[Colette] La fin de Chéri
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[Colette] La fin de Chéri
Résumé de l'éditeur :
« Tout est foutu ! J’ai trente ans ! » : exaltation et désespoir de Chéri, alors qu’il revient de la Grande Guerre et ne reconnaît plus le monde qu’il a quitté. L’heure est au négoce et à l’appât du gain. Son épouse, autrefois muette et effrayée, gère désormais les affaires du couple. Son ancienne maîtresse est devenue une vieille femme obèse qui a tiré un trait sur sa vie passée. En retournant à son existence oisive d’avant-guerre, Chéri ne sait plus quel rôle tenir et découvre son incapacité à s’adapter. Désœuvré et apathique, enfermé dans une solitude complète et étranger aux valeurs auxquelles se raccroche la société, le jeune homme choisira la mort.
Représentant de cette génération ravagée par un nouveau mal du siècle, Chéri prend place parmi les grandes figures romanesques de l’immédiat après-guerre, aux côtés des héros de Mauriac, de Radiguet, de Cocteau ; de ceux, en somme, qui ont donné la parole à l’adolescence inquiète et aux enfants terribles.
Mon avis :
Nous retrouvons avec cette suite Chéri, après une ellipse de 5 ans : le jeune homme nonchalant et gâté a traversé la guerre, et il est revenu inchangé, alors que tout autour de lui est différent, agité par le travail et l'appât du gain. Chéri a les moyens de rester oisif, du reste Edmée, sa ravissante épouse devenue infirmière s'occupe des affaires et le relègue à un rôle secondaire, peut-être décoratif, bien qu'elle n'éprouve plus guère de sentiments pour lui. Chéri ne retrouve pas sa vie, et tout lui manque, particulièrement Léa...
Le point de vue adopté est cette fois bel et bien celui de ce jeune homme de trente ans, si beau toujours, mais dépourvu d'envie de vivre, de se battre, de se motiver pour les mêmes valeurs que son entourage. Peu à peu, il comprend qu'il perd toutes ses connaissances une par une ; même Desmond le lâche, lui qui a ouvert un dancing et croule sous les projets d'agrandissement. Chéri essaie d'abord de retrouver la vie qu'il a connue, de s'occuper : il prend la voiture, conduit toute la journée, pour fuir la vie mondaine de sa femme, les visiteurs qu'il n'aime pas. Il essaie même d'accompagner Edmée à son hôpital, mais peine perdue : rien ne lui va, rien ne lui est naturel. Il faut qu'il revoie Léa.
La visite chez Léa est centrale, mais ne fera que lui faire prendre conscience avec une peine aiguë que tout est consommé, qu'il n'y a plus rien pour lui. Léa est la même qu'avant, sinon une gaieté ou gaillardise forcée, mais elle a vieilli et a abdiqué toute féminité. Elle vit bien et connaît un bonheur confortable et tranquille - Chéri, lui, mesure le gouffre ouvert sous ses pieds, le trou noir du Temps qui se dévore lui-même et plonge sa vie à venir dans l'inutilité. Il ne trouvera un peu de réconfort que dans une ultime étape de sa vie, où la vieille Copine, qu'il a retrouvée, lui procure un refuge et lui conte la Léa d'autrefois. Obsédé par Léa, puis dévitalisé, Chéri erre, ne dort pas, et s'use lentement, miné par ce trou de cinq ans qui a ruiné sa vie.
Le roman est poignant, et bien que Chéri reste Chéri, souvent égoïste, autoritaire, cynique quand il devrait être ému, amusé quand il devrait faire preuve d'empathie, le point de vue nous projette dans sa conscience, ou plutôt, puisque Chéri pense peu, dans ses sensations. Colette dit tout à travers des notations sensorielles, dans ce Paris d'après-guerre écrasé par la canicule, les odeurs sont reines. Que la Copine lui détaille les toilettes anciennes de Léa, les étoffes, leurs couleurs, et Chéri retrouve ses souvenirs enfouis, renoue fugacement avec sa jeunesse perdue. Les dialogues sont toujours un peu affectés, mais Colette réussit ce tour de force de nous faire cohabiter avec Chéri, et nous inquiéter pour lui, avoir le cœur serré comme si nous avions vécu dans les mêmes lieux que lui et perdu la même vie. 4,5/5
Citations :
Elle traversa une salle et posa sa main en passant sur l'épaule de Chéri, mais il sut qu'elle voulait, par ce geste de tendresse et de possession délicate, faire rougir d'envie et d'irritation une jeune infirmière brune qui regardait Chéri avec une candeur de cannibale. (page 58)
Entraîné au loisir par sa vie de jeune homme voluptueux, il avait impunément vu dépérir de mutisme, de solitude et d'impuissance, autour de lui, des compagnons vulnérables et frais. Il avait assisté aux ravages qu'opérait, sur des êtres intelligents, la disette de papier imprimé, comparable à la privation d'un toxique quotidien. Alors que, contenté d'une lettre brève, d'une carte postale, d'un colis savamment bourré, il retombait dans le silence et la contemplation comme un chat dans un jardin nocturne, des hommes, dits supérieurs, lui montraient leur délabrement d'affamés. (page 59)
Car la canicule sèvre les grandes villes, et leurs abords, au lever du jour, des roses mouillées, des mauves floraux et des bleus de rosée qui baignent les espaces où le végétal en foule respire. (page 118)
L'extrême beauté ne suscite point de sympathie, n'appartient à aucune patrie, et le temps ne touchait à celle-ci que pour la rendre plus sévère. L'intelligence, chargée d'amender, en la dégradant à petits coups, la splendeur humaine, respectait en Chéri un admirable édifice consacré à l'instinct. Que pouvaient l'amour, ses machiavélismes, son abnégation intéressée et ses violences, contre ce porteur inviolable de lumière et sa majesté d'illettré ? (page 123)
Maintenant, il s'éloignait de tous les étrangers qui peuplaient sa maison, et son pas sur le sable faisait un doux bruit de pattes légères. La couleur grise et argentée de son vêtement le rendait pareil au brouillard descendu sur le Bois, et deux ou trois promeneurs nocturnes envièrent ce jeune homme pressé qui n'allait nulle part. (page 138)
elea2020- Grand sage du forum
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