[Bess, Georges] Dracula

Résumé de l'éditeur :
Un chef d’œuvre gothique à la beauté ténébreuse...

En 1897, le public découvre dans les pages d’un roman épistolaire écrit par Bram Stoker l’extraordinaire personnage de Dracula, être immortel qui se repaît du sang des vivants pour les transformer à leur tour en créatures maléfiques. Si Stoker n’a pas inventé la figure du vampire, il lui a malgré tout conféré sa forme moderne en faisant du comte Dracula une figure iconique et emblématique inspirant des générations d’auteurs. Et bien que le roman ne fût pas un best-seller immédiat, il connut un écho mondial à travers des adaptations cinématographiques devenues au moins aussi cultes que l’œuvre d’origine.

Pour la bande dessinée, l’immense Georges Bess s’attaque aujourd’hui à nous donner sa version du mythe tout en s’attachant à retranscrire au plus près l’âme du roman. Armé du brio graphique qu’on lui connaît, il fait le choix du noir et blanc, dans des planches à la beauté ténébreuse, pour mettre en valeur la puissance de son trait et lui conférer un souffle gothique assez inédit chez lui. Son Bram Stoker Dracula est une œuvre de virtuose qui démontre, une fois de plus, que Bess est sans conteste l’un des grands dessinateurs de la bande dessinée contemporaine.

Une version grand format de l’ouvrage sera proposée afin de profiter pleinement de la maestria graphique de l’auteur.

Mon avis :
Je tiens à dire que ce livre magnifique (l'édition prestige définitive) m'a été offert par un proche qui connaît mes goûts en matière de littérature fantastique anglophone. Quel ouvrage ! Et ce d'autant plus qu'il est remarquablement fidèle au roman épistolaire de Bram Stoker.

Georges Bess aura choisi de ne pas reproduire le caractère épistolaire du roman, mais il nous place dans la même situation que le lecteur du Dracula original, en faisant alterner les points de vue, celui de Mina en Angleterre, et celui de Jonathan au château du comte, en Transylvanie. Comme dans le roman, nous ne saurons que petit à petit de quoi il retourne, le mystère s'épaissit en même temps que les morsures au cou se multiplient...

Peut-on encore spoiler une œuvre aussi connue que Dracula ? J'ai tendance à penser que non, mais je vais éviter de trop en révéler. Pendant que Mina, la fiancée de Jonathan, s'inquiète pour son amie Lucy, le jeune homme comprend qu'il est prisonnier du Comte Dracula, qui l'a fait venir pour signer l'acquisition de propriétés à Carfax, près de Londres. Il s'avère que le lien entre les deux affaires est plus solide qu'on ne peut le penser, et trois jeunes hommes aux spécialités diverses vont faire équipe pour sauver Lucy, puis Mina, avec le célèbre Professeur Van Helsing. Quel personnage ce Van Helsing ! Tout à la fois érudit et homme d'action à la volonté de fer, qui manie le crucifix comme l'épée, en déclamant des formules d'exorcisme.

Le trait noir et blanc est saisissant de finesse, de force et de précision, avec une qualité baroque, voire psychédélique, qui ne peut qu'évoquer au mieux la sulfureuse et mortelle séduction des vampires, qu'ils soient masculins comme Dracula ou féminins comme les succubes en son château des Carpathes. Je me suis surprise à arrêter ma lecture, parce que je ne voulais pas qu'elle aille trop vite. Les planches sont pensées en page à part entière, dans laquelle se fondent harmonieusement les vignettes, toujours disposées au mieux pour l'effet voulu. L'auteur se dit "mercenaire" de la BD : cette qualité de combattant lui a permis de réaliser ce chef d'œuvre pictural et dramatique irremplaçable à présent.

Le scénario n'est pas second : tout y est, chaque personnage a son heure de gloire, de même que l'accélération du temps, de l'urgence se fait bien sentir. Pourtant, c'est également stylisé, les descriptions sont visuelles et terriblement évocatrices - ah ! l'arrivée de Jonathan seul au col de Borgo, alors que résonnent dans la nuit tombante les hurlements des loups... Un charme vénéneux se dégage des scènes liées au vampirisme, et il en va de même dans la courte nouvelle en fin de volume, L'Invité de Dracula, avec un peu plus de distance et d'humour. Bien sûr, on pense aussi au Dracula de Francis Ford Coppola, qui innovait tout en étant fidèle au roman. Ce ne peut être qu'un 5/5.

Un exemple de page :



Citations :
Pour me rendre en Transylvanie, il m'a fallu traverser plusieurs pays, changer à maintes reprises de train, passer par de nombreuses villes : Munich, Vienne, Budapest...
En quittant Budapest, j'ai eu la sensation de laisser l'occident derrière moi et de pénétrer en orient... (Jonathan, page 16)

Cette extravagante vision fut si brève que je choisis de croire que mes yeux fatigués m'avaient joué un tour... Tout cela était si incompréhensible, si aberrant, que de nouveau une peur indicible m'envahit. (Jonathan, page 31)

Le comte était derrière moi et ce n'est pas tant sa voix qui me fit sursauter que le fait de n'avoir pas vu son reflet dans ma glace ! (Jonathan, page 46)

Le lendemain, le professeur Van Helsing se rendit à la première heure à la bibliothèque du British Museum, où il entreprit des recherches parmi des textes archaïques et d'obscures sources... (Mina, page 98)

- Je ne crois pas que l'on puisse parler de "profanation", sir Arthur. Ni de violation de sépulture. Dites-nous ce que contient le cercueil, Jack...
- Il ne contient... RIEN ! Il est absolument... VIDE !
- Êtes-vous convaincus, à présent, mes amis ? Il ne peut être question de violation de sépulture, c'est-ce pas ? (Page 116)

- Rentrez seul à Munich, mon ami ! Cette Walpurgis nacht ne concerne pas les Anglais ! (L'Invité de Dracula, page 5)