[Jelinek, Elfriede] Les amantes.
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Votre avis sur Les amantes d'Elfriede Jelinek
[Jelinek, Elfriede] Les amantes.
Titre : Les amantes.
Auteur : Elfriede Jelinek.
Editeur : Points.
Nombre de pages : 220.
Quatrième de couverture :
Brigitte coud des soutiens-gorges à l'usine. Pour fuir le quotidien, elle tombe dans les bras de Heinz, l'électricien qui aura bientôt un magasin à lui. Paula, elle, rêve à l'amour des romans-photos. Elle jette son dévolu sur Erich, le beau bûcheron qui lui préfère les motos et l'alcool. Peut-on vraiment échapper à son destin ? Sans concession, Elfriede Jelinek fait voler en éclats une spécialité autrichienne : l'idylle.
Mon avis : challenge Prix Nobel 1
Ma première réaction est simple : j'ai l'impression qu'aucune féministe n'a mis les pieds dans ce coin d'Autriche que décrit Elfriede Jelinek. Je me suis retrouvée dans une période d'avant Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, alors que l'action se situe clairement dans les années soixante-dix. Pour les femmes, il n'existe que deux statuts possibles : vendeuses et ouvrières pour les célibataires, ménagères pour celles qui ont réussi à se faire épouser. Le bonheur ne peut venir que d'un homme, du foyer qui sera tenu pour lui, des enfants qu'il donnera. Le mari pourra ainsi donner des ordres à sa femme, ce qui compensera les brimades qu'il subit dans son travail, et la battre, ce qui le défoulera. La femme et le mari, de concert, pourront à leur tour battre les enfants, qui semblent avoir été spécialement conçus à cet effet, à moins que la chance ne leur sourie et qu'une situation meilleure (commerçant !) ne s'offre à eux. La vieillesse est un horizon sordide, où le peu de corps qui est encore vivace ne sert qu'à souffrir davantage. Les vieillards ? Encore des personnes qui peuvent servir de défouloir.
Autant dire que cette vision noire et résignée de l'existence choque. Seuls quelques jeunes adultes ont encore des rêves. Parmi eux, Brigitte et Paula, les deux amantes qui donnent leurs noms au titre, Heinz et Erich, leurs amants. Brigitte, fille naturelle, veut Heinz, rien que lui, c'est son but dans la vie. Elle le veut car il a un métier : électricien. Il va devenir patron, et elle s'imagine très bien travailler à ses côtés plutôt que de continuer la couture à l'usine. Lui, Heinz, veut Susi, lycéenne de son état (elle apprend la cuisine), parce qu'elle est plus cultivée que lui et qu'elle ferait bon effet, à son bras, au magasin. Si les parents de Susi sont inquiets, ce n'est pas le cas de la jeune fille, qui a tôt fait de les rassurer : elle ne veut pas d'un homme d'une condition inférieure à la sienne.
Paula est dans une situation pire que Brigitte. Elle aime Erich, battu comme plâtre par tous les membres de sa famille, esclave domestique en titre. Il est bûcheron, il est alcoolique, la seule chose qu'il a en tête est un moteur d'automobile. Paula a à peine quinze ans qu'elle voit en lui LE bonheur, comme dans les romans-photos. Elle abandonnera même pour lui ses études de couture, qu'elle a eu tant de peine à avoir le droit de suivre. Les études, un métier, cela n'apporte rien.
Brigitte et Paula usent des mêmes armes pour obtenir ce qu'elles veulent : leurs minces talents de ménagères, leur assiduité (aucune humiliation ne les rebute), et surtout, leurs corps. Le but n'est pas de le retenir par leurs charmes, mais de tomber enceinte (la grossesse, dans ce cas, peut être vraiment une chute) et d'ainsi forcer l'homme à "réparer ses torts". Elles réussiront, toutes les deux - à quel prix, encore une fois.
Ce qui rend cette histoire si singulière est le style d'Elfriede Jelinek. Un style très particulier à lire, puisqu'elle bannit les majuscules et nomme parfois ses personnages juste par l'initiale de leurs prénoms. Un style enfin où le cynisme est omniprésent et salutaire, afin que rien de la réalité sordide ne soit épargné au lecteur. Les répétitions, voulues, sont nombreuses, et retentissent comme une ritournelle tragique. Puisque les personnages reproduisent à l'infini le même schéma, pourquoi le texte ne reproduirait-il pas les mêmes phrases ?
La lecture de ce livre m'a vraiment permis de sortir de mon univers littéraire de référence. Je vous conseille très sincèrement de découvrir cette auteur.
Auteur : Elfriede Jelinek.
Editeur : Points.
Nombre de pages : 220.
Quatrième de couverture :
Brigitte coud des soutiens-gorges à l'usine. Pour fuir le quotidien, elle tombe dans les bras de Heinz, l'électricien qui aura bientôt un magasin à lui. Paula, elle, rêve à l'amour des romans-photos. Elle jette son dévolu sur Erich, le beau bûcheron qui lui préfère les motos et l'alcool. Peut-on vraiment échapper à son destin ? Sans concession, Elfriede Jelinek fait voler en éclats une spécialité autrichienne : l'idylle.
Mon avis : challenge Prix Nobel 1
Ma première réaction est simple : j'ai l'impression qu'aucune féministe n'a mis les pieds dans ce coin d'Autriche que décrit Elfriede Jelinek. Je me suis retrouvée dans une période d'avant Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, alors que l'action se situe clairement dans les années soixante-dix. Pour les femmes, il n'existe que deux statuts possibles : vendeuses et ouvrières pour les célibataires, ménagères pour celles qui ont réussi à se faire épouser. Le bonheur ne peut venir que d'un homme, du foyer qui sera tenu pour lui, des enfants qu'il donnera. Le mari pourra ainsi donner des ordres à sa femme, ce qui compensera les brimades qu'il subit dans son travail, et la battre, ce qui le défoulera. La femme et le mari, de concert, pourront à leur tour battre les enfants, qui semblent avoir été spécialement conçus à cet effet, à moins que la chance ne leur sourie et qu'une situation meilleure (commerçant !) ne s'offre à eux. La vieillesse est un horizon sordide, où le peu de corps qui est encore vivace ne sert qu'à souffrir davantage. Les vieillards ? Encore des personnes qui peuvent servir de défouloir.
Autant dire que cette vision noire et résignée de l'existence choque. Seuls quelques jeunes adultes ont encore des rêves. Parmi eux, Brigitte et Paula, les deux amantes qui donnent leurs noms au titre, Heinz et Erich, leurs amants. Brigitte, fille naturelle, veut Heinz, rien que lui, c'est son but dans la vie. Elle le veut car il a un métier : électricien. Il va devenir patron, et elle s'imagine très bien travailler à ses côtés plutôt que de continuer la couture à l'usine. Lui, Heinz, veut Susi, lycéenne de son état (elle apprend la cuisine), parce qu'elle est plus cultivée que lui et qu'elle ferait bon effet, à son bras, au magasin. Si les parents de Susi sont inquiets, ce n'est pas le cas de la jeune fille, qui a tôt fait de les rassurer : elle ne veut pas d'un homme d'une condition inférieure à la sienne.
Paula est dans une situation pire que Brigitte. Elle aime Erich, battu comme plâtre par tous les membres de sa famille, esclave domestique en titre. Il est bûcheron, il est alcoolique, la seule chose qu'il a en tête est un moteur d'automobile. Paula a à peine quinze ans qu'elle voit en lui LE bonheur, comme dans les romans-photos. Elle abandonnera même pour lui ses études de couture, qu'elle a eu tant de peine à avoir le droit de suivre. Les études, un métier, cela n'apporte rien.
Brigitte et Paula usent des mêmes armes pour obtenir ce qu'elles veulent : leurs minces talents de ménagères, leur assiduité (aucune humiliation ne les rebute), et surtout, leurs corps. Le but n'est pas de le retenir par leurs charmes, mais de tomber enceinte (la grossesse, dans ce cas, peut être vraiment une chute) et d'ainsi forcer l'homme à "réparer ses torts". Elles réussiront, toutes les deux - à quel prix, encore une fois.
Ce qui rend cette histoire si singulière est le style d'Elfriede Jelinek. Un style très particulier à lire, puisqu'elle bannit les majuscules et nomme parfois ses personnages juste par l'initiale de leurs prénoms. Un style enfin où le cynisme est omniprésent et salutaire, afin que rien de la réalité sordide ne soit épargné au lecteur. Les répétitions, voulues, sont nombreuses, et retentissent comme une ritournelle tragique. Puisque les personnages reproduisent à l'infini le même schéma, pourquoi le texte ne reproduirait-il pas les mêmes phrases ?
La lecture de ce livre m'a vraiment permis de sortir de mon univers littéraire de référence. Je vous conseille très sincèrement de découvrir cette auteur.
Dernière édition par Sharon le Mer 22 Déc 2010 - 13:56, édité 1 fois
Sharon- Modérateur
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Nombre de messages : 13263
Age : 46
Localisation : Normandie
Emploi/loisirs : professeur
Genre littéraire préféré : romans policiers et polars
Date d'inscription : 01/11/2008
Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
j'ai en projet de lire la pianiste, du même auteur
superbe film, dur, mais superbement joué par Annie Girardot, et Isabelle Huppert
superbe film, dur, mais superbement joué par Annie Girardot, et Isabelle Huppert
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Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
Je l'ai vu aussi à sa sortie. C'est pour cette raison que je n'ai pas choisi ce titre, j'ai eu peur de me laisser influencer par le film, que je me souviens avoir beaucoup apprécié.
Sharon- Modérateur
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Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
Bel avis Sharon. Auteure difficile, lecture ardue, c'est certain que ça sort des sentiers battus...
B
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Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
je n'avais pas fait le rapprochement avec les Nobel.....ça m'en fera un de plus
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Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
Merci Sharon, j'ai vraiment envie de découvrir cette auteure (et ce que tu en dis me fait penser à un autre auteur autrichien que j'adore, Thomas Bernhard).
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Re: [Jelinek, Elfriede] Les amantes.
mimi54 a écrit:j'ai en projet de lire la pianiste, du même auteur
superbe film, dur, mais superbement joué par Annie Girardot, et Isabelle Huppert
J'aimerais lire celui-là également, il est dans ma LAL. Mais je ne connais pas le film.
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