[Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
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[Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Les Mensonges du Sewol
Kim Tak-hwan
L'Asiathèque
10 juin 2020
Collection Monde coréen
286 pages
Kim Tak-hwan
L'Asiathèque
10 juin 2020
Collection Monde coréen
286 pages
Résumé de l'éditeur :
Le roman vrai d'un plongeur à la recherche des corps dans l'épave du Sewol, dont le naufrage en 2014 a fait l'effet d'un éléctrochoc sur la société coréenne. Corée du Sud, 16 avril 2014, le Sewol sombre au large de la côte sud-ouest. 304 personnes trouvent la mort dans ce naufrage, pour la plupart des adolescents en excursion scolaire. Énorme scandale qui met en lumière des carences multiples aussi bien dans la gestion de la compagnie privée qui gère le navire que dans l'organisation des secours. Park Geun-hye, alors présidente, est violemment critiquée. Ce drame et ses suites compteront parmi les causes de sa destitution. Le narrateur est un plongeur professionnel qui a accepté d'aller rechercher les corps des victimes piégées dans leurs cabines. Le récit prend la forme d'une supplique adressée à un juge dans le but de disculper un de ses collègues, accusé d'homicide involontaire. Il évoque la difficile remontée des cadavres, les graves traumatismes dont souffrent les plongeurs et dénonce l'incurie avec laquelle ont été lancées et menées les opérations, ainsi que les injustices et les incompréhensions qui frappent ceux qui se sont dévoués corps et âme pour que les familles récupèrent les corps de leurs disparus. Avec le récit du plongeur, en plusieurs épisodes, alternent une vingtaine d'interviews ou de témoignages de parents en deuil, de rescapés ou de journalistes. L'auteur ne donne aucune indication sur le nom du bateau, ni sur le lieu exact du naufrage, ni sur les véritables noms des protagonistes, voulant donner à son récit une portée universelle. En postface, l'auteur indique que le plongeur qui lui a servi de modèle est décédé. L'enquête qui a suivi le décès a conclu à un suicide.
Mon avis :
Comment noter un livre qui pour moi est allé bien au-delà du coup de coeur ? Cela me paraît presque futile, au regard du sujet qu'il évoque, des interrogations qu'il soulève, et de la force du témoignage, d'une incroyable véracité, d'une humanité désolante, confrontée à la plus ingrate indifférence envers les vies humaines sacrifiées lors de ce naufrage du Sewol dans le chenal du Maenggol, le 16 avril 2014, il y a maintenant sept ans. Les faits sont d'une cruauté glaçante : le ferry surchargé transportait 476 personnes, dont seules 172 ont été sauvées. Une partie de l'équipage s'est enfuie, après que l'on a donné aux passagers la consigne de ne pas bouger de leurs cabines et des couloirs où ils devaient attendre les secours. Secours qui ne sont jamais arrivés, car le bateau n'a pas été approché avant le 19 avril - lorsque les équipes de plongeurs sont intervenues, c'était pour retrouver des morts (le délai de survie est fixé légalement à 72 heures). Parmi ces morts, de nombreux lycéens qui effectuaient un voyage scolaire sur l'île de Jeju, qui n'ont commis comme seule erreur que d'obéir à la consigne de rester dans les étages inférieurs, et se sont noyés lorsque le navire s'est incliné à 90 degrés.
Pour être claire, je défie quiconque de commencer ce livre et d'arriver à s'arrêter avant la fin. C'est un documentaire poignant, dans lequel l'auteur a pris le parti de mêler les souvenirs d'un plongeur en partie fictif, Na Kyong-su (en coréen, le nom de famille est placé devant), et les "voix du 16 avril", différents témoignages que l'auteur avait réunis pour un podcast. Il s'inspire en grande partie de l'expérience véridique du plongeur Kim Kwan-hong, mais le portrait qu'il dresse et romance légèrement est si saisissant que j'en ai fini par confondre le plongeur réel et le plongeur fictif.
L'auteur a fait un choix très pertinent qui confère une densité rare aux événements : nous suivons l'intervention des plongeurs privés, réquisitionnés pour aller chercher les corps dans le navire, opération périlleuse, car le passage est étroit, encombré par les objets renversés lors du naufrage - pour sortir un corps, il faut le serrer dans ses bras, dans une étreinte éperdue, ne surtout pas le lâcher, en une heure environ, car les courants s'inversent avec les marées, et ceux du chenal sont particulièrement puissants. Ajoutez à cela que la visibilité est quasi-nulle, et surtout que les plongeurs officient deux à trois fois par jour, sans journées de repos (ils sont en nombre insuffisant), sans médecin ni kiné, sans caisson de récupération, et dans un confort tout relatif. Comme si ces dangers et la douleur atroce de remonter des enfants morts, ou de ne pas arriver à les remonter ni à les trouver, ne suffisaient pas, un plongeur nouvellement arrivé dans l'équipe meurt dans un accident, et le chef bien-aimé des plongeurs, Lyu Chang-dae, est accusé de négligence et inculpé pour homicide involontaire.
Face à cette injustice, Kyong-su prend la plume pour écrire une longue déposition adressée au juge, relate les faits entre son arrivée sur la barge le 21 avril et le message sans remerciement qui les congédie le 9 juillet, alors qu'il reste des disparus à retrouver. Les faits vécus sont sans commune mesure avec les mensonges officiels et la désinformation ; les plongeurs, qui n'en demandent pas tant, sont soit portés aux nues soit vilipendés et accusés de s'enrichir aux frais des contribuables. Pourtant, la réalité est que de l'équipe, tous subiront de gravissimes pathologies, alors même que l'Etat décide au bout d'un an de ne plus rembourser leurs soins. Loin de se plaindre, Kyong-su cherche à se faire pardonner des familles, il noue des liens, et se bat pour faire connaître la vérité de l'affaire. Le récit nous apprend aussi l'après, pour les familles, les policiers, les rescapés...
En plus de nous gratifier de scènes d'une beauté terrifiante, où l'amour des profondeurs côtoie la mort, où le travail et la passion d'une vie aboutissent à des visions de cauchemars, de couloirs et cabines sous les eaux, d'enfants noyés, d'objets flottants, le tout dans des ténèbres silencieuses, presque un autre monde déjà... Mais nous apprenons aussi de l'éthique de Kyong-su/Kwan-hong, qui nous donne à voir le courage d'un homme simple, qui dans toute situation se pose deux questions : est-ce que je dois le faire ? est-ce que je peux le faire ? - puis prend sa décision et s'y tient, quel que soit le risque encouru. Que devons-nous sacrifier, et jusqu'où, pour vivre en accord avec la vérité et la justice ? L'écriture enfin est toute de simplicité et de naturel, ramassée telle un fauve prêt à bondir. Je ne peux qu'engager les lecteurs à découvrir ce livre qui nous maintient en apnée, et dont il est difficile de revenir.
Si je devais noter, ce serait un bon 7/5.
Citations :
"Elle [l'impatience] est toujours là, pendant que je vous écris. A la maison, dans un square, au supermarché, je m'arrête souvent. Je n'ai pas besoin de fermer les yeux pour visualiser le plan détaillé du bateau. Mes regards balaient les 111 cabines et les 17 salles. J'étends encore les bras vers une cabine avec l'envie d'en vérifier l'intérieur. Comme j'y ai laissé onze personnes, je fais toujours le même rêve. Ce fut le cas cette nuit. Je vois le plongeur Na équipé de sa tenue de plongée, avec le masque, les palmes, les gants et la ceinture lestée, se jeter à l'eau." (page 17)
"Je comprends que des gens puissent dire qu'ils n'ont rien vu et rien entendu. Mais dire qu'on ne se souvient de rien, ça ne passe pas. Ceux qui prétendent avoir oublié ce qu'ils ont vu au cours de leurs plongées ne méritent pas d'être considérés comme des plongeurs. Répéter, confirmer, c'est le B.A.BA de la plongée. Un plongeur qui a des trous de mémoire doit quitter le métier." (page 44)
"Une fois sous l'eau, je porte mon regard vers le haut et j'aperçois une flaque de lueur pâle qui s'estompe. Comment décrire cette sensation d'être chassé de la lumière du soleil ? Dire "obscurité" ne suffit pas. Même en plein air, cette impression perdure, celle d'une solitude. A croire que le chatoiement et le scintillement de la surface de la mer sous un soleil de printemps n'ont jamais existé." (page 59)
"Une nuit, j'ai rêvé que toutes ces interrogations flottaient sur la mer, dans le chenal de Maenggol. Elles étaient innombrables. Il y a longtemps, dans un documentaire sur Bénarès, j'ai vu qu'au petit matin la surface du Gange était parsemée de fleurs. Eh bien, les fleurs de mon rêve, c'était mes questions. L'homme peut mourir mais les interrogations à son sujet lui survivent. Tant qu'elles ne disparaissent pas, il n'est pas tout à fait mort." (page 75)
Dernière édition par elea2020 le Mer 4 Aoû 2021 - 8:32, édité 1 fois
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Merci pour ce bel avis. Est-ce que tu penses que l'écriture et le style asiatiques donnent une autre dimension aux propos? Tu parles de naturel et de simplicité, peut-on dire que le phrasé est dépouillé, donnant de la puissance à ce qu'il exprime?
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Cassiopée- Admin
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Re: [Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Cassiopée a écrit:Merci pour ce bel avis. Est-ce que tu penses que l'écriture et le style asiatiques donnent une autre dimension aux propos? Tu parles de naturel et de simplicité, peut-on dire que le phrasé est dépouillé, donnant de la puissance à ce qu'il exprime?
Je ne connais pas assez la langue coréenne pour le savoir (du reste, c'est remarquablement bien traduit, on ne pense pas une seconde à la traduction), il est possible aussi que ce soit parce que l'auteur est également journaliste, mais à la simplicité et le dépouillement du style, comme tu le dis bien, il mêle une poésie stylisée, l'expression est souvent puissante. L'auteur évoque aussi des personnages taciturnes, les plongeurs, qui préfèrent agir, et évoluer dans le silence des profondeurs, mais qui parlent à bon escient lorsqu'il le faut.
Ce qui est sûr, c'est qu'en filigrane j'ai appris et compris bien des choses sur la société coréenne, ses défauts, notamment cette modernité qui est allée très vite, sans doute trop vite aussi.
Je mettrai des citations demain, il faut que je les retrouve dans le livre.
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Lu dans le cadre de la lecture commune septembre/octobre/novembre 2024.
Elea, merci de m'avoir fait découvrir cet ouvrage.
J'ai lu la dernière page avec autant d'émotion que celle ressentie dès les premières.
Pour tout nouveau lecteur je voudrais citer l'auteur qui termine ainsi le récit :
"Lisez avec le coeur et indignez-vous avec la tête !"
J'ai trouvé très astucieuse l'idée que le double de fiction écrive cette longue déposition au juge. Excellent moyen pour raconter tout le déroulé des événements et aussi imaginer ce que le vrai plongeur a pu ressentir avant, pendant et après.
Tu dis : "Ce qui est sûr, c'est qu'en filigrane j'ai appris et compris bien des choses sur la société coréenne, ses défauts, notamment cette modernité qui est allée très vite, sans doute trop vite aussi."
Tout à fait d'accord avec toi.
En ce qui concerne la traduction les niveaux de langage des personnages sont effectivement bien rendus.
Juste quelques fautes d'accords au féminin et une expression curieuse qui revient trois fois, pages 112,125 et 224 (Kindle) :
" Ils discutaient à perte de vue" - "...théorisent à perte de vue" - "Ici, on discute à perte de vue".
Petite erreur de date p236, il faut sans doute lire 2017, année de renflouement du navire, au lieu de 2014.
Mais vraiment ce n'est rien à côté du coup de poing reçu au cours de cette lecture. Coup de coeur sans conteste.
Elea, merci de m'avoir fait découvrir cet ouvrage.
J'ai lu la dernière page avec autant d'émotion que celle ressentie dès les premières.
Pour tout nouveau lecteur je voudrais citer l'auteur qui termine ainsi le récit :
"Lisez avec le coeur et indignez-vous avec la tête !"
J'ai trouvé très astucieuse l'idée que le double de fiction écrive cette longue déposition au juge. Excellent moyen pour raconter tout le déroulé des événements et aussi imaginer ce que le vrai plongeur a pu ressentir avant, pendant et après.
Tu dis : "Ce qui est sûr, c'est qu'en filigrane j'ai appris et compris bien des choses sur la société coréenne, ses défauts, notamment cette modernité qui est allée très vite, sans doute trop vite aussi."
Tout à fait d'accord avec toi.
En ce qui concerne la traduction les niveaux de langage des personnages sont effectivement bien rendus.
Juste quelques fautes d'accords au féminin et une expression curieuse qui revient trois fois, pages 112,125 et 224 (Kindle) :
" Ils discutaient à perte de vue" - "...théorisent à perte de vue" - "Ici, on discute à perte de vue".
Petite erreur de date p236, il faut sans doute lire 2017, année de renflouement du navire, au lieu de 2014.
Mais vraiment ce n'est rien à côté du coup de poing reçu au cours de cette lecture. Coup de coeur sans conteste.
Dulcie- Grand expert du forum
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Re: [Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Je suis vraiment contente que cette lecture t'ait apporté, Dulcie. C'est une de mes lectures les plus marquantes. J'ai aimé ce personnage de plongeur simple et humain, qui "tient droit".
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Kim, Tak-hwan] Les Mensonges du Sewol
Merci Elea et Dulcie pour votre critique, je m'empresse de le noter
louloute- Grand sage du forum
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