[Lefteri, Christy] Les oiseaux chanteurs
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[Lefteri, Christy] Les oiseaux chanteurs
Titre : Les oiseaux chanteurs
Auteur : Christy Lefteri
éditeur : édition du Seuil
Nombre de pages : 368 pages
Présentation de l’éditeur :
Chypre, 2016. Nisha Jayakodi disparaît un soir sans laisser de trace. Son employeuse Petra Loizides s’inquiète de la disparition de la nounou qui élève sa fille de 9 ans depuis sa naissance. Yiannis, le
locataire qui occupe le premier étage de sa maison, est lui aussi bouleversé : se serait-elle enfuie suite à sa demande en mariage la veille ? Mais la jeune femme sri-lankaise a laissé derrière elle son passeport, l’écrin qui renferme la photo de son défunt mari et la mèche de cheveux de sa propre fille Kumari restée au pays.
Quand Petra tient à signaler sa disparition à la police, celle-ci refuse d’ouvrir une enquête, sous prétexte que cette main-d’œuvre immigrée a tendance à s’enfuir pour des postes plus rémunérateurs.
Impuissant, Yiannis continue de son côté ses activités illégales : ancien banquier, ruiné par la crise de 2008, il vit du braconnage des oiseaux, prisonnier d’un réseau mafieux puissant et dangereux.
Ensemble Petra et Yannis vont enquêter auprès de nombreuses femmes invisibles comme Nisha et découvrir la facette sombre d’un pays gangréné par la corruption et les trafics en tous genres.
Mon avis :
« Ce roman ne prétend pas être la voix des migrants, il ne cherche pas à parler à leur place ».
C’est ainsi que l’autrice s’adresse au lecteur, à la fin du roman. Oui, son roman ne parle pas à la place des migrants, il nous montre cependant à voir ce qu’ils vivent, ce qu’elles vivent puisqu’il s’agit ici essentiellement de femmes.
Ce sont deux voix qui se font entendre, deux narrateurs, Petra et Yiannis, deux chypriotes. Ce qui les unit est d’abord le fait qu’ils vivent dans la même maison – Petra loue un appartement à Yiannis, qui vit en toute indépendance. Ce qui les unit ensuite, même si Petra ne le sait pas encore, c’est Nisha. Elle est une parmi tant d’autres. Qui ça ? Une de ses femmes qui a quitté sa famille, son pays pour travailler à l’étranger et envoyer ainsi plus d’argent à sa famille qu’elle n’en aurait gagné en restant au pays.
Je serai assez crue : ce que nous montre le récit, c’est que ces femmes sont à peine considérées comme des êtres humains. Elles ne pensent pas comme nous, elles ne vivent pas comme nous, elles cherchent toujours de meilleures situations, voilà en gros ce que la majorité pense d’elle. Petra, elle, ne pense pas. Elle est tellement habituée à la présence de Nisha, qui est sa domestique depuis dix ans, qu’elle n’ pas pris conscience ni de tout ce qu’elle fait pour elle, ni de tout ce qu’elle ignore d’elle. Nisha est pourtant « bien traitée », elle a sa chambre, une journée de congé par semaine, des horaires convenables. Elle qui a dû laisser Kumari sa fille unique au Sri Lanka a élevé Aliki, la fille de Petra. Il faut que Nisha disparaisse pour que Petra se rende compte de toute ce qu’elle faisait pour elle (impossible pour Petra de cuisiner, elle peine à savoir où sont rangés les aliments dont elle a besoin), pour qu’elle se rende compte aussi que Nisha est une parmi tant d’autres, et qu’elle, Petra, n’a jamais fait attention à toutes ses femmes qui vivent plus ou moins bien. Plutôt moins.
De l’autre côté, nous avons Yiannis. La crise l’a jeté dans la pauvreté, il a perdu son emploi et sa femme, qui tenait davantage à son statut social qu’à son mari. Il vit de contrebande, piégeant des oiseaux pour les revendre aux restaurants chypriotes. Il aime Nisha. Il en sait plus sur elle que Petra, que tout le monde à vrai dire. Il s’interroge sur les causes de la disparition, lui qui espère la revoir, lui qui va chercher ce qui lui est arrivé. Leurs points communs ? Yiannis et Petra sont tous les deux pris au piège de leur situation, lui parce qu’il commet des actions illégales pour la « mafia » locale, elle parce qu’elle est piégée – dix ans plus tard, elle doit toujours de l’argent à ceux qui l’ont fait venir du Sri Lanka. La différence est que s’il arrivait quelque chose à Yiannis, la police bougerait peut-être. Elle n’ouvre pas d’enquête pour la disparition de Nisha, et tant pis si elle a laissé derrière elle ses effets personnels et son passeport, elle est forcément partie pour mieux revenir.
Indifférence ? Pas seulement. L’autre, l’étranger, le migrant n’est pas considéré comme un être humain. Ce n’est pas qu’il y a deux poids, deux mesures, c’est qu’il n’existe pas de mesure pour eux. Ils n’existent tout simplement pas !
Je voudrai aussi parler du second sujet abordé dans ce roman : celui de la maternité. J’aurai pu dire « parentalité », mais soit les pères sont décédés (Nisha comme Petra sont veuves), soit ils ne le sont pas encore. Petra a porté sa fille, l’a mise au monde, mais son veuvage fait qu’elle ne parvient pas à être mère, elle ne parvient pas à s’occuper de sa fille. Tous les gestes qu’elle voudrait faire, tous les mots qu’elle voudrait dire, c’est Nisha qui les a faits et dits pour elle. Ce n’est pas que Pétra n’aime pas sa fille, loin de là, c’est qu’elle ne parvient pas à lui montrer son amour : il faudra l’électrochoc de la disparition de Nisha, la prise de conscience de ce que cela implique pour Kumari pour que Petra parvienne enfin à exprimer ce qu’elle ressent.
Sharon- Modérateur
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Re: [Lefteri, Christy] Les oiseaux chanteurs
Son expérience de bénévole dans un camp de migrants à Athènes avait nourri L’apiculteur d’Alep, le précédent roman de l’auteur. Cette fois, ce sont les témoignages de femmes étrangères venues s’employer comme personnels de maison à Chypre, qui ont soufflé à Christy Lefteri cette histoire inspirée de faits dramatiques bien réels.
Nisha a quitté le Sri Lanka et son bébé pour devenir nounou à Chypre. Après neuf ans de bons et loyaux services chez Petra et sa fille Adèle, et au lendemain de la demande en mariage de Yiannis, le locataire qui occupe l’étage de la maison, elle disparaît un soir de 2016, abandonnant passeport et effets personnels. La police refuse d’ouvrir une enquête, au prétexte de l’instabilité de la main d’oeuvre immigrée. Petra et Yiannis, lui-même emberlificoté dans un réseau mafieux de braconnage d’oiseaux depuis son licenciement lors de la crise bancaire et financière de 2008, tentent de retrouver trace de la jeune femme. Ils prennent alors conscience des terribles réalités vécues par toutes ces femmes, endettées à vie auprès d’agences de placement, dans l’espoir de trouver dans des pays riches le travail qui leur permettra enfin, au prix de la distance et de la séparation, de faire vivre leur famille.
L’on pourra penser au roman Chanson douce de Leïla Slimani, quand l’employeuse de Nisha réalise après coup ce dont elle ne s’était jusqu'ici aucunement souciée : la vie privée et les sentiments de celle qu’elle n’avait jamais imaginée qu’entièrement dédiée à son service. En vérité, pendant presque une décennie de partage de son intimité à elle, Petra n’a jamais eu en tête que la fonction, et non la personne, de son employée, tirant parti sans s’en douter du drame personnel de cette dernière, lui imposant ses préoccupations de femme aisée sans même se rendre compte de l’indécence du contraste entre son confort et la misère de l’autre. Pourtant, là n’est pas le pire. Car, cette indifférence généralisée, y compris des autorités, vis-à-vis de ces filles seules et sans recours, coincées par leur dette dans une situation de totale dépendance vis-à vis de leur agence et de leurs employeurs, favorise les pires abus dans le secret de ces maisons ou boutiques où elles sont parfois maltraitées, à peine logées et nourries, réduites en esclavage, et même agressées et tuées.
Au fur et à mesure que l’histoire de Nisha et de ses semblables se dévoile à Petra et à Yiannis, l’émotion se fait de plus en plus poignante, en même temps que l’inquiétude grandit. Et, alors qu’en parallèle, le lecteur assiste, consterné, au trafic de ce qu’Elif Shafak appelle « le caviar de Chypre » dans L’île aux arbres disparus, se superposent peu à peu l’image de ces nuées colorées d’oiseaux migrateurs, pris au piège des vastes filets et de la glu de l’industrie du braconnage aviaire chypriote, et celle de ses migrantes venues s’échouer, au terme d’un aventureux et courageux voyage, dans un autre traquenard tout aussi inextricable.
Christy Lefteri nous livre un nouveau roman empreint de chagrin et de révolte, inspiré comme le précédent de ses rencontres et de son engagement bénévole pour la cause des migrants. A n’en pas douter, le succès devrait être encore au rendez-vous, serrant bien des gorges et faisant même couler quelques larmes. (4/5)
Nisha a quitté le Sri Lanka et son bébé pour devenir nounou à Chypre. Après neuf ans de bons et loyaux services chez Petra et sa fille Adèle, et au lendemain de la demande en mariage de Yiannis, le locataire qui occupe l’étage de la maison, elle disparaît un soir de 2016, abandonnant passeport et effets personnels. La police refuse d’ouvrir une enquête, au prétexte de l’instabilité de la main d’oeuvre immigrée. Petra et Yiannis, lui-même emberlificoté dans un réseau mafieux de braconnage d’oiseaux depuis son licenciement lors de la crise bancaire et financière de 2008, tentent de retrouver trace de la jeune femme. Ils prennent alors conscience des terribles réalités vécues par toutes ces femmes, endettées à vie auprès d’agences de placement, dans l’espoir de trouver dans des pays riches le travail qui leur permettra enfin, au prix de la distance et de la séparation, de faire vivre leur famille.
L’on pourra penser au roman Chanson douce de Leïla Slimani, quand l’employeuse de Nisha réalise après coup ce dont elle ne s’était jusqu'ici aucunement souciée : la vie privée et les sentiments de celle qu’elle n’avait jamais imaginée qu’entièrement dédiée à son service. En vérité, pendant presque une décennie de partage de son intimité à elle, Petra n’a jamais eu en tête que la fonction, et non la personne, de son employée, tirant parti sans s’en douter du drame personnel de cette dernière, lui imposant ses préoccupations de femme aisée sans même se rendre compte de l’indécence du contraste entre son confort et la misère de l’autre. Pourtant, là n’est pas le pire. Car, cette indifférence généralisée, y compris des autorités, vis-à-vis de ces filles seules et sans recours, coincées par leur dette dans une situation de totale dépendance vis-à vis de leur agence et de leurs employeurs, favorise les pires abus dans le secret de ces maisons ou boutiques où elles sont parfois maltraitées, à peine logées et nourries, réduites en esclavage, et même agressées et tuées.
Au fur et à mesure que l’histoire de Nisha et de ses semblables se dévoile à Petra et à Yiannis, l’émotion se fait de plus en plus poignante, en même temps que l’inquiétude grandit. Et, alors qu’en parallèle, le lecteur assiste, consterné, au trafic de ce qu’Elif Shafak appelle « le caviar de Chypre » dans L’île aux arbres disparus, se superposent peu à peu l’image de ces nuées colorées d’oiseaux migrateurs, pris au piège des vastes filets et de la glu de l’industrie du braconnage aviaire chypriote, et celle de ses migrantes venues s’échouer, au terme d’un aventureux et courageux voyage, dans un autre traquenard tout aussi inextricable.
Christy Lefteri nous livre un nouveau roman empreint de chagrin et de révolte, inspiré comme le précédent de ses rencontres et de son engagement bénévole pour la cause des migrants. A n’en pas douter, le succès devrait être encore au rendez-vous, serrant bien des gorges et faisant même couler quelques larmes. (4/5)
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