[Collectif] On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les soulèvements de la Terre

Présentation de l'éditeur :
Geneviève Azam, Jérôme Baschet, Aurélien Berlan, Blue Monk, Christophe Bonneuil, Isabelle Cambourakis, Confédération paysanne, Alain Damasio, Des cantinières et cantiniers de l’Ouest, Philippe Descola, Virginie Despentes, Alix F., Malcom Ferdinand, David Gé Bartoli, Sophie Gosselin, Florence Habets, Lea Hobson, Celia Izoard, François Jarrige, Léna Lazare, Julien Le Guet, Cy Lecerf Maulpoix, Martine Luterre, Marcelle et Marcel, Virginie Maris, Tanguy Martin, Gaïa Marx, Baptiste Morizot, Naturalistes des Terres, Kassim Niamanouch, Lotta Nouqui, Alessandro Pignocchi, Geneviève Pruvost, Kristin Ross, Scientifiques en rébellion, Isabelle Stengers, Françoise Vergès, Eduardo Viveiros de Castro, Terra Zassoulitch et des dizaines d'organisations internationales.

On ne dissout pas un dérèglement planétaire. On n’efface pas par décret les constats scientifiques ni le refus d’un capitalisme radicalisé fonçant dans le mur. Loin des procès en « écoterrorisme », ce qui se joue autour des mouvements comme les Soulèvements de la Terre n’est rien d’autre que la bataille de ce siècle.

Les droits d’auteur de ce livre sont versés aux Soulèvements de la Terre.

Mon avis :
C'est un coup de cœur de juin, car j'ai acheté l'ouvrage le jour même où l'organisation des Soulèvements a été dissoute, le 21 juin, et que je me suis rendue au rassemblement de soutien le soir, alors même que je ne serais pas ressortie en temps normal un soir de semaine. J'étais trop en colère, il fallait que je fasse quelque chose.

L'ouvrage se présente sous la forme d'un abécédaire, autour des mots propres à la lutte des activistes écologistes. J'ai découvert des mots comme "désarmement", qui recouvre le fait de saboter des machines jugées néfastes pour l'environnement. J'ai aussi appris que des collectifs œuvraient pour soigner des blessés lors des manifestations marquées par la violence policière, l'exemple flagrant étant Sainte-Soline, ou encore pour nourrir des milliers de personnes dans des cantines populaires (l'idée m'a plu). J'ai surtout enrichi ma pensée et ma conscience écologique par des textes philosophiques de haute portée, motivants et incitatifs, se nourrissant d'expériences politiques de masse ou marginales (les ZAD). Un parallèle entre les résistants de la seconde guerre mondiale et les écologistes radicaux m'a paru intéressant à envisager, quoique je ne cautionne pas a priori les violences, même envers les biens, et préfère de par ma nature la désobéissance civile non-violente. Conjointement à ces approches, les historiens mettent en perspective l'évolution actuelle de ces mouvements solidaires avec des périodes historiques. Ils nous expliquent les concepts de l'anthropocène et du kapitalocène (plus militant), la manière dont tout s'est accéléré avec la révolution industrielle ; des savants et scientifiques, plusieurs auteurs du GIEC (hydrologue, météorologue), nous expliquent comment ils ont dû sortir de la neutralité et s'engager ; des penseurs étrangers nous informent sur la politique coloniale ou néo-coloniale et ses dégâts - comment ne pas être horrifié.e par les conditions d'extraction des minerais rares, par exemple ? Nous avons aussi des aperçus de formes de militantisme écologique féministes, ou "queer" (transgenre), ou encore des approches littéraires percutantes, comme le poème d'Alain Damasio, mythique auteur de La Horde du Contrevent, ou le texte de Virginie Despentes...

C'est pour moi un livre absolument nécessaire, où chacun peut puiser de l'espoir (l'éco-anxiété m'est familière), ou des moyens d'agir à sa façon, même si c'est aussi un plaidoyer pour des interventions plus immédiates et directes - on ne dirait pas violentes, car ce n'est le fait que de quelques individus, et le principe n'est pas de viser des personnes. C'est au moins, si l'on désapprouve ce mouvement, un moyen de s'informer à la source, car la désinformation est monnaie courante. Les écologistes sont devenus "écoterroristes", les membres de la NUPES (y compris socialistes, EELV) sont d'extrême-gauche (qu'on ne me fasse pas rigoler). Si cela peut donner envie de descendre dans la rue pour une marche pour le climat, ou d'écouter la jeunesse qui nous alerte, et nous demander pourquoi ces vagues de chaleur et ces épisodes de sécheresse, c'est un pari réussi.

Une seule ombre, qui ne fera pas baisser la note : l'emploi d'un vocabulaire spécifique aux militants, avec des usages de mots sortis de leur emploi habituel m'a parfois agacée, comme l'expression "les communs" qui revient un peu trop souvent.

Un fait rare qui mérite d'être souligné : ce livre a attiré l'attention de plusieurs personnes alors que je le lisais dans le tram, on m'a abordée, posé des questions, j'ai dû littéralement présenter le bouquin à de parfaits inconnus. Un 5/5 sans surprise.

Citations :
Que chaque manifestation traduise notre colère et nos aspirations dans un geste concret et non dans une vaine supplication adressée à ceux qui nous gouvernent, nous oppriment et sont en passe de détruire la possibilité même de tout avenir sur terre. (Préface, page 15)

Si nous étions des personnes avides de violence comme certain.es cherchent à le faire croire, nous ne nous mettrions pas face aux personnes les mieux armées et protégées , tant physiquement que juridiquement, du pays. (« Blessure », témoignage de Sainte-Soline, Alix F., 19 ans, blessée au visage par une grenade, page 33)

Ce que l’Occident croyait pouvoir externaliser – guerres, répression brutale, déni des droits, dévastation, assignation à une mort prématurée – revient sur son sol. (« État (toujours) colonial », Françoise Vergès, page 61)

Prenons la génération née en 2020 : dans quel monde vivra-t-elle à 50 ans ? L’ampleur du bouleversement climatique en 2070 (+2,5° ou +6° en France?) ne résultera pas de sa propre volonté, mais aura été prédéfinie par les choix des possédants d’aujourd’hui. (…) Plus on avance vers l’avenir, plus la tyrannie du passé est écrasante : c’est le contraire de la promesse moderne d’autonomie et de progrès. (« Kapitalocène », Gaïa Marx et Terra Zassoulitch, page 94)

Nous sommes convaincus que le geste naturaliste ne doit pas se réduire à l’inventaire du désastre en cours. (« Naturalistes des terres », page 106)

En revanche, quelque chose nous appelle dans l’imaginaire et les pratiques des partisan.es d’hier. En bien des lieux, des continents et des époques, ils ont livré bataille contre des forces infiniment plus grandes qu’eux et dans des situations apparemment désespérées. (« Résistance », Kassim Niamanouch, page 127)

En présence de faits scientifiques robustes et de leviers d’action identifiés, depuis deux à trois décennies, l’inaction n’est plus un défaut de prise de conscience ou d’information : c’est un choix politique. (« Urgence climatique », Scientifiques en rébellion, page 152)

Le numérique ne sauvera pas la planète, il accélère les ravages du capitalisme. Il engloutit l’eau et l’énergie, décuple les addictions, robotise et défigure le travail et soumet le quotidien à l’arbitraire de l’intelligence artificielle. Comment l’arrêter ? (« www.toxique-village.global.com », Celia Izoard, page 163)

Ceux qui font les gros chèques sont des fanatiques, c’est-à-dire des fous de la monnaie, comme d’autres sont des fous de Dieu. Leur main ne tremble pas lorsqu’il s’agit d’égorger la planète sur laquelle habitent leurs propres enfants. (...) (« X comme asphyxie », Virginie Despentes, page 166-167)