[Lemaitre, Pierre] Robe de marié

En résumé.
Pour les 250 premières pages : E-pous-tou-flant.
Pour les 20 dernières : Quoi, c’est tout ?! C’est une blague ?!

Je me suis rapidement laissée happer par l’écriture de Pierre Lemaitre, rapide, nerveuse, comme haletante, qui retranscrit avec un réalisme savant la peur de la victime, l’excitation du bourreau. La lecture est facile, sans pour autant donner cette impression de bâclé qui entache souvent les styles simples. On sent au contraire que chaque phrase a été pesée, soupesée, allégée pour aller droit au but, sans fioritures inutiles, et frapper le lecteur au cœur.
L’intrigue est extrêmement bien menée, misant sur les gros rebondissements plutôt que sur les petites surprises, tout en conservant sa cohérence. Un vrai travail de professionnel. D’autant que, pour ne pas déroger à mes habitudes, je n’avais jeté qu’un coup d’œil discret à la quatrième de couverture. L’enchaînement des parties «Sophie» et «Frantz» a donc été une surprise totale, un véritable choc.
Quant aux personnages, il est étonnant de constater à quel point l’auteur a su leur insuffler une véritable humanité. Qu’il s’agisse de Sophie, capable de tendresse autant que de froide manipulation, ou de Frantz, à la fois féroce et vulnérable, ils ne se départissent jamais de leur ambivalence, ce qui les rend aussi attachants l’un que l’autre. D’autant plus remarquable que les deux premières parties les décrivent comme des meurtriers multirécidivistes...

Malheureusement, après toutes ces fleurs, il est temps d’en venir aux vingt dernières pages qui ont été pour moi une énorme déception. Après avoir consacré 250 pages à nous décrire des personnages, à leur donner une réalité, un caractère bien affirmé et bien défini, l’auteur semble soudain jeter tout ça aux chiens pour se trouver une fin rapide et commode.

Je spoile, bien sûr : ce n’est pas parce que j’ai été déçue qu’il faut me venger sur les autres en leur révélant la fin. Ils n’y sont pour rien, les autres .

Spoiler:

Ce qui nous fait :

• 9,5/10 pour les 250 premières pages
  
• 2/10 pour les 20 dernières (et encore, c’est bien payé)

Soit (approximativement et en sachant que les dernières pages comptent double, voire triple, voire plus)

En quatre romans : Travail soigné, Robe de marié, Cadres noirs, Alex, Pierre Lemaitre s’est imposé comme un grand auteur de suspense. Robe de marié vient de sortir en livre de poche, et pour 6,50 € il serait franchement dommage de vous en priver !

L’histoire de Robe de marié est celle d'une folie et d’une double vengeance. Inutile ici de chercher le gore, le racoleur, les tortures physiques raffinées avec le tueur en série halluciné dont l’imagination pour faire souffrir ses victimes est sans limite : rien de tout ça chez Pierre Lemaitre, dont l’écriture est raffinée, précise, sans fioriture, presque sèche. Il suffit d’ailleurs de lire les premières lignes du roman, où il nous présente son héroïne Sophie pour la première fois, pour se faire une idée précise de son style et de son talent :

« Ce matin là, comme beaucoup d’autres, elle s’est réveillée en larmes et la gorge nouée alors qu’elle n’a pas de raison particulière de s’inquiéter. Dans sa vie, les larmes n’ont rien d’exceptionnel : elle pleure toutes les nuits depuis qu’elle est folle. Le matin, si elle ne sentait pas ses joues noyées, elle pourrait même penser que ses nuits sont paisibles et son sommeil profond. Le matin, le visage baigné de larmes, la gorge serrée sont de simples informations. »

Sophie est folle, nous en sommes très vite persuadés, une folle meurtrière qui va la pousser à tuer un enfant dont elle a la garde, sans aucune raison. Elle-même d’ailleurs n’a aucun doute sur sa folie. Pendant le premier tiers du livre, nous la suivons dans ses tentatives désespérées d’échapper à un désordre mental qui va en s’aggravant, puis à la police qui la recherche pour plusieurs meurtres.

Mais voilà, il y a l’apparence et la réalité. Et la force de Pierre Lemaitre consiste à bousculer nos premières certitudes, grâce à une construction narrative astucieuse et au surgissement tardif d’un autre personnage : Frantz.
Pourquoi cette vengeance ? Comment le manipulateur retors finira-t-il par être lui-même manipulé et tombera dans un piège étonnant ?

Quel rôle va jouer cette robe de marié, et pourquoi le mot marié est-il au masculin ? Le lecteur va de surprise en surprise jusqu’à la dernière page du roman. Et quand vous aurez terminé ce livre, je suis prêt à parier que vous n’aurez qu’une idée : vous précipiter sur les trois autres que Pierre Lemaitre a écrits, pour pouvoir les déguster comme vous l’aurez fait pour cette Robe de marié !