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[Márai, Sándor] Métamorphoses d'un mariage

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Message par Thot Sam 29 Nov 2008 - 14:14

Ce livre a été lu dans le cadre de la lecture commune de novembre - décembre 2008.

[Márai, Sándor] Métamorphoses d'un mariage 97822510


Ilonka, Peter, Judit sont les acteurs d’un même drame. Chacun à leur tour, ils confient « leur » histoire comme on décline un rôle. L’épouse amoureuse et trahie. Le mari cédant à la passion. La domestique ambitieuse qui brise le couple.
En trois récits-confessions qui cernent au plus près la vérité des personnages par un subtil jeu de miroirs, Sándor Márai analyse avec une finesse saisissante sentiments et antagonismes de classe. Mais, au-delà, c’est la fin d’un monde et d’une société – la bourgeoisie hongroise de l’entre-deux-guerres – que dissèque avec lucidité le grand écrivain de la Mitteleuropa.


Dernière édition par Thot le Jeu 18 Déc 2008 - 21:31, édité 1 fois
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Message par Thot Dim 30 Nov 2008 - 17:45

Sujet désormais ouvert! Smile
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Message par audreyzaz Dim 30 Nov 2008 - 17:47

Mon avis :

Mon avis :

Je n'ai pas aimé ce livre, je me suis ennuyée du début à la fin, d'ailleurs je n'ai même pas réussi à le finir. Beaucoup trop de longueurs, trop de monologues, récit trop lent, je ne regrette pas de m'être arrêtée je n'en pouvais plus, j'étais presque en train de me dégouter de la lecture.
Pourtant le résumé semblait prometteur mais rien à faire, je n'ai pas été séduite. Dommage.
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Message par Invité Dim 30 Nov 2008 - 23:03

Personnellement j'ai beaucoup aimé ce livre, il est vrai qu'il peut paraitre déstabilisant les trois, quatre (si on compte l'épilogue) qui le compose sont très différentes, presque indépendantes si elles ne reprenaient pas les mêmes personnages. Ca commence par la dissection d'un mariage et ça termine par une réflexion sur la culture, en passant sur un discours sur la lutte des classes. J'ai peiné à certains moments, mais il n'empêche que ça a été une découverte appréciable et que je ne manquerai pas de relire cet auteur.

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Message par Thot Mer 10 Déc 2008 - 17:10

Ce livre est d'une richesse incroyable au point où je pense qu'il faut le relire plus d'une fois pour en saisir tout le sens!

La description du ressenti de chaque personnage est tellement juste! et Marai sait tellement "se mettre dans la peau" de ses personnages féminins qu'il n'est pas sans me rappeler le style de Zweig, chez qui j'ai perçu cette même sensibilité.Une vraie "autopsie" psychologique.
Les mots sont si bien choisis et décrivent bien les états d'âme de chacun, je me suis même demandée s'il n'y avait pas quelques éléments autobiographique dans ce roman?

De multiples thèmes sont abordés, les principaux étant le parallèle entre la vie des bourgeois avec leurs petites habitudes et celle des gens défavorisés ainsi que l'interaction entre les deux, la futilité des choses matérielles (destruction et pertes pendant la guerre) et l'insatisfaction dans les rapports homme/femme.
Que recherche t-on finalement chez l'Autre? pourquoi pense-t-on que l'Autre est la clé de notre bonheur?

Une bonne partie du roman analyse également les transformations opérées dans la société hongroise à cette époque là (L'après-guerre, l'émigration aux USA, le système communiste/capitaliste...)et contient des réflexions autour de l'art et de l'écriture.
Quelques passages sont certes longs mais cette lecture a été un réel plaisir pour moi!
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Message par Thot Mer 10 Déc 2008 - 17:41

Je n'ai pas fait d'annotations et je l'ai lu dans des conditions pas très terribles (Trajets en train et bus) Very Happy mais je te rejoins dans ce que tu en dis.
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Message par Thot Mer 10 Déc 2008 - 17:51

Francine a écrit:Dis Thot ?
Comment en avais tu entendu parler ? Rolling Eyes

Très bonne question...découvert au fil de mon surf sur la toile Very Happy
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Message par Thot Jeu 18 Déc 2008 - 21:37

sondage rajouté! merci de voter
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Message par Invité Sam 20 Déc 2008 - 13:03

Je n'ai pas choisi de lire ce livre. En effet, le résumé ne m'attirait pas trop. Néanmoins, je note quand même le titre car, au vu de vos critiques, c'est un livre qui semble très intéressant à lire et qui aborde pas mal de thèmes.

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Message par Invité Sam 20 Déc 2008 - 13:13

Mais j'ai pu voir dans un poste qu'il y avait des difficultes à se le procurer. Est-il en rupture de stock ?

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Message par Invité Sam 3 Jan 2009 - 19:28

J'ai fini "Métamorphoses...", ma première lecture après mon inscription sur ce forum. Je n'aurai jamais découvert ce bouquin sans vous. Merci.
J'ai aimé. Pas facile au départ, la forme parlée est difficile à suivre. Il y a parfois quelques longueurs.
Reste que les écarts de vues entre les 3 personnages sont passionnants à découvrir. Il y a quelques pages sur la passion et l'amour vécu par Peter qui m' ont paru justes.
Voilà, ce que j'ai lu parfois est entré en résonance avec des choses ressenties. Ca c'est toujours un moment de lecture fort.

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Message par Thot Sam 3 Jan 2009 - 19:49

Michel70 a écrit:J'ai fini "Métamorphoses...", ma première lecture après mon inscription sur ce forum. Je n'aurai jamais découvert ce bouquin sans vous. Merci.
J'ai aimé. Pas facile au départ, la forme parlée est difficile à suivre. Il y a parfois quelques longueurs.
Reste que les écarts de vues entre les 3 personnages sont passionnants à découvrir. Il y a quelques pages sur la passion et l'amour vécu par Peter qui m' ont paru justes.
Voilà, ce que j'ai lu parfois est entré en résonance avec des choses ressenties. Ca c'est toujours un moment de lecture fort.

Michel70, contente de voir que tu as pu apprécier cette lecture, tu peux également citer ce livre dans tes coups de cœur de Décembre ICI
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Message par Invité Mar 6 Jan 2009 - 20:27

Francine a écrit: merci Michel70 pour ton avis et ta participation, comme toi je n'aurais jamais lu ce livre ... sans la lecture commune de novembre-décembre.

Comment as-tu compris le dernier chapître ? L'épilogue ?

Pour moi ce chapitre sert à clore l'histoire.
On y apprend la fin de Judit, et comment Peter termine sa vie en Amérique.
C'est un échec complet pour lui, il a perdu les deux femmes de sa vie.
Son monde ancien a disparu et le nouveau monde ne lui a rien apporté.
Même le barman a perdu : il n'est plus batteur d'orchestre.
Son nouveau métier ne lui apporte que le confort matériel.
Il nous dépeint un monde plutôt sordide.
C'est la fin de tous les rêves.
C'est quand même un bouquin noir

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Message par Thot Mar 6 Jan 2009 - 20:29

N'oublie pas de voter dans le sondage Michel70 Smile
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Message par Thot Mar 6 Jan 2009 - 20:39

Francine a écrit: merci Michel70, j'ai cru voir dans ce chapitre Sandor Marai...

Moi aussi...je ne sais pas si je l'ai dit dans ma critique mais il y a quelque chose d'autobiographique dans ce roman.
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Message par Invité Mer 7 Jan 2009 - 17:50

Thot a écrit:
Francine a écrit: merci Michel70, j'ai cru voir dans ce chapitre Sandor Marai...

Moi aussi...je ne sais pas si je l'ai dit dans ma critique mais il y a quelque chose d'autobiographique dans ce roman.

Possible, il a lui même immigré aux Etats Unis et a fini par s'y suicider, ne supportant plus son exil.
Ca correspond bien à la couleur du dernier chapitre.
Le barman parle à son auditeur des écrivains américains, pourquoi aborder un tel sujet sauf si l'auditeur est lui même écrivain.

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Message par Invité Mer 14 Jan 2009 - 21:11

Voilà je vous livre ma critique de Métamorphoses d'un mariage... Je n'ai toujours pas lu tous les commentaires que vous avez déjà posté, ce que je ne manquerai pas de faire une fois cette critique postée. Smile

Métamorphoses d’un mariage. Sandor Marai.

A la lecture de ce livre j’ai eu l’impression de m’enfoncer de plus en plus dans la complexité. Au départ je pensais simplement qu’il s’agissait tout naturellement du récit d’un mariage raconté par les 3 protagonistes de l’affaire, à savoir la femme Ilonka, le mari Péter et l’amante Judit. Je suis donc resté très longtemps sur cette image d’un couple en devenir, je croyais lire une histoire romantique, intimiste, une sorte de vau-de-ville où l’accent serait délibérément mis sur l’étude psychologique des personnages. Mais en réalité il serait très réducteur de ne considérer que cet aspect de cette œuvre, bien que celui-ci soit très présent et très abouti à l’instar de son aîné et maître du genre, Stéfan Zweig. L’œuvre glisse lentement vers des considérations philosophiques étendues abordant les thèmes de la Culture, l’art, l’artiste et son œuvre ; l’amour et la passion ; la solitude, solitude constructive, solitude destructive ; la lâcheté ; l’ordre sociale, la bourgeoisie, le prolétariat ; le socialisme et le communisme comme modèle idéologique et social ; la fin d’un âge, la mort d’une époque… Tout cela en un seul roman !!!
Le roman de Marai donc est un objet à double face, c’est un roman psychologique, une étude de mœurs en même temps qu’un complexe essai métaphysique et philosophique. Et si l’on ne s’attache qu’à un aspect de cette œuvre on en perd toute la richesse. D’un autre côté aussi il n’est pas aisé d’en comprendre le sens dans sa globalité, d’autant que le récit se déploie dans un contexte historique bien précis dont personnellement je n’ai qu’une très grossière idée. Pas simple donc !!!

« Métamorphoses ?... » Vous avez dit « Métamorphoses… d’un mariage. Un seul ? »

La construction de ce roman est très originale. Le livre est divisé en trois parties (sans compter l’épilogue écrit plus tardivement). Chacune d’elle est le récit d’une même histoire racontée par les personnages principaux. Le lecteur est directement pris à partie dans cette histoire. Les personnages font leurs confidences racontant leurs expériences les plus intimes directement au lecteur, qui prend la forme d’une bonne amie ou d’un vieil ami ou même d’un amant, pour finir dans l’épilogue par devenir un compatriote d’exil.
J’ai cru jusqu’à la fin de la 2ème partie que l’on pouvait en lire les 3 chapitres de façon anarchique. Je me disais qu’il pourrait être amusant de commencer à le lire par la fin ou par son milieu et qu’alors la perception de ce récit en serait quelque peu différente. Je croyais que ce roman était en quelque sorte un ovni conceptuel, une œuvre d’avant-garde éminemment moderne.
Dans les grandes lignes, je me trompais ! Métamorphoses d’un mariage n’est assurément pas une œuvre à prendre à la légère et avec laquelle on peut jouer.
En réalité chacun des récits complète l’autre. Plus on avance dans sa lecture et plus la connaissance des personnages et de leur personnalité s’étoffe et nous assistons aussi à un déploiement du récit dans le temps. Bien qu’au départ il soit très difficile au lecteur de le situer temporellement, on constate néanmoins que celui-ci s’étale sur plusieurs décennies. Les personnages nous font leur confidence plusieurs années après que les évènements ont eu lieu, c’est-à-dire quand ils ont le recul nécessaire pour nous livrer leur histoire en toute sincérité et avec la plus grande des lucidités. Seul le récit de Judit peut clairement être daté puisque les évènements qu’elle raconte font référence au siège de Budapest.

Très longtemps aussi, je me suis interrogé sur le titre de ce roman, Métamorphoses d’un mariage. Pourquoi Métamorphoses était-il au pluriel ? Comment une métamorphose pourrait-elle être multiple ? Je croyais alors qu’il nous était raconté la perception d’un seul et même évènement par des personnages différents et qu’en ce sens, vu que ces perceptions étaient différentes, on pouvait considérer que la métamorphose de ce mariage était multiple et justifiait le pluriel de son titre.
Encore une fois, je me trompais… car ceci n’était valable que sans considérer le déploiement temporel de l’histoire. En effet une même chose peut subir plusieurs métamorphoses à des moments différents.
Mais alors, de quel mariage s’agit-il ?
Le mariage dont Ilonka nous fait le récit ? Il est très vite oublié. Apparemment il ne s’agissait que d’un mariage de convenances et d’apparences qui n’était important qu’aux yeux d’Ilonka, dont l’amour était certes sincère mais dictées par les conventions de la bourgeoisie.
Le second mariage de Péter avec Judit ? Bien que revêtant un peu plus d’importance il est aussi le constat d’un échec cuisant. Péter a semblé succomber à un désir de jeunesse, s’est laissé dicter sa conduite par des envies adolescentes, des rêves de révolte, la naïveté de croire qu’il pourrait trouver un sens à sa vie s’il bousculait les conventions préétablies. Pure utopie. Apparemment ce n’est pas non plus ce mariage là qui mérite plusieurs métamorphoses.
Le mariage des parents de Péter ? Tous deux issus de la haute-bourgeoisie, un mariage dans les règles, sans amour. Bof…
Ces mêmes mariages vus par les yeux de Judit ?… Pas très convaincant !
Le non-mariage de Judit et de son musicien ? Là l’amour semble être sincère et partagé, mais bien que consommé ce mariage n’en est pas un !
Quel pouvait être donc ce mariage qui subissait ces métamorphoses ?
Dans tout cela je ne voyais que des mariages qui ne subissaient pas de métamorphose, ou une seule si l’on considère le divorce, qui serait tout au plus qu’une conséquence logique quand les deux êtres sensés s’aimer ne sont plus en phase. Mais de là à qualifier un divorce de métamorphoses d’un mariage, ça me semblait quand même un peu exagéré !

Alors peut-être que pour trouver la réponse à cette question il fallait considérer l’œuvre de Marai dans sa globalité, et essayer d’en dégager un sens général.
Deux thématiques du roman semblent être de première importance aux yeux de l’auteur.
La première découle directement de son statut d’écrivain et d’artiste. Cette thématique est largement illustrée par les propos de Lazar, écrivain, double de Marai, Sandor Marai lui-même. Lazar, l’écrivain qui divorcera d’avec la pratique de son art. De même, Péter se définit lui aussi comme un artiste, mais un artiste sans instrument… un solitaire… en somme un célibataire de l’art ?!
D’ailleurs, soit dit en passant, faut-il impérativement pratiquer un art pour être artiste ? Ne peut-on pas être artiste sans art ? Vaste question ???
L’artiste et son œuvre, ne pourrions-nous donc pas les considérer comme les protagonistes d’un même mariage ? L’artiste n’est-il pas en quelque sorte marié à son œuvre ?
La deuxième nous est énoncée par le contexte politique et historique dans lequel Marai situe les évènements de son récit. Le roman raconte la fin d’une époque, celle de l’entre-deux-guerres où l’Europe est déchirée et subit les bouleversements des nationalismes émergeants et du communisme. Les idéologies changent et la bourgeoisie en fait les frais. Les rennes du pays changent de main. C’est le communisme, les coopératives, les biens appartiennent désormais au peuple. Au récit de ces évènements l’auteur, issu lui-même d’une famille bourgeoise, ne nous cache pas sa grande déception. Les sentiments qui l’animent passent par la désillusion, un grand fatalisme, une envie de fuite et d’exil. Il nous est raconté là l’histoire d’un divorce, le divorce d’un citoyen d’avec son pays. Un patriotisme contrarié.

Ainsi c’est peut-être de ce mariage là dont Sandor Marai nous raconte les métamorphoses, le mariage d’un artiste avec son pays, et au-delà son histoire et sa culture.
Et force est de constater que ce mariage se solde par un échec comme tous les mariages qui nous sont racontés au fil de ces pages, mais ici l’enjeu est de première importance, il s’agit de la perte et de la fin d’une culture et par extrapolation de la Culture au sens large du terme.
Avec l’avènement du communisme on assiste au nivellement de toute chose et de toute individualité. La société s’en trouve arasée, chaque être est l’égal de son semblable, il n’a du coup plus de spécificité propre ou n’est en tout cas plus considéré comme individualité pleine et entière mais est ramené à l’échelle de la masse et de ses congénères. Un camarade, rien de plus ni de moins qu’un camarade. Insupportable pour tout artiste qui n’existe que par la relation unique et individuelle qu’il établit avec le monde dans lequel il vit. La société telle qu’elle est ainsi offerte ne laisse plus de place à l’improvisation, la vie de tout à chacun est contrôlée, planifiée, régentée, partagée. Tout y est codifié. Le partage des richesses devant bénéficier à tout citoyen s’en trouve être au final une somme de devoirs et de responsabilités. Le fruit du travail de chacun n’apporte plus ni joie ni satisfaction puisqu’il est aussitôt reversé au bénéfice de la collectivité. Pour le bien de tous, soit disant. Mais Marai n’est pas dupe et il confesse au travers de son œuvre que le monde qu’on lui propose désormais ne laisse plus de place à la joie. Ce nouveau monde semble désormais ne plus vouloir de la culture, de cette culture qui était le trésor détenue par la bourgeoisie.

"L'écrivain, comme le note son éditeur, doit se résigner à l'évidence : l'humanisme est assassiné, on assiste au triomphe d'une nouvelle barbarie à laquelle, une fois de plus, le peuple se soumet."
Márai finira par choisir l’exil et quittera son pays :
"Pour la première fois de ma vie, j'éprouvai un terrible sentiment d'angoisse. Je venais de comprendre que j'étais libre. Je fus saisi de peur." écrit-il la nuit de son départ en 1948.
(Sources : Wikipédia)

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Message par Invité Mer 14 Jan 2009 - 21:12

(... suite...)

Les personnages de Judit et Lazar.

Les deux personnages les plus importants du roman sont sans conteste Judit, la bonne issue du peuple qui finira par devenir une dame de la bourgeoisie (enfin… pas tout à fait !) et Lazar, l’écrivain ami de Péter.

Judit de par son parcours fait le pendant entre le peuple et la haute bourgeoisie. C’est elle qui est la plus à même de comprendre l’évolution et les changements qui s’opèrent en ces instants troubles. C’est le témoin privilégié mais aussi l’actrice et l’initiatrice de ces évènements. La famille dont est issue Judit est une famille pauvre et à plusieurs endroits du roman elle nous explique les conditions de vie difficiles dans lesquelles elle a passée son enfance. Elle dit avoir vécu dans un trou creusé à même la terre et partager sa couche avec les rats. Mais tout cela n’a pas nui à son développement puisque Judit est maligne, intelligente et belle et que les conditions extrêmes dans lesquelles elle a vécue lui ont procuré la capacité de s’adapter à toutes les situations et ainsi de pouvoir évoluer aussi bien parmi le peuple que parmi la haute bourgeoisie avec le plus grand des naturels. Elle le dit elle-même, elle apprend vite. Mais une incompatibilité de taille ne pourra jamais s’estomper entre les deux mondes dans lesquels elle évolue.
Péter, son futur époux, est tout entier centré sur lui-même, c’est un intellectuel qui cherche à donner un sens à sa vie. Il a hérité de la situation dans laquelle il vit et à vrai dire il n’a guère besoin de travailler. Son travail ne consiste plus qu’à faire acte de présence dans l’usine qu’il dirige puisque les affaires initiées par son père tournent d’elle-même. Du coup il est en un perpétuel état de questionnement quant à son être au monde, il cherche plus ou moins à remettre en cause la classe sociale dont il est issu. Il s’interroge beaucoup, c’est un cérébral, mais au final il erre dans la vie, solitaire. Judit, elle, est foncièrement différente. Elle est dans l’action, dans le faire, le geste. Elle est dans le ressenti, l’intuitif et l’instinctif. Elle revendique l’intime et le sensitif. Elle est dans le vécu, elle est critique et attentive au monde qui l’entoure. L’épisode de son enfance dans la boue en compagnie des rats n’est pas anodin. En effet Judit est sensible à toutes les manifestations du vivant et en particulier les odeurs.

«On dit que dans ce monde pourri qu’on appelle civilisation l’odorat se perd, que les gens ne sentent plus rien. Mais moi, je suis né au milieu des bêtes, comme le petit Jésus, j’ai reçu, avec ma naissance le don de l’odorat que les riches ont perdu. » Confession de Judit p.315

S’agissant de Péter, elle dit de lui :

«[…]
Et par-dessus tout, cette odeur de foin pourri. En entrant pour la première fois dans le lit de mon mari, j’ai senti à nouveau cette odeur de mâle, à la fois raffinée et perverse, celle que j’avais respirée autrefois en repassant ses caleçons et en les empilant dans son armoire à linge… J’étais si heureuse, si émue, tu vois, que je n’ai pas pu m’empêcher de vomir. » Confession de Judit p.314


Elle est au corps ce que Péter est à l’esprit. Mais tout deux sont en recherche, tous deux se mettent en quête pour trouver une part de leur vérité... une part de la vérité de l'autre. Péter, idéaliste, romantique, cherchera dans l’amour quelque chose comme l’espoir d’un miracle, une quête héroïque et passionnée, un acte sacré.

« Oui, les vrais amoureux risquent leur peau au sens propre du terme et, dans leur entreprise, la femme est la créatrice, l’héroïne, au même titre que l’homme, ce chevalier parti à la conquête du Saint Sépulcre. Les vrais amoureux, ces braves, sont éternellement en quête de ce mystérieux sépulcre, ils se battent, ils se blessent et ils meurent pour lui… » Confession de Péter p.270

Il croyait ainsi que toutes les différences de classe allaient fondre dans le creuset de l’amour. Mais impuissant, ampoulé dans ses habitudes bourgeoises, il ne saura se donner les moyens de son ambition, il ne saura ni offrir ni recevoir le « merveilleux don de la joie », cette vérité simple et grave qui est l’essence même de toute relation amoureuse. Et de cela Judit en a parfaitement conscience, et ce depuis le début, elle sait pertinemment et intuitivement que Péter en est incapable, et dans le fond ce n’est pas ce qu’elle attend de lui. Péter est un lâche, bousculer les conventions comme il se propose de le faire en épousant la bonne, n’est que courage de façade. Judit va se jouer de lui, opportuniste, elle profitera de l’occasion qui lui est donnée par Péter. Son projet est simple, elle veut, elle aussi, « sa place au soleil ». Mais tout comme Péter elle échouera dans sa quête.

« … je t’avouerai donc que si je haïssais les riches c’est - avant tout – parce que je n’avais pu prendre que leur argent… Quant au reste, ce supplément qui constitue à la fois le secret et le sens de la richesse, cette différence, porteuse, au même titre que la fortune, d’une magie redoutable, ils ne me l’ont pas donné… ils l’ont dissimulé… bien mieux que les valeurs qu’ils avaient déposées dans les coffres-forts des banques étrangères, ou les lingots d’or qu’ils avaient enfouis au fond de leurs jardins. » Confession de Judit p.346

Judit est le seul personnage du roman à posséder un nom de famille et pas n’importe lequel, elle s’appelle Aldozo, ce qui signifie en hongrois celui qui communie, celui qui sacrifie. Et ainsi que pour Lazar, ses nom et prénom font directement référence à la Bible et on ne peut ne pas penser à Judith, celle qui séduisit Holopherne avant de la décapiter.

Voici le récit biblique :

« Nabuchodonosor II a envoyé Holopherne châtier les peuples de l'ouest parce qu'ils ont refusé de le soutenir dans la guerre qu'il a menée contre le roi perse Arphaxad (cf. Judith I, 1). Après avoir pillé, tué et ravagé dans tout le Proche-Orient, Holopherne assiège Béthulie, une ville juive (probablement Massalah) qui barre un passage dans les montagnes de Judée. Comme l'eau vient à manquer, les habitants sont sur le point de se rendre, mais une jeune veuve, Judith, d'une extraordinaire beauté et d'une richesse considérable, prend la décision de sauver la ville. Avec sa servante et des cruches de vin elle pénètre dans le camp d'Holopherne ; ce dernier est tout de suite ensorcelé par la beauté et l'intelligence de cette femme ; il organise en son honneur un grand banquet à la fin duquel ses domestiques se retirent discrètement pour ne pas troubler la nuit d'amour qui, pensent-ils, attend leur maître. Mais elle continue à l'enivrer et, quand il est hors d'état de se défendre, elle le décapite avec l'aide de sa servante et revient à Béthulie avec la tête. Quand les soldats découvrent au matin leur chef assassiné, ils sont pris de panique : les uns s'enfuient et les juifs vainquent facilement ceux qui restent. » (Source Wikipédia)

Néanmoins il faut, semble-t-il, ne pas pousser la comparaison dans ses extrêmes. Judit Aldozo reste malgré tout bien différente de la Judith biblique. Encore que… Elle aussi est allée prendre contact avec l’ennemi, avec l’autre, le différent, pour le tromper, le voler et… sauver les siens. En est-il de même pour Judit Aldozo, son entreprise a-t-elle pour but de « sauver » ceux de sa classe sociale ? Quoi qu’il en soi, elle s’en est allé à la conquête de la bourgeoisie. Elle aura non seulement voulu leur prendre leur argent mais elle voulait aussi en comprendre l’essence et en percer le mystère.
Son entreprise se soldera par un échec… la tête coupée ne lui révélerait rien du secret de son âme.

Seul Lazar semblait être en mesure de lui en révéler la teneur…


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Message par Invité Mer 14 Jan 2009 - 21:15

(...suite...)

Peut-être faut-il aussi y voir dans le prénom de Lazar une référence biblique.
Jésus lui dit (à Marthe, la sœur du défunt Lazare) : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Puis plus tard :
« Lazare, lève-toi et marche. »
L’Evangile selon Saint Jean, Chapitre 11.


Je ne sais jusqu’à quel point on peut se lancer dans une analyse concordante entre le personnage de Lazar et le récit de l’Evangile. Néanmoins les paroles de Jésus citées ci-dessus replacées dans le contexte de ce personnage prennent un sens nouveau. Lazar est un artiste, un écrivain. Un des buts de tout artiste est de laisser une trace de son individualité pour la postérité. Une œuvre d’art, quelle qu’elle soit, est en quelque sorte un billet vers l’au-delà, au-delà de sa propre mort, une façon détournée de devenir immortel. Pour un artiste son œuvre est « la résurrection et la vie ». Croire en son œuvre, croire en son art, croire en sa capacité créative, croire en sa capacité créatrice c’est « vivre, quand même on serait mort ». « Et quiconque vit et croit en moi (en son art/en l’homme) ne mourra jamais. »
« Crois-tu cela ?... Lazare. » Le Lazare de l’Evangile croit, ainsi il peut ressusciter, ainsi il peut vivre et agir, être dans le faire, être dans l’action. Il se lève et marche.
« Crois-tu cela ?... Lazar. » Notre Lazar écrivain ne croit plus en la pertinence de son art. Et au-delà il ne croit plus en l’homme, contrairement au Christ dont la Passion est le rachat des péchés de l’homme. Lazar, lui, n’en a plus la force.

« S’il ne voulait pas qu’on l’aide c’est qu’il ne croyait plus en l’homme. » Confession de Judit p.415

Alors Lazar ayant perdu sa foi, ne pouvait plus se relever, il ne pouvait plus que s’en remettre au néant.

« Il n’est pas facile d’en parler (de Lazar). Autant parler du néant. Je crois que, dans la vie… j’entends dans la vie de tous les jours, on ne peut parler que de ce qui existe. Et pourtant, il y a des hommes qui ne vivent pas dans le quotidien, mais dans une autre réalité… et qui, malgré cela, savent parler du néant de façon captivante, comme dans un polar. Cet homme-là, par exemple, me disait que tout est réalité, pas seulement ce qu’on peut toucher et palper, mais aussi les concepts. Le néant, en tant que concept, l’intéressait, il le prenait dans le creux de sa main et il l’examinait sous toutes les coutures, comme un objet. Je vois que tu ne comprends pas. Moi non plus, je ne le comprenais pas… mais j’ai vu, en sa compagnie, comment, entre ses mains ou dans son cerveau, le néant était en passe de devenir réalité, en s’agrandissant et en prenant tout son sens. C’était ça, son astuce. Ne te casse pas la tête, c’est trop calé pour nous. » Confession de Judit p.395

Puis…

« Alors que faisait-il ? me demandes-tu. Il lisait, il se promenait. Toi (amant de Judit, son interlocuteur, celui qui écoute ses confidences, le lecteur), tu ne comprends pas cela, parce que tu es un véritable artiste, un batteur professionnel, tu ne peux concevoir la vie sans battre le rythme. Mais cet homme là était un écrivain, un écrivain qui ne voulait plus écrire, parce qu’il ne croyait plus que le mot imprimé puisse changer la nature de l’homme. Et il n’était pas davantage un révolutionnaire désireux de racheter le monde, car il ne croyait pas que la révolution, quelle qu’elle soit, puisse aboutir à un tel résultat. Il m’a dit un jour, comme en passant, qu’il était inutile de remplacer un régime politique par un autre, car les hommes restent toujours les mêmes. Lui il voulait tout autre chose. Il voulait se transformer lui-même. (métamorphose ?… métamorphoses ?…) » Confession de Judit p.415

Les évènements politiques qui ont bouleversés l’ordre social ont muselé l’écrivain qu’il était.

« Or ce malheureux, quand il ne disait rien, il semblait vraiment taire quelque chose, et ce, avec une force inouïe. Son silence était un cri. » Confession de Judit p.419

Et la raison de son silence s’explique par ceci :

« En écrivant, il craignait de devenir complice et traître, car, pensait-il, dans le monde nouveau (celui du communisme), les paroles de l’écrivain seraient forcément déformées. Il a eu peur, comme le prêtre redoutant de voir la révélation qui lui a été donnée servir un jour de publicité ou de slogan politique pour un tribun démagogue. Donc il a préféré se taire… » Confession de Judit p.422

Ainsi de nouveau on en revient à l’idée d’artiste sans art, tel que se définissait Péter. Lazar, lui, est un artiste ayant renoncé à son art. Mais finalement c’est du pareil au même, et, à travers cela c’est la question de la lâcheté et de l’engagement politique de l’artiste qui est soulevée.
Il est évident que le personnage de Lazar est Sandor Marai lui-même. Au travers de ce personnage, l’auteur nous véhicule les interrogations qui l’ont habité en ces instants politiques troubles. Il questionne le statut de l’artiste et son engagement dans les affaires bouleversant la société dans laquelle il vit. Il a parfaitement conscience de son impuissance, il connaît les limites de son art. Sa seule arme est l’écriture et il sait qu’elle peut peu ! Mais est-ce une raison pour abandonner et renoncer à crier et revendiquer ses idées et les valeurs dans lesquelles on croit. Assurément non ! C’est pourquoi il place dans la bouche de Judit des mots assez violent concernant Lazar, sans épargner non plus Péter.
Ainsi quand Péter demande à Judit de vivre avec lui…

« Les yeux rivés sur le feu, le visage sombre, tourmenté presque, elle s’est levée, elle a lissé sa jupe et elle m’a dit :
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce que vous êtes un lâche.
Puis, après m’avoir toisé du regard de haut en bas, avec la plus grande lenteur, avec la plus grande attention, elle a quitté la pièce. » Confession de Péter p.208


Et pour Lazar :

« … pendant ces mois où la guerre faisait rage, j’avais vécu en compagnie de cette espèce d’écrivain. Non, ne me comprends pas de travers : je n’étais pas sa maîtresse, il était peut-être impuissant d’ailleurs… il n’a jamais abordé ce sujet… Quand un homme et une femme dorment sous le même toit, il flotte, dans l’air, une odeur d’amour- or chez ce chauve, rien de tel ; en même temps je n’aurais pas été surprise de le voir un jour se ruer sur moi, pour m’étrangler de ses deux mains. » Confession de Judit p.374

Ou encore :

« Tu as raison, mon chauve était un minable. » Confession de Judit p.422

« Mais qu’est-ce qu’un écrivain ? [...] Un moins que rien. » Confession de Judit p.424


Mais alors quel est donc ce secret, ce trésor caché, que Lazar semblait connaître et que Judit n’avait pu réussir à soustraire à son bourgeois de mari ?


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Message par Invité Mer 14 Jan 2009 - 21:15

(...suite...)

La culture est un réflexe.

Voilà peut-être la notion la plus complexe du livre et je vous avouerais très franchement que je m’y perds un peu…
Il me semble en tout cas que la notion de culture est ce trésor détenu par la bourgeoisie et dont Judit n’a pu réussir à en percer le mystère.
Pourquoi la bourgeoisie serait-elle la seule détentrice de cette culture ?
Peut-être faut-il dans un premier temps définir ou tout du moins essayer de définir cette notion de culture.
En tout cas il me semble, pour limiter les champs du débat, que la culture sous-entendu par Marai se définit par opposition à la nature. J’en veux pour preuve l’insistance manifeste de l’auteur sur les origines de Judit. Judit est incontestablement reliée à la terre (le trou de son enfance), elle est associée à l’instinct, à l’animal. Sa confession est haute en couleur, elle nous parle du corps, de ses productions, elle nous parle de l’hygiène aussi ou plutôt du manque d’hygiène dû à l’état de siège de Budapest, de l’eau si rare et puis et surtout des odeurs et de la puanteur. Et tout cela elle nous le raconte sans émotion ni dégoût, car cela fait partie de son monde, de ce qu’elle est et de ce qu’elle a toujours été…

« Au fond, je trouvais cette situation plutôt plaisante. Je crois que toutes ces âmes sensibles pour qui – à les entendre – le manque d’eau représentait la plus dure des privations ressentaient, en leur for intérieur, la même chose. Tout comme les enfants adorent se vautrer dans la crasse, cette société, après avoir, pendant des semaines, mijoté dans le feu de l’enfer, se réjouissait du chaos, de la saleté généralisée, de la possibilité de passer la nuit dans des cuisines étrangères et de l’abolition de certaines contraintes comme la nécessité de faire sa toilette ou de s’habiller avec soin.
Rien dans la vie n’advient sans raison. Si le siège avait été le châtiment de nos péchés, nous avions, à titre de récompense pour nos souffrances, reçu la grâce de pouvoir, pendant quelques semaines, empester impunément, comme empestaient sans doute Adam et Eve au Paradis où de toute évidence, ils ne se lavaient guère.» Confession de Judit p.368-369


Ainsi à la fin du siège de Budapest sa première préoccupation sera de trouver une parfumerie pour s’acheter du dissolvant pour effacer sur ses ongles les dernières traces de vernis, anciens vestiges de son éphémère statut de bourgeoise.

A contrario, voici comment Judit perçoit Péter au sortir du siège de Budapest :

« J’ai frissonné, parce que l’homme qui était à côté de moi dans cette crypte qu’était devenue la capitale… n’était pas un homme mais un fantôme.
[…]
Bien entendu, il ne portait pas de gants, il n’en mettait qu’en plein hiver, par temps glacial. J’ai pu ainsi contempler ses mains, elles étaient blanches et propres, avec des ongles bien réguliers, comme s’ils avaient été soignés par une manucure invisible…
Sais-tu, pourtant, ce qui était le plus étrange ? C’est que, au milieu de la foule crasseuse et en loques, si éprouvée par le siège, qui traînait sur le pont, cet homme, une véritable provocation, paraissait en même temps invisible, en quelque sorte. Je n’aurais pas été surprise de voir quelqu’un sortir du rang, le tâter et le secouer pour vérifier s’il avait bien affaire à un homme vivant ou à un fantôme… » Confession de Judit p.382-383


Péter, lui, est de condition et de naissance bourgeoise. Sa classe sociale s’est affranchie de la nature. Le bourgeois construit, vend, produit des richesses, il bâtit, édifie et invente, en un mot il cultive. Il met son intelligence au service de la culture, son essence même c’est la culture, il a su s’affranchir de ses instincts qui le rattachaient à l’animal. Tous les rituels qui régissent et contraignent son quotidien participent de cet esprit, c’est la domestication, la négation même, de l’instinct. Le bourgeois ordonne, classe, arrange, compile et collectionne.
Et c’est probablement cette richesse-là que Judit ne pourra jamais posséder. Pour cela il aurait fallu qu’elle s’affranchisse en totalité de son corps et qu’elle se livre sans concession à ces rituels insensés et sans consistance pour accéder à cette sorte d’évanescence… cette spiritualité. Chose qu’elle ne pourra faire, elle encore trop… mammifère !

Et voici ce qu’elle dira à propos de Lazar et de cette idée de culture :

« … tu sais on parle beaucoup de la lutte des classes, de la fin des maîtres d’autrefois, on affirme que, désormais, les maîtres, c’est nous, que tout nous appartiendra, parce que nous sommes le peuple. […] mais j’ai de mauvais pressentiments. Les choses ne se passeront pas comme ça. Ces gens-là garderont quelque chose dont ils ne se sépareront jamais, qu’on ne pourra pas leur prendre par la violence, quelque chose qu’on ne peut inculquer en faculté à des boursiers tir-au-flanc…
[…] Cette chose-là m’a dit le chauve est un réflexe.
[…] Quand il a disparu et que j’ai cherché partout dans la ville, il m’a semblé – au fond – que ce fameux réflexe c’était lui-même. L’homme tout entier, tel qu’il était, comprends-tu ?
[…] Oui, cet homme se débattaient, avec parfois une sorte de rictus, une contraction des lèvres ou des paupières… on aurait dit qu’un acide corrosif avait paralysé sa raison.
Comme si ces grandes statues, ces tableaux célèbres, ces livres pleins de sagesse n’existaient pas séparément, mais formaient un grand ensemble dont il faisait partie intégrante et qui, désormais, était voué au dépérissement… oui, comme si lui, il était en train de périr avec tout cela. Mais il me semble pourtant que les statues et les livres subsistent encore longtemps après la désagrégation de ce qu’on appelle la culture. » Confession de Judit p.438-439-440


Et encore :

« Car vois-tu, aujourd’hui, il n’y a que des spécialistes, et ceux-là sont incapables de nous procurer cette joie qui nourrit la culture… » Confession de Judit p.441

Et puis :

« Eh bien oui, j’avoue… j’avoue que ce que je voudrais apprendre dans un livre, c’est comment cette chose qu’on appelle généralement « culture » commence à dépérir chez un individu. Comment s’atrophient les nerfs qui ont emmagasiné les pensées et les désirs des hommes d’autrefois, cette nostalgie qui, par moments, leur a fait croire qu’ils étaient différents des autres mammifères. Il est vraisemblable qu’un individu de ce type ne meure pas seul… et qu’avec lui disparaissent des tas de choses. Tu ne le crois pas ? Je n’en sais rien, mais moi, j’aimerais bien lire un livre là-dessus. » Confession de Judit p.442

Enfin :

« Ne crois-tu pas que c'est pour cela, précisément, que mon bonhomme, cette espèce de fou, est venu mourir ici ( à Rome ) ? Parce qu'il était persuadé que ce qu'on appelait autrefois la culture, cette source de joie, était définitivement mort. Il est donc venu ici où tout se dégrade jusqu'au tas d'immondices, mais d'où dépassent ça et là - comme ces pieds, qui, après le siège, émergeaient des sépultures improvisées du Champ du sang - quelques vestiges de la culture. Est-ce pour cela qu'il est venu ici ? Dans cette ville, dans cet hôtel ? Parce qu'il aurait voulu qu'au moment de sa mort flotte encore autour de lui l'odeur de la civilisation. » Confession de Judit p.442

Ainsi donc, Lazar, détenteur de cette idée de culture périra avec elle. Derrière cela, il faut y voir, me semble-t-il, une allusion faite aux changements politiques qui bouleversent la Hongrie et toute l’Europe d’ailleurs. Le nouvel ordre social qui s’annonce et se met en place, signifie, selon Marai la fin de la culture. Une régression, un retour à l’instinctif, à l’animal… selon lui une déshumanisation.
Mais Marai laisse entrevoir malgré tout une lueur d’espoir en disant que la culture est un réflexe. En ce sens il semble nous dire que quoi qu’il advienne la culture ressurgira, puisqu’elle est intrinsèque à la nature humaine.
Etre homme, n’est-ce pas domestiquer un temps soit peu nos instincts ?
Est-ce cela la nature de l’homme ?
Alors si la culture est un réflexe, le réflexe étant indépendant de notre volonté, n’est-ce pas signifier en substance que la culture est un instinct… un instinct primitif… un instinct animal.

Finalement c’est peut-être des métamorphoses de ce mariage-là dont il s’agit… le mariage de la culture et de la nature ?

Conclusion

Pour conclure, et vous l’aurez compris, l’œuvre de Marai est d’une grande complexité et il n’est pas facile d’en comprendre toutes les subtilités.
Ici je me suis essayé à donner un axe de lecture et de compréhension de son œuvre. Néanmoins je ne peux jurer d’être dans le vrai tant cette œuvre me semble mouvante. Une multitude d’autres thèmes pourraient être développés avec pertinence et pourraient venir infirmer ou confirmer ce que j’ai essayé de définir plus haut.
Dans tout cela il n’y a aucune certitude et encore maintenant je ne pourrais dire de quelles métamorphoses ni de quels mariages il s’agit.
Le mariage d’un artiste avec son époque ?
Le mariage de la culture et de la nature ?
Je ne sais ?

En tout cas une seule chose me semble sûre, c’est que Métamorphoses d’un mariage n’est assurément pas l’œuvre de Marai à conseiller en première lecture pour découvrir l’univers de cet auteur tant ce roman est dense et compact.


Dernière édition par Ansault le Jeu 15 Jan 2009 - 9:49, édité 3 fois

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Message par Invité Mer 14 Jan 2009 - 22:11

Waouw!!! ça c'est de l'analyse. Je suis comme toujours soufflé par tes textes. :[IMG]http://sm (oui, moi je mets des petits dessins, c'est plus facile pour moi). Je me permets toutefois de relever tes paroles finales:
Ansault a écrit:Néanmoins je ne peux jurer d’être dans le vrai tant cette œuvre me semble mouvante.

Je dirais personnellement que une oeuvre (je vais ici au-delà de la littérature et y ajoute les autres formes d'art), surtout si elle est complexe, contient en général plus qu'un sens. Et donc, outre son sens premier (c'est-à-dire ce qu'on en perçoit au premier abord), il y a en général des sens cachés (que tu décryptes d'ailleurs dans ta critique). Or, il me semble, ces sens cachés sont parfois interprétables différemments en fonction du vécu de chacun. Il n'y a donc pour moi pas lieu d'être dans le "vrai" ou le "faux", car il y a plusieurs interpétations possibles, et tant qu'une de ces interprétations est défendables par des arguments tirés de l'oeuvre ou du vécu de l'auteur, elle est acceptable, même si elle est en totale contradiction avec une autre.

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Message par Invité Jeu 15 Jan 2009 - 10:01

Merci Olorin.

Quant à ce que tu dis ensuite, je te rejoins complètement et souvent plusieurs interprétations d'une même œuvre sont possibles. En même temps c'est ce qui fait que l'exercice est passionnant et personnellement j'ai pris le réflexe d'appréhender une œuvre d'art, quelle qu'elle soit, comme une énigme policière à résoudre... collecter des indices... les associer... les mettre en concordance... essayer de leur donner du sens... c'est très excitant.

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Message par Invité Jeu 15 Jan 2009 - 11:21

Waouh ça c'est de la critique Ansault ! bravo ... Smile
Bon je ne peux rien rajouter car je n'ai pas lu le livre... mais je salue la plume d'Ansault ! ça scotche !!! Embarassed

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Message par Invité Jeu 15 Jan 2009 - 12:04

Merci Mélusine. Smile
Francine, prends ton temps. Wink

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Message par Thot Jeu 15 Jan 2009 - 21:35

J'ai bien lu ta critique Ansault...je te rejoins dans plusieurs idées mais pour ce qui est du choix du titre, je n'y ai pas beaucoup pensé.
Difficile pour moi de me prononcer et je trouve que l'on pourrait faire une critique de ta critique en en débattant longuement Very Happy peut-être aurai-je le temps de le faire ce week-end?
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