[Haenel, Yannick] Jan Karski
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Jan Karski
[Haenel, Yannick] Jan Karski
éd. Gallimard (09.2009), coll. L'Infini
188 p.
« Qui témoigne pour le témoin ? » : placé en exergue du livre de Yannick Haenel, le fragment du poème de Paul Celan explique d'emblée le projet de ce roman d'une simplicité impeccable et terrible. Le témoin dont il est question s'appelle Jan Karski, il est un de ceux qu'interroge Claude Lanzmann dans Shoah. Les premières pages du roman retracent sobrement cet instant du film : un homme face à la caméra - l'enregistrement à lieu dans les années 1970 - qui voudrait parler, mais dont la parole se brise, un homme happé par la tentation du silence et qui, avec ce silence, se débat, pour finalement parvenir à réciter le message dont il est porteur depuis plus de trente-cinq ans.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Jan Karski (1914-2000), issu d'une famille catholique de Lódz, était agent de liaison entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil, en France d'abord, puis à Londres. A la fin de l'été 1942, deux leaders juifs le font entrer clandestinement dans le ghetto de Varsovie, où se meurent des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants. Ceci afin que lui, Jan Karski, voie et dise au monde ce qu'il a vu. Ceci afin qu'il témoigne de l'atrocité de la situation des Juifs de Pologne. De l'extermination en cours. « Peut-être ébranlera-t-on la conscience du monde », espèrent les deux leaders juifs. Ne laissez pas faire cela : le voilà, le message dont est désormais porteur et responsable Jan Karski. Message qu'il tentera en vain de délivrer dans le monde qu'alors on qualifie de libre, en Grande-Bretagne, à Washington..., devant des auditoires divers, prenant la parole mille fois sans jamais que soient perçus ses mots - pourquoi ce refus, ou cette impossibilité d'entendre ? Dès 1944, Jan Karski écrira un livre - dont le résumé constitue la seconde partie du roman de Yannick Haenel -, dans l'espoir que l'écrit soit plus audible que la parole, en vain. Jan Karski sera dès lors contraint à jamais de vivre avec ce qu'il sait, avec aussi en lui ce message qui n'est jamais parvenu à ses destinataires.
C'est alors, et alors seulement, que dans le dispositif romanesque très dépouillé de Yannick Haenel, intervient la fiction, comme assise sur la matière documentaire qui l'a précédée : la troisième partie du roman est le monologue intérieur inventé de Jan Karski, l'homme qui avait un message à transmettre et qu'on n'a pas su ou voulu entendre, le messager tenu en échec, comme devenu peu à peu lui-même ce message qu'il n'a pas pu délivrer. Un homme entré, un jour de l'été 1942, dans les ténèbres, pour ne plus en ressortir jamais. Il y aura peut-être lieu, pour les historiens, d'approuver, de nuancer ou de démentir le réquisitoire à charge de Jan Karski - dans son propre ouvrage, dans les pensées que lui prête Haenel - contre les Alliés, leur responsabilité, si ce n'est leur complicité, dans l'extermination des Juifs d'Europe. Mais ce que l'on retient de ce Jan Karski, c'est le portrait intérieur d'un homme qui finit par s'enfermer dans le silence, pour mieux s'« enfermer dans ce tombeau où Dieu et l'extermination sont face à face, où l'extermination regarde silencieusement l'absence de Dieu ». Et aussi cette question, posée à l'homme du XXIe siècle, à la littérature : qui témoigne lorsque le témoin est mort ?
Nathalie Crom
(Telerama n° 3111 - 29 août 2009)
Mon avis :
Un des livres les plus expressifs qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps (décidément la rentrée littéraire est un bon cru cette année !).
Je l'ai mis en roman alors que seule la troisième partie est de la fiction mais toute l'oeuvre se lit aussi facilement qu'un roman alors même que les faits évoqués sont réels.
Il est écrit simplement et pourtant :
que tous ceux et celles qui veulent connaitre l'impression de l'impuissance se plonge dans ce livre! Il est profondément tragique, il vous serre les tripes, vous noue la gorge, ... l'amertume qui s'en dégage est terrible...
Le point de vue historique est très intéressant aussi , il éclaire cette période d'un jour nouveau. C'est un excellent travail et une approche vraiment originale du sujet.
188 p.
« Qui témoigne pour le témoin ? » : placé en exergue du livre de Yannick Haenel, le fragment du poème de Paul Celan explique d'emblée le projet de ce roman d'une simplicité impeccable et terrible. Le témoin dont il est question s'appelle Jan Karski, il est un de ceux qu'interroge Claude Lanzmann dans Shoah. Les premières pages du roman retracent sobrement cet instant du film : un homme face à la caméra - l'enregistrement à lieu dans les années 1970 - qui voudrait parler, mais dont la parole se brise, un homme happé par la tentation du silence et qui, avec ce silence, se débat, pour finalement parvenir à réciter le message dont il est porteur depuis plus de trente-cinq ans.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Jan Karski (1914-2000), issu d'une famille catholique de Lódz, était agent de liaison entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil, en France d'abord, puis à Londres. A la fin de l'été 1942, deux leaders juifs le font entrer clandestinement dans le ghetto de Varsovie, où se meurent des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants. Ceci afin que lui, Jan Karski, voie et dise au monde ce qu'il a vu. Ceci afin qu'il témoigne de l'atrocité de la situation des Juifs de Pologne. De l'extermination en cours. « Peut-être ébranlera-t-on la conscience du monde », espèrent les deux leaders juifs. Ne laissez pas faire cela : le voilà, le message dont est désormais porteur et responsable Jan Karski. Message qu'il tentera en vain de délivrer dans le monde qu'alors on qualifie de libre, en Grande-Bretagne, à Washington..., devant des auditoires divers, prenant la parole mille fois sans jamais que soient perçus ses mots - pourquoi ce refus, ou cette impossibilité d'entendre ? Dès 1944, Jan Karski écrira un livre - dont le résumé constitue la seconde partie du roman de Yannick Haenel -, dans l'espoir que l'écrit soit plus audible que la parole, en vain. Jan Karski sera dès lors contraint à jamais de vivre avec ce qu'il sait, avec aussi en lui ce message qui n'est jamais parvenu à ses destinataires.
C'est alors, et alors seulement, que dans le dispositif romanesque très dépouillé de Yannick Haenel, intervient la fiction, comme assise sur la matière documentaire qui l'a précédée : la troisième partie du roman est le monologue intérieur inventé de Jan Karski, l'homme qui avait un message à transmettre et qu'on n'a pas su ou voulu entendre, le messager tenu en échec, comme devenu peu à peu lui-même ce message qu'il n'a pas pu délivrer. Un homme entré, un jour de l'été 1942, dans les ténèbres, pour ne plus en ressortir jamais. Il y aura peut-être lieu, pour les historiens, d'approuver, de nuancer ou de démentir le réquisitoire à charge de Jan Karski - dans son propre ouvrage, dans les pensées que lui prête Haenel - contre les Alliés, leur responsabilité, si ce n'est leur complicité, dans l'extermination des Juifs d'Europe. Mais ce que l'on retient de ce Jan Karski, c'est le portrait intérieur d'un homme qui finit par s'enfermer dans le silence, pour mieux s'« enfermer dans ce tombeau où Dieu et l'extermination sont face à face, où l'extermination regarde silencieusement l'absence de Dieu ». Et aussi cette question, posée à l'homme du XXIe siècle, à la littérature : qui témoigne lorsque le témoin est mort ?
Nathalie Crom
(Telerama n° 3111 - 29 août 2009)
Mon avis :
Un des livres les plus expressifs qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps (décidément la rentrée littéraire est un bon cru cette année !).
Je l'ai mis en roman alors que seule la troisième partie est de la fiction mais toute l'oeuvre se lit aussi facilement qu'un roman alors même que les faits évoqués sont réels.
Il est écrit simplement et pourtant :
que tous ceux et celles qui veulent connaitre l'impression de l'impuissance se plonge dans ce livre! Il est profondément tragique, il vous serre les tripes, vous noue la gorge, ... l'amertume qui s'en dégage est terrible...
Le point de vue historique est très intéressant aussi , il éclaire cette période d'un jour nouveau. C'est un excellent travail et une approche vraiment originale du sujet.
Invité- Invité
Re: [Haenel, Yannick] Jan Karski
C'est un livre en trois chapîtres écrit dans un style concis, fluide et efficace.
A New-York, Jan Karski de son vrai nom Jan Kozielewski, essaye avec difficulté de témoigner de ce qu'il a vu trente cinq ans auparavant, dans le ghetto de Varsovie, devant la caméra de Claude Lanzmann. En 1942, il est agent de liaison entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil. Deux leaders juifs lui proposent de visiter le ghetto et de témoigner auprès des Alliés et des personnalités politiques et intellectuelles du monde entier, des atrocités commises à l'encontre des juifs de Pologne, pour "ébranler la conscience du monde" et empêcher Hitler de poursuivre l'extermination. Il décrit l'enfer, les cadavres dans la rue, la terreur et l'inhumanité.
La seconde partie du livre est un résumé du livre-témoignage de Jan Karski, paru en 1944 et qui connut un immense succès. Il raconte son expérience de la guerre à partir de 1939, sa mobilisation en qualité de jeune officier, la déroute et l'errance des soldats polonais pris en tenaille entre les troupes allemandes et soviétiques. Après son évasion du camp de Radom, il est chargé de plusieurs missions au sein de la Résistance polonaise, et devient messager . A ses yeux, la Pologne a été abandonnée par l'Europe. En 1942 et 1943, lorsqu'il témoigne de ce qu'il a vu au ghetto de Varsovie puis au camp d'extermination d'Izbica Lubeska il se rend compte que la situation de la Pologne passe au second plan et que les américains sont incapables de croire à l'extermination des juifs.
Jan Karski dénonce l'immobilisme des alliés qui savaient et qui n'ont rien fait. Hanté par ses souvenirs et par le cynisme des soviétiques, il s'enferme dans le silence, jusqu'à son entretien avec Claude Lanzmann.
J'ai beaucoup aimé ce livre particulièrement émouvant et je vous le recommande.
A New-York, Jan Karski de son vrai nom Jan Kozielewski, essaye avec difficulté de témoigner de ce qu'il a vu trente cinq ans auparavant, dans le ghetto de Varsovie, devant la caméra de Claude Lanzmann. En 1942, il est agent de liaison entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil. Deux leaders juifs lui proposent de visiter le ghetto et de témoigner auprès des Alliés et des personnalités politiques et intellectuelles du monde entier, des atrocités commises à l'encontre des juifs de Pologne, pour "ébranler la conscience du monde" et empêcher Hitler de poursuivre l'extermination. Il décrit l'enfer, les cadavres dans la rue, la terreur et l'inhumanité.
La seconde partie du livre est un résumé du livre-témoignage de Jan Karski, paru en 1944 et qui connut un immense succès. Il raconte son expérience de la guerre à partir de 1939, sa mobilisation en qualité de jeune officier, la déroute et l'errance des soldats polonais pris en tenaille entre les troupes allemandes et soviétiques. Après son évasion du camp de Radom, il est chargé de plusieurs missions au sein de la Résistance polonaise, et devient messager . A ses yeux, la Pologne a été abandonnée par l'Europe. En 1942 et 1943, lorsqu'il témoigne de ce qu'il a vu au ghetto de Varsovie puis au camp d'extermination d'Izbica Lubeska il se rend compte que la situation de la Pologne passe au second plan et que les américains sont incapables de croire à l'extermination des juifs.
Jan Karski dénonce l'immobilisme des alliés qui savaient et qui n'ont rien fait. Hanté par ses souvenirs et par le cynisme des soviétiques, il s'enferme dans le silence, jusqu'à son entretien avec Claude Lanzmann.
J'ai beaucoup aimé ce livre particulièrement émouvant et je vous le recommande.
Invité- Invité
Re: [Haenel, Yannick] Jan Karski
j'ai bien aimè mais je m'attendais à autre chose plus à un livre temoignage en expliquant du dèbut de l'occupation jusqu'à son arrivèe à New-York sans être en 3 parties.J'espère que vous avez compris ce que je voulais dire.
angele13127- Grand sage du forum
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