galarneau. Poète, il
se raconte à lui-même sa propre vie en vendant des hot dogs et
des hamburgers dans un vieil autobus baptisé Au roi du hot dog.
Il vient d'une famille attachante qui ne demandait, somme toute,
qu'à lui donner une bonne éducation pourvu qu'il fût docile.
Mais Galarneau n'est pas docile et se conduit en mouton noir
dans toutes les sociétés. Après la mort de son père, et malgré
les encouragements de ses frères, il fuit l'école qui lui est devenue
insupportable. Il se marie puis s'empresse de quitter sa femme,
la famille de sa femme, le nid trop douillet et le travail trop
facile qu'il avait trouvé à Lévis, sa ville d'adoption. De retour
à Montréal, il découvre simultanément les joies de la réussite en
affaires, de l'amour et de la création littéraire: son commerce
est florissant, Marise, sa nouvelle femme, ne fait pas d'histoires
et ses cahiers s'écrivent tout seuls. Puis il perd tout une fois de
plus, femme, frères, amis, clients, sauf ses cahiers et le don
d'y vécrire ses rêves. Abandonnant son travail au snack bar,
Galarneau fait ériger un mur derrière lequel il achève de composer
son livre. Il demeure ainsi emmuré jusqu'à « ce midi
dix-huit octobre » où il décide de renaître en saluant le soleil et
l'avenir. Dès ce jour-là, Galarneau sautera le mur pour aller
boire avec les amis et donner son livre à lire.
Galarneau écrit comme il vit, avec une parfaite désinvolture.
Tout lui est prétexte à invention: la langue de tous les
jours, celle d'ici, ses souvenirs de lecture, les slogans publicitaires,
les anglicismes, les jurons mêmes. Que l'ensemble échappe
à la fois au snobisme et à la vulgarité, au banal et à l'artificiel,
tel est le secret d'un équilibre qu'on appelait autrefois le style.
Les dialogues, avec ce qu'ils exigent de vérité et de stylisation,
me paraissent particulièrement réussis. Pour Galarneau, la joie
de vivre est d'abord la joie d'écrire et le premier bonheur de ce
texte est celui de l'écriture.
Dire que Salut Galarneau est un roman gai peut sembler
paradoxal puisque le héros accumule les échecs et que la tristesse,
celle qui inspire les meilleures comédies, veille et rend témoignage,
à la façon de Martyr, le vieux cheval qui se meurt,
attaché à un arbre. Pourtant, Galarneau-le-soleil vient réchauffer
Martyr et la verve de Galarneau-le-poète scintille de gaieté.
Le personnage type de l'orphelin mal aimé aurait-il enfin trouvé
père et mère? Jacques Godbout renouvelle les images de parents
terribles qui hantent notre littérature. Ceux-ci étaient égoïstes
et malheureux ; ceux-là demeurent égoïstes mais découvrent, plus
ou moins timidement, le bonheur d'agir selon leur nature : le père
s'amuse à voguer sur son bateau en compagnie de femmes faciles ;
la mère s'amuse à manger des chocolats, à lire des romans, à
voyager ; les grands frères s'amusent à réussir tout ce qu'ils font.
Pour Jacques, le fils aîné des Galarneau, la vie est « une grande
partie de bowling, avec dix quilles à terre, les yeux fermés »
(p. 15). Et François a beau dire que pour lui, c'est «plutôt le
dalot, les yeux ouverts •» (p. 15), il connaît le plaisir de se créer
un destin personnel : « l'avantage, quand tu vécris, c'est que
c'est toi le patron » (p. 154). Il y a chez Galarneau une fierté,
une audace, une désinvolture dans la façon d'exister qui exorcisent
le néant qui a fasciné, par le passé, tant de nos héros de la
conscience.
Depuis le Denis Boucher de Lemelin jusqu'au Jean-le-
Maigre de Marie-Claire Biais, le personnage du mal loti qui
trouve un salut dans la création littéraire a considérablement
évolué. Il se prend moins au sérieux et ne rit plus contre luimême.
Galarneau est un Fridolin qui aurait appris à parler et
dont le rire, si triste qu'il demeure, possède une richesse qui est
déjà une victoire.
N. D.
Cette chronique a été signée en mai 1968 par:
Gilles BIBEAU, Monique Bosco, Roch CARRIER, Claude DANSEREAU,
Nicole DESCHAMPS, Jean-Cléo GODIN, G.-André VACHON.
Mon appréciation
Écrit en 1967, ce petit roman esquisse les grands problèmes du Québec à cette période, soit la suprématie anglaise dans les grandes sociétés et conseils d'administration, la suprématie du clergé, suprématie qui s'étiole lentement dans les grandes villes, et la suprématie du Ministère de l'Éducation qui préconise une instruction "prèt-à-porter".
Enfin, la très grande difficulté d'un québécois français de la classe moyenne ou pauvre de se réaliser pleinement dans la vie. Pour ce québécois, avant 1967, il ne semblait exister que trois solutions:
- s'expatrier en France;
- s'angliciser;
- accepter son sort.
Ces problèmes sont-ils désormais réglés? Il reste encore et toujours de grandes étapes à franchir.
Ma cote: 12/20.
Citations:
«... je suis une victime de l'instruction obligatoire, et ça doit jouer dans mon histoire. Pas d'instruction, pas d'ennuis, parce que, quand on est instruit, on veut comprendre, on rêve, on fait des plans, on lit, on est malheureux, on est inquiet. Les sacrements. L'instruction obligatoire, c'est une idée de bourgeois, une idée de gens riches qui s'emmerdaient à se poser tout seuls des questions, sans toujours trouver la réponse. Les autres -dont j'avais été il n'y a pas cent ans- pouvaient jouir innocemment, merveilleusement de la vie. Ils se sont dit, les riches, obligeons les pauvres à savoir lire, écrire, compter, parler latin, à apprendre le cosinus et le sinus d'un angle, qu'est-ce qu'une presqu'île, à quoi doit servir le manganèse, si le monde est en expansion et notre système solaire l'un des plus petits du cosmos, où se situe l'enfer, quelles sont les cinq grandes races et qu'avez-vous fait des peaux-rouges, stie de sauvages, comment l'industrialisation s'est-elle implantée en Californie? Prenez votre règle à calcul: si deux hommes quittent le point petit b à bord, disons, d'un véhicule gris que nous appellerons x et a une vitesse y, le berceau de la civilisation occidentale a-t-il été témoin des chants asiatiques? puisque l'atome se subdivise en protons et en neutrons et que ceux-ci par ailleurs, qu'arrive-t-il si deux lapins aux yeux bleus et dix lapines dont le caractère récessif serait du poil long... Les gens instruits savaient ce qu'ils faisaient. Partageons les fardeaux lourds à porter: ce n'est pas une raison pour partager l'argent.»
(Godbout, Jacques: Salut Galarneau!)
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