[Doerr, Anthony] Le mur de mémoire
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[Doerr, Anthony] Le mur de mémoire
Titre : Le mur de mémoire
Auteur : Anthony Doerr
Traduit de l'américain par Valérie Malfoy
Editeur : Albin Michel (collection Terres d'Amérique)
Année : 2013
Nombre de pages : 287
Quatrième de couverture :
De l’Afrique du Sud à la Lituanie, de l’Allemagne nazie à la banlieue de Cleveland, le livre d’Anthony Doerr est un voyage troublant dans l’espace et dans le temps. Le temps de la mémoire qui relie, comme un fil fragile, les personnages de ces six nouvelles, tous hantés par la perte ou la résurgence de leur passé, et confrontés à ce manque vertigineux de ce qui a été mais n’est plus. À l’image d’Alma, une veuve septuagénaire de Cape Town, à qui l’on tente curieusement de voler ses plus précieux souvenirs, dans la magnifique nouvelle qui donne son titre au recueil.
Nulle nostalgie sous la plume d’Anthony Doerr, plutôt la volonté d’évoquer, de son écriture fluide, cristalline et élégante, en quoi la mémoire façonne nos destins et fait de nous des êtres véritablement humains. Récompensé par les plus prestigieux prix anglo-saxons, révélé en France par Le Nom des coquillages, il poursuit une œuvre ambitieuse et originale qui ne ressemble à aucune autre.
Mon avis :
Si vous aimez les nouvelles, de ces histoires où l'auteur vous entraîne dans un univers original, une thématique riche, si vous aimez la collection Terres d'Amérique d'Albin Michel, si vous aimez la "belle écriture", ne vous privez surtout pas de la lecture de ce Mur de mémoire, qui est une vraie révélation littéraire et un coup de coeur pour moi ! Anthony Doerr a déjà publié un recueil de nouvelles et un roman chez Albin Michel, mais je le découvre seulement avec ces six nouvelles, qui ont donc pour thème, pour fil conducteur (car il y a des échos, des réflexions communes d'une nouvelle à l'autre) la mémoire. Elles sont distribuées selon un ordre très intelligent, à l'image de tout le livre.
La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, Le mur de mémoire, nous emmène en Afrique du Sud, dans un pays où lles traces de l'apartheid sont encore bien présentes, mais à une époque assez technologique, futuriste : en effet, la mémoire est devenue une denrée commerciale, on y réussit à récupérer les souvenirs de personnes dont la mémoire est défaillante et à monnayer les cartouches de souvenirs. Alma se voit ainsi revendre ses propres réminiscences, tandis qu'un margoulin tente de les utiliser pour retrouver un fossile de grande valeur. Une vieille femme à la mémoire en lambeaux, des traces des débuts de la vie fossilisés dans le désert, et donc des liens entre passé très ancien et présent, l'impossibilité ou les difficultés énormes à transmettre cette mémoire, tels sont quelques-uns des fils qui tissent cette histoire d'une bonne centaine de pages, d'une géniale originalité.
Ensuite, direction le Wyoming, pour Engendrer, créer : un couple aux racines plus qu'incertaines tente d'avoir un enfant. Le désir d'enfant parle bien sûr aussi de désir de transmettre, les tentatives, les espoirs et les larmes de Herb et Imogene sont touchants sous la plume sobre d'Anthony Doerr.
La zone démilitarisée met en scène un père qui attend son fils, soldat américain en Corée ; celui-ci, blessé, garde le moral et l'espoir en se remémorant les traditions familiales. Cette troisième nouvelle est celle qui m'a le moins plu et le moins laissé de souvenir (si je puis me permettre l'expression) : c'est le texte le plus court du livre, ceci explique peut-être cela.
Village 113 est une splendide partition sur la disparition programmée d'un village chinois, pour cause de construction de barrage : le village sera englouti (cela m'a fait penser au Convoi de l'eau, de Akira Yoshimura), les habitants doivent partir, tout est petit à petit démantelé, abandonné, pillé. Parmi les quelques personnes qui résistent, un vieux professeur un peu fou et "la gardienne des semences". Dans cette magnifique nouvelle, nous comprenons que la mémoire ne concerne pas seulement les personnes, les événements, mais qu'un lieu, un village est marqué d'empreintes végétales, minérales ou animales, que nos histoires personnelles et collectives s'inscrivent dans des lieux qui nous construisent. Un texte somptueux dans sa nostalgie et son rapport à la nature.
Avec La Nemunas, nous suivons Allison, orpheline de père et de mère à quinze ans, et obligée de quitter le Kansas pour aller vivre chez son grand-père maternel en Lituanie. Le seul souvenir tangible qu'elle emporte, c'est son petit chien Mishap. Madame Sabo, la voisine, perd la tête elle aussi, mais en emmenant Allie au fleuve Nemunas, elle permet à celle-ci d'apprendre à vivre avec "la Grande Tristesse" : la jeune fille et la vieille femme guettent un poisson disparu depuis de nombreuses années à cause de la pollution. Encore un beau métissage entre le destin personnel de deux femmes dont la mémoire est "coupée et un élément naturel sans doute disparu du quotidien des riverains.
Enfin, Vie posthume oscille entre la banlieue de Cleveland où vit Esther Gramm, vieille dame sujette à des crises d'épilepsie visionnaires depuis son enfance orpheline, et Hambourg, où elle a vécu dans les années 1930. Les crises accentuent la sensibilité et l'acuité des souvenirs d'Emma, mais de quels souvenirs s'agit-il exactement ? Ne s'agit-il pas de visions du futur ? Comment porter, aujourd'hui encore, le fait d'être en vie, comment garder la mémoire des personnes disparues, de celles qui n'atteindront jamais le même âge que soi ? Passé et présent se mêlent subtilement sous le regard de Robert, le petit-fils d'Emma, qui veut rédiger une thèse sur cette sombre période de l'histoire.
Ce malhabile aperçu des histoires contées par Anthony Doerr vous donnera, je l'espère, l'envie de les lire en enter, et surtout de découvrir l'imaginaire, l'inventivité, l'élégance et la sensibilité de leur auteur (la traduction y est sûrement pour beaucoup !). Les sujets qu'il aborde se mêlent et s'entremêlent, pour nous donner à voir différentes facettes de la mémoire : comment elle se construit, comment elle peut être coupée ou vidée de ses racines, comment elle se délite dans des fulgurances étonnantes. Anthony Doerr est un grand monsieur de la nouvelle, non seulement virtuose du genre, mais aussi capable de se glisser dans la tête, dans les rêves, dans les déceptions, dans les obsessions de différentes personnes, dans la mémoire atavique ou la mémoire individuelle, avec une plume intelligente et poétique. Au final, ce Mur de mémoire nous parle tout simplement du genre humain. Il nous rappelle, si besoin en est, ce qui fait notre humanité, inaliénable.
"Les cartouches du Dr Amnesty, le Muséum d'Afrique du Sud, les fossiles de Harold, la collection du Chef Carpenter, le mur d'Alma - n'est-ce pas, chacun à sa manière, une façon de défier l'effacement ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que la mémoire ? Comment cela peut-il être une chose si fragile, si périssable ? " (p. 92 - Le mur de mémoire)
"Des lames de lumière se glissent entre les nuages : on sent des odeurs de feuilles qui volent, de pluie et de gravier. Des paysans sortent leur chariot pour la récolte. Des arboriculteurs fruitiers contemplent de leurs yeux gris leurs rangées d'arbres.
On parle de ce barrage à mots couverts depuis des années : la fin des inondations en aval, une énergie propre pour la grande ville. Traits brisés, traits pleins, une source au coeur de chaque village - tout n'était-il pas prédit dans les légendes les plus anciennes ? Les eaux des fleuves monteront pour recouvrir la terre, les océans déborderont, des montagnes deviendront des îles ; la parole est l'eau et la terre est le puits. Tout fait retour à lui-même. Au temple, de telles sentences sont gravées aux linteaux des fenêtres." (p. 151 - Village 113)
"Le courrier n'est plus distribué. Elle n'a plus de nouvelles de Li Qing. A tout instant, il pourrait surgir à la porte et exiger qu'elle parte avec lui. Mais il ne vient pas. La nuit, il n'y a que trois ou quatre lumières contre le décor immense des gorges, le ciel immense, et le ciel plus sombre encore avec sa pâle avenue d'étoiles reflétées." (p. 173 - Village 113)
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