[Bui, Doan] La Tour
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[Bui, Doan] La Tour
Editions Grasset
352 pages
EAN 9782246824992
Présentation de l’éditeur
Les Olympiades. C’est là, autour de la dalle de béton de cet ensemble d’immeubles du Chinatown parisien que s’est installée la famille Truong, des boat people qui ont fui le Vietnam après la chute de Saigon. Victor Truong chérit l’imparfait du subjonctif et les poésies de Vic-to-Lou-Go (Victor Hugo). Alice, sa femme, est fan de Justin Bieber mais déteste Mitterrand, ce maudit « communiste » élu président l’année où est née leur fille Anne-Maï, laquelle, après une enfance passée à rêver d’être blonde comme une vraie Française, se retrouve célibataire à 40 ans, au désespoir de ses parents.
Cette tour de Babel de bric et de broc, où bruisse le murmure de mille langues, est une cour des miracles aux personnages hauts en couleurs. Voilà Ileana, la pianiste roumaine, désormais nounou exilée ; Virgile, le sans-papier sénégalais, lecteur de Proust et virtuose des fausses histoires, qui squatte le parking et gagne sa vie comme arnaqueur. On y croise aussi Clément, le sarthois obsédé du Grand Remplacement, persuadé d’être la réincarnation du chien de Michel Houellebecq, son idole. Tous ces destins se croisent, dans une fresque picaresque, faite d’amours, de deuils, de séparations et d’exils.
La Vie mode d’emploi de Perec est paru en 1978, quand les Olympiades sortaient de terre. Comment Perec raconterait-il le Paris d’aujourd’hui ? Ce premier roman de Doan Bui tente d’y répondre, en se livrant lui aussi à une topographie minutieuse d’un lieu et de ses habitants. L’auteure y décrit la France d’aujourd’hui, de la coupe du Monde 98 aux attentats de 2015 dans un roman choral d’une drôlerie grinçante.
Mon avis
Les Olympiades sont à l’honneur cette année, puisqu’après un film réalisé par Jacques Audiard (que je n’ai pas vu), elles constituent le décor quasi-exclusif de l’action de La Tour. Le livre s’ouvre sur une citation de Georges Perec, et Doan Bui entreprend en effet dans cet ouvrage un chantier assez similaire à celui de La Vie Mode d’emploi. L’unité de lieu est toujours un immeuble, permettant de tisser autour de ses habitants une toile d’histoires interconnectées. L’écrivaine prend un malin plaisir à souligner toutes les occasions où les enchevêtrements se font à l’insu des protagonistes. Les dimensions sont étirées : l’immeuble de Doan Bui est à la fois plus récent, plus haut et plus densément peuplé que celui de Perec. Quoique tous plus ou moins piégés dans le quartier, la plupart des habitants de la Tour Melbourne viennent de (très) loin : Viet-Nam, Roumanie, Sénégal … Journaliste de métier, Doan Bui manie à la perfection l’écriture « informative », elle en joue dans les nombreuses notes de bas de page qui émaillent le récit. Après coup, je me suis dit qu’il aurait sûrement été intéressant de lire une fois le livre sans les notes, puis de refaire un second passage en se laissant guider. Pourquoi avoir glissé dans ces notes des anecdotes qui auraient pu s’insérer dans le texte principal, mêlées à des précisions d’ordre encyclopédique qui satisfont la curiosité du lecteur mais risquent de le distraire dans la lecture ? Il m’a semblé qu’il y avait là une sorte de démonstration de la part de l’écrivaine de sa capacité à nous manipuler, à nous influencer à travers des contenus qui semblent à la fois optionnels, neutres et inoffensifs. Pourtant, bien souvent, notre regard change après avoir lu l’aparté … Serait-ce une leçon de journalisme ? Ce n’est pas exclu, d’autant que l’un de ces apartés porte justement sur les pratiques journalistiques douteuses d’une dénommée … Doan Bui !
J’ai trouvée très réussie la galerie de personnages dépeints dans cette fresque, intéressante la réflexion sur l’évolution d’un quartier, du projet initialement pensé par les promoteurs et le politiciens à la façon dont il est vécu par les générations d’habitants qui s’y succèdent. Le roman se clôt par une (peut-être un peu trop) brève partie d’anticipation qui esquisse ce que pourrait être la vie aux Olympiades dans une vingtaine d’années, assez réjouissante elle aussi.
Une belle découverte (que serait le monde sans les librairies de quartier qui vous conseillent leurs pépites ?) !
Re: [Bui, Doan] La Tour
La Tour est parmi celles qui se dressent sur la dalle des Olympiades, l’un des quartiers asiatiques de Paris, dans le treizième arrondissement. Mille destins s’y côtoient, dans un caléidoscope dont le raccourci « Chinatown » ne donne qu’un très approximatif aperçu. Y habitent ainsi les Truong, boat people échoués ici après leur fuite du Vietnam à la chute de Saigon ; Ileana, pianiste devenue nounou de petits Parisiens dans l’espoir d’offrir un avenir à sa fille restée en Roumanie ; Virgile, sans-papier sénégalais qui squatte les parkings du sous-sol et vit d’arnaques « à la nigériane » sur internet… Et, parmi les Français de souche, Clément, ex-provincial obsédé par le Grand Remplacement, et aussi Michel Houellebecq, qu’il idolâtre au point d’en jalouser le chien…
La plus grande malice préside au récit, et c’est avec jubilation que l’on se délecte de cette série de portraits hauts en couleurs qui dresse un tableau plein d’ironiques vérités sur le Paris d’aujourd’hui. Rédigé avec une précision dont on ne sait si elle est totalement documentaire ou si elle le simule dans une forme de bluffante auto-dérision, le texte s’avère aussi divertissant qu’édifiant dans l’acuité de ses observations et la pertinence de ses commentaires. L’on se trouve vite convaincu de la parfaite représentativité de cette brochette de modestes personnages plus ou moins imaginaires, où viennent complaisamment se mêler les silhouettes décalées, bien connues du quartier, du célèbre écrivain et de son chien corgi.
Les trajectoires de vie qui s’échouent dans ce quartier comme autant de naufrages sur une île, dessinent une humanité bigarrée qui n’a pour point commun que ses innombrables et inguérissables meurtrissures. Et, pendant que Clément et ses semblables « historiquement » français se sentent dépassés par ce qu’ils envisagent, avec une certaine panique, comme une vague venue les submerger, tous les déracinés rassemblés ici tentent, modestement et douloureusement, de s’acclimater à une existence dont ce froid et rigide environnement de béton souligne très symboliquement l’aspect désespérément hors-sol.
Des trois histoires d’exil, de deuil et de séparations que l’auteur évoque avec une lucidité implacable assortie d’autant d’humour que d’humanité, le lecteur ressort plein d’une tendresse émue pour leurs personnages plus vivants que nature, dont l’ordinaire et modeste anonymat cache de si tragiques parcours et tant d’absurdes et injustes drames. Plus jamais l’on n’envisagera du même œil ce quartier de Paris, que l’on quitte, à l’issue de cette lecture, le coeur empli d’un irrésistible mélange de tristesse et de rire. Un premier roman époustouflant et un grand coup de coeur. (5/5)
La plus grande malice préside au récit, et c’est avec jubilation que l’on se délecte de cette série de portraits hauts en couleurs qui dresse un tableau plein d’ironiques vérités sur le Paris d’aujourd’hui. Rédigé avec une précision dont on ne sait si elle est totalement documentaire ou si elle le simule dans une forme de bluffante auto-dérision, le texte s’avère aussi divertissant qu’édifiant dans l’acuité de ses observations et la pertinence de ses commentaires. L’on se trouve vite convaincu de la parfaite représentativité de cette brochette de modestes personnages plus ou moins imaginaires, où viennent complaisamment se mêler les silhouettes décalées, bien connues du quartier, du célèbre écrivain et de son chien corgi.
Les trajectoires de vie qui s’échouent dans ce quartier comme autant de naufrages sur une île, dessinent une humanité bigarrée qui n’a pour point commun que ses innombrables et inguérissables meurtrissures. Et, pendant que Clément et ses semblables « historiquement » français se sentent dépassés par ce qu’ils envisagent, avec une certaine panique, comme une vague venue les submerger, tous les déracinés rassemblés ici tentent, modestement et douloureusement, de s’acclimater à une existence dont ce froid et rigide environnement de béton souligne très symboliquement l’aspect désespérément hors-sol.
Des trois histoires d’exil, de deuil et de séparations que l’auteur évoque avec une lucidité implacable assortie d’autant d’humour que d’humanité, le lecteur ressort plein d’une tendresse émue pour leurs personnages plus vivants que nature, dont l’ordinaire et modeste anonymat cache de si tragiques parcours et tant d’absurdes et injustes drames. Plus jamais l’on n’envisagera du même œil ce quartier de Paris, que l’on quitte, à l’issue de cette lecture, le coeur empli d’un irrésistible mélange de tristesse et de rire. Un premier roman époustouflant et un grand coup de coeur. (5/5)
Re: [Bui, Doan] La Tour
Mince, je l'avais raté celui-ci ! Nous y passons à chaque fois les filles et moi quand nous allons à Paris, c'est là qu'il y a les magasins de k-pop, bars à bubble-tea, etc...
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