[Shalmani, Abnousse] Laïcité, j'écris ton nom

Présentation de l'éditeur :
« Aujourd'hui, nous voilà réduits à défendre la liberté et la laïcité, à nous défendre de n'être ni racistes, ni colonialistes, ni "islamophobes". Nous, les universalistes, humanistes, nous voilà coupables de considérer tous les hommes égaux face aux nouveaux racistes qui défendent la naissance comme identité, la couleur de peau comme personnalité, qui excusent l'antisémitisme quand il émane de la religion des opprimés, l'homophobie et la misogynie quand elles sont dites par des cultures non occidentales.

Ça suffit ! Soyons conscients des erreurs honteuses du passé et fiers des avancées humanistes, mais cessons de retenir notre cri face à l'horreur de l'islamisme. L'islamisme tue des musulmans athées au Pakistan, des étudiants iraniens, des femmes indonésiennes, des catholiques nigérians, des mécréants partout, des juifs en Occident comme en Israël...

Nous pouvons remercier ceux qui se battent et qui meurent là-bas pour défendre ce qui n`est plus unanimement partagé ici, par lâcheté, par peur, par culpabilité mal placée. Soyons à leur hauteur. »

Journaliste, romancière, essayiste, Abnousse Shalmani est notamment l'auteure, chez Grasset, de Khomeiny, Sade et moi (2014), d'Éloge du métèque (2019) et de J'ai péché, péché dans le plaisir (2024).

Mon avis :
J'ai lu d'un trait ce discours de l'autrice, écrit à l'occasion de la remise du prix de la Laïcité 2023 par le Comité Laïcité République, dont elle a été présidente - je pourrais presque dire "j'ai bu d'un trait", tant ces mots, cette saine colère, font du bien en ce temps d'inversion douteuse des valeurs.

Bien sûr, Abnousse Shalmani définit la laïcité, l'histoire glorieuse de ses combats, mais surtout, elle la contextualise, car il y en a grand besoin en notre époque agitée par les conflits liés à l'appartenance religieuse, et l'importation de ceux-ci dans la sphère politique française. Fille d'émigrants iraniens, elle est arrivée en France à 8 ans, elle est devenue profondément Française, imprégnée de notre culture et littérature - qu'elle a parfaitement intégrées ; elle n'aime du reste pas qu'on la qualifie de franco-iranienne ou qu'on regrette qu'elle ait "perdu son accent". Le fil de son propos est tranchant, mais elle argumente avec méthode, tout paraît justifié et limpide.

Imaginons seulement la détresse de nouveaux arrivants en France, de vrais opposants politiques dans leur pays, imaginons des Iraniens, des Afghans, des Syriens, des Turcs, des Algériens, sincères dans leur confiance en la France, patrie des droits de l'homme... lorsqu'ils retrouvent chez nous les mêmes pressions communautaires qu'ils ont fuies, la même violence, les mêmes menaces, contre lesquelles nombre de Français réagissent mollement, et qu'ils laissent se développer. Imaginons des femmes qui ont lutté dans la rue pour ne plus porter le voile, pour que leurs sœurs ne soient plus battues à mort par des enragés de la police des mœurs parce qu'une mèche dépasse de sous leur foulard, ou encore, pour que les jeunes filles puissent étudier et sortir, ou encore travailler, sans une lourde surveillance, qui arrivent en France et constatent que le mal est déjà là.

Abnousse Shalmani est nourrie aux idées des Lumières, aux romans des libertins, elle considère que la tradition française de la caricature et du blasphème assure une protection envers les idées de toutes et tous, une liberté que nous devons protéger à présent qu'elle est menacée, maintenant qu'on meurt en France pour un prétendu irrespect religieux, qu'on meurt d'enseigner selon notre tradition républicaine. Sommes-nous, Français, si "vautrés dans la liberté" que nous ne savons plus l'apprécier ? Comprendrons-nous la force de notre laïcité quand il sera trop tard ?

Une dernière partie évoque la tendance française à importer des idéologies comme le wokisme américain, ou l'antiracisme issu de la déconstruction décoloniale. L'autrice défend l'idée que tout pays doit certes connaître et reconnaître ses erreurs, accepter son histoire dans son entièreté, mais ne doit pas se laisser dicter de l'extérieur une culpabilité malvenue, car à ce compte, toutes les civilisations ont été colonisatrices ou esclavagistes, l'Orient compris. Il est bon de s'appuyer sur ces erreurs, reconnues en tant que peuple, pour progresser et nous assurer un meilleur avenir. Tel est le message fort et humaniste de cette amoureuse de la laïcité et de la liberté, un message que nous nous devons de prendre en compte, car les menaces qui pèsent sur notre trilogie républicaine (Liberté, Égalité, Fraternité) sont un combat à reprendre et à ne plus délaisser.

Un essai bref, facile à lire mais empreint de connaissances, de culture, à la fois bien françaises et universelles, une source de réflexion indispensable : ce petit format est tout cela, dans un langage parfois un brin trop familier, et certaines références que je ne partage pas tout à fait (le libertinage débridé comme émancipation de la femme, par exemple). Il serait dommage de s'en priver, cela ne court pas les rues, et la période se prête bien au besoin de se poser et d'utiliser son cerveau. 4,5/5

Citations :
Le droit à la différence qui vous est si cher n'est une liberté que si elle est assortie du droit d'être différent de sa différence. Dans le cas contraire, c'est un piège, voire un esclavage.
Neutralité n'est pas passivité, ni liberté simple tolérance. La laïcité a toujours été un rapport de force. Est-ce au moment où les religions sont de nouveau en appétit de combat qu'il faut abandonner ce que vous appelez "la laïcité de combat" au profit des bons sentiments ? La figure française de la démocratie a pour nom République. Ce n'est pas une mosaïque de ghettos où la liberté pour tous peut venir s'habiller de la loi du plus fort.

Tribune du 2 novembre 1989 dans Le Nouvel Observateur : Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Régis Debray, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler s'adressent à Lionel Jospin, alors Ministre de l'Éducation, après l'affaire de Creil. (page 13)

Je crois qu'il n'y a qu'en France où l'apprentissage de la langue (qui permet, je le rappelle pour les distraits, de se repérer dans le métro, de faire ses courses, d'aider ses enfants à faire leurs devoirs, de comprendre ce qui se dit à la télé tout comme de bavarder avec le voisin du troisième et même de pouvoir trouver du travail, en résumé de vivre sans le sentiment d'avoir les oreilles bouchées) est considéré comme discriminatoire. (page 29)

Nous, les laïcs, universalistes, humanistes sommes accusés de défendre la liberté et la laïcité, nous sommes accusés de ne pas respecter les minorités, de ne pas être tolérants, d'être de vieux cons.
Et pourtant... Le camp d'en face ment. Il ment monumentalement. Il ment et trahit l'humanisme le plus élémentaire. Celui qui refuse de réduire l'homme à sa naissance, qui refuse de l'abandonner au boulet de l'essentialisme. (page 52)

L'antiracisme n'est qu'une série de discriminations raciales élevées au rang d'idéologie de la mélanine. (page 55)

L'histoire n'est pas là pour vous rassurer ou vous aider à dépasser votre mal-être, l'histoire n'est pas un manuel de savoir-vivre ou de coaching, l'histoire n'est ni belle, ni moche, ni méchante, ni gentille. Elle est. La seule chose que peut faire l'histoire pour nous, c'est de comprendre les mécanismes, les logiques, les idée qui l'ont façonnée. (page 62)

Ça suffit ! Le passé occidental n'est pas plus honteux que l'oriental. Et au contraire du monde oriental qui refuse toute remise en question, l'Occident a aboli l'esclavage et inventé les droits de l'homme. (page 64)

Soyons à la hauteur des sacrifices tout autour du monde, de ceux qui meurent pour respirer l'oxygène indispensable de la liberté. (page 74)

Merci Elea pour cette magnifique critique.
Je n'ajouterai qu'une chose. Ce livre est à mettre entre toutes les mains et à partager sans modération tellement il est riche et documenté.

Merci Véronique M., c'est vrai qu'on a vraiment envie de le recommander !