[Miano, Léonora] Les Aubes écarlates
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Les Aubes écarlates
[Miano, Léonora] Les Aubes écarlates
éd.Plon (08-2009)
274 p.
Le mot de l'éditeur :
Epa a été enrôlé de force dans les troupes d'Isilo, un mégalomane qui rêve de rendre sa grandeur à toute une région de l'Afrique équatoriale. Emmené au coeur d'une zone isolée, il découvre qu'il est entouré de présences mystérieuses: plusieurs fois, il aperçoit des ombres enchaînées demander réparation pour les crimes du passé. Sur tout le continent, les esprits des disparus de la traite négrière distillent l'amertume et la folie en attendant que justice leur soit rendue...
Parvenant à s'échapper, Epa retrouve Ayané, une fille énigmatique et attentionnée qui l'aide à reprendre goût à la vie Comment donner à l'Afrique la chance de connaître des aubes lumineuses ?' Pour conjurer le passé d'une terre qui ne cesse de se faire souffrir elle-même, Epa devra rechercher ses compagnons d'infortune et les rendre à leur famille.
Mon avis :
Je commencerai par dire que le mot de l'éditeur m'a surprise et que je l'enverrai bien lire le livre pour voir s'il en parle de la même façon.
Epa est un enfant-soldat dans un état africain qui débarque un jour dans un dispensaire tenue par une blanche . Il y retrouve effectivement Ayané qui vient du même village que lui, rejetée parce qu'éduquée à la manière occidentale. Mais il n'est pas question pour lui de reprendre goût à la vie. Il n'a pas cherché à fuir l'horreur mais il a une mission à accomplir.
Totalement refermé sur lui-même , il va effectivement s'ouvrir peu à peu à la jeune femme. Le récit de son parcours qu'il lui livrera petit à petit est un prétexte pour évoquer le quotidien de ses enfants qui se retrouvent enrôlés dans un combat auquel ils ne comprennent rien. Leur histoire particulièrement bien posée, comme un état des lieux, sans scène d'horreur inutile, pourrait être transposée dans n'importe quelle partie du monde.
L'auteur nous démêle ici l'écheveau des fils qui mènent à cette situation : la part d'idéalisme, de folie, de soif de pouvoir des chefs et des politiciens, leur absence de volonté, leur incapacité à voir les petits, la faiblesse , l'inaptitude des populations à comprendre, réagir dans un monde en développement qui les dépasse .
Eleonora Minaro ne tombe pas dans le piège de certains ouvrages sur l'Afrique que j'ai pu lire. elle garde un certain recul, une objectivité qui n'est pas exempte de compassion mais elle ne victimise pas le peuple africain.
Et pourtant, rien ne serait plus facile.
Ayané et Epa font tous les deux des "rêves" de noirs enchainés qui les poussent à retourner aux origines. Ce souffle de poésie dans ce roman qui traite pourtant d'un sujet délicat répond aux traditions ancestrales des villageois.
D'autres personnages interviendront pour aider ces deux êtres à sauver les autres enfants de leur village enrôlés dans la guérilla : des personnages charismatiques comme la tenancière d'un bar , curieux comme l'étudiante devenue folle , possédée par les esprits , toutes les deux particulièrement attachantes, un médecin également, la propriétaire du dispensaire, une blanche, restée là par amour de ce pays qu'elle a fait sien.
Un très bon roman, sobre et pourtant profond.
274 p.
Le mot de l'éditeur :
Epa a été enrôlé de force dans les troupes d'Isilo, un mégalomane qui rêve de rendre sa grandeur à toute une région de l'Afrique équatoriale. Emmené au coeur d'une zone isolée, il découvre qu'il est entouré de présences mystérieuses: plusieurs fois, il aperçoit des ombres enchaînées demander réparation pour les crimes du passé. Sur tout le continent, les esprits des disparus de la traite négrière distillent l'amertume et la folie en attendant que justice leur soit rendue...
Parvenant à s'échapper, Epa retrouve Ayané, une fille énigmatique et attentionnée qui l'aide à reprendre goût à la vie Comment donner à l'Afrique la chance de connaître des aubes lumineuses ?' Pour conjurer le passé d'une terre qui ne cesse de se faire souffrir elle-même, Epa devra rechercher ses compagnons d'infortune et les rendre à leur famille.
Mon avis :
Je commencerai par dire que le mot de l'éditeur m'a surprise et que je l'enverrai bien lire le livre pour voir s'il en parle de la même façon.
Epa est un enfant-soldat dans un état africain qui débarque un jour dans un dispensaire tenue par une blanche . Il y retrouve effectivement Ayané qui vient du même village que lui, rejetée parce qu'éduquée à la manière occidentale. Mais il n'est pas question pour lui de reprendre goût à la vie. Il n'a pas cherché à fuir l'horreur mais il a une mission à accomplir.
Totalement refermé sur lui-même , il va effectivement s'ouvrir peu à peu à la jeune femme. Le récit de son parcours qu'il lui livrera petit à petit est un prétexte pour évoquer le quotidien de ses enfants qui se retrouvent enrôlés dans un combat auquel ils ne comprennent rien. Leur histoire particulièrement bien posée, comme un état des lieux, sans scène d'horreur inutile, pourrait être transposée dans n'importe quelle partie du monde.
L'auteur nous démêle ici l'écheveau des fils qui mènent à cette situation : la part d'idéalisme, de folie, de soif de pouvoir des chefs et des politiciens, leur absence de volonté, leur incapacité à voir les petits, la faiblesse , l'inaptitude des populations à comprendre, réagir dans un monde en développement qui les dépasse .
Eleonora Minaro ne tombe pas dans le piège de certains ouvrages sur l'Afrique que j'ai pu lire. elle garde un certain recul, une objectivité qui n'est pas exempte de compassion mais elle ne victimise pas le peuple africain.
Et pourtant, rien ne serait plus facile.
Ayané et Epa font tous les deux des "rêves" de noirs enchainés qui les poussent à retourner aux origines. Ce souffle de poésie dans ce roman qui traite pourtant d'un sujet délicat répond aux traditions ancestrales des villageois.
D'autres personnages interviendront pour aider ces deux êtres à sauver les autres enfants de leur village enrôlés dans la guérilla : des personnages charismatiques comme la tenancière d'un bar , curieux comme l'étudiante devenue folle , possédée par les esprits , toutes les deux particulièrement attachantes, un médecin également, la propriétaire du dispensaire, une blanche, restée là par amour de ce pays qu'elle a fait sien.
Un très bon roman, sobre et pourtant profond.
Invité- Invité
Re: [Miano, Léonora] Les Aubes écarlates
Les aubes écarlates sont le dernier volet d’une trilogie sur le pays de Mboasu, lieu imaginaire situé en Afrique subsaharienne dont le nom signifie en Douala, langue du littoral camerounais, notre pays. Comme l’indique le terme Mboasu, tout l’objet du roman est panafricain. Les personnages du récit rêvent d’unité et d’identité culturelles, mais se sont égarés en chemin, emportés par la voie violente qui ensanglante l’Afrique : dans le roman, les rebelles à la vieille dictature sont incapables de sortir de l’ornière du sang et de la terreur. Les enfants-soldats commettent des atrocités que la population terrifiée et résignée endure sans réagir, espérant préserver la vie par la soumission.
Selon l’auteur, si les Africains subsahariens subissent tant l’emprise de la violence, c’est qu’ils n’ont pas encore pu faire la paix avec le passé : ni avec les fantômes de la traite négrière, ni avec les cicatrices de la colonisation. Ne subsistent que honte et perte d’identité, une atteinte si grave qu’elle compromet l’humanité-même des populations.
Le mythique oiseau Sankofa du titre, qui, un œuf coincé dans le bec, vole la tête tournée vers l’arrière, illustre cette impossibilité de construire l’avenir sans réconciliation avec son passé. Ce n’est qu’en affrontant ses traumatismes que l’Afrique d’aujourd’hui pourra se reconstruire et considérer un avenir enfin exorcisé des vieux démons qui la hantent.
L’écriture de Léonora Miano est profonde, mais difficile. Pas seulement parce que certaines scènes sont atroces. Toute la structure du récit, plus fable que roman, est déconcertante : tandis que les esprits s’adressent directement au lecteur, c’est au travers d’une femme aux pouvoirs de chamane que le village au coeur du roman retrouve la paix. Ce livre, court mais dense, mérite l’effort de sa lecture. Il m’a ouvert de nouvelles pistes de réflexion. (3/5)
Citations:
Pour le Continent, la rencontre avec l’Occident avait été un basculement. Se relever nécessitait, selon une loi immuable, de s’appuyer sur le sol ayant accueilli la chute. Or, il était devenu mouvant. Pas uniquement parce que le choc persistait, mais parce que le Continent avait été modifié en profondeur. On lui avait inoculé un mode de vie, des notions qu’il ne maîtrisait toujours pas, que son organisme rejetait, sans pouvoir se permettre de les expulser tout à fait, s’il tenait à demeurer en vie.
Les Continentaux ne parvenaient pas à inscrire leur expérience dans la globalité de l’aventure humaine. Ils ne pouvaient dépasser les représentations négatives qu’on avait eues d’eux. (…) Les peuples subsahariens n’avaient pas seulement été dominés, ostracisés. On les avaient exclus du genre humain.
C’était une des plus tenaces manifestations de la honte. Elle continuait de creuser un abîme entre soi et le monde. Chasser la honte, c’était se faire l’obligation d’accepter ce qu’on était devenu, et qu’on peinait encore à définir. On refusait de se dire mêlé de colon et de colonisé, de négrier et de déporté, d’Occidental et de Continental. Ce refus empêchait l’éclosion d’un être neuf, somme de toutes les douleurs et, en tant que tel, détenteur de possibles insoupçonnés.
La technique était bien rodée. Ramener le passé au présent. Dire le vrai, mais le dire mal. Partir d’éléments réels, vérifiables, incontestablement douloureux, puis laisser le verbe dériver vers l’amalgame, la vérité partielle, pour finir par s’arrimer au refus forcené d’endosser la plus petite responsabilité. Choisir les mots. Les répéter. Les marteler. En imprimer la résonance dans les esprits de ceux que la faim faisaient tituber. En faire la pensée unique de miséreux qui ne réfléchiraient pas, lorsqu’on leur tendrait une hache ou une machette. Se servir du peuple comme outil de sa propre destruction.
La traite négrière était à inscrire au patrimoine tragique du genre humain. Parce qu’elle avait impliqué des régions différentes du monde. Parce que les bourreaux n’avaient pas été que d’un côté. Parce qu’elle était, à cette échelle-là, le premier crime contre l’humanité dont on ait gardé la trace. (…) La zone subsaharienne du Continent était concernée au premier chef. Elle avait été la source unique du trafic. On ne s’était pas servi ailleurs. Et depuis, les rapports de cette région avec le reste du monde demeuraient les mêmes. Elle était le puits sans fond d’où les autres tiraient leur croissance. Et, comme par le passé, il se trouvait toujours une main autochtone pour participer au crime. Les soulèvements populaires observés çà et là, loin du regard de la communauté internationale, ne venaient jamais à bout des régimes scélérats. Le mal venait de loin. Trop de temps lui avait été laissé pour prospérer. Au fil des âges, il avait tellement profité qu’il se dressait maintenant, haut en stature, expert en cruauté. Il enfantait des monstres à n’en plus finir.
Une des choses qu’elle avait apprises (…), c’était qu’il était rare de voir le mal s’installer, si on ne lui avait pas ouvert la porte.
Selon l’auteur, si les Africains subsahariens subissent tant l’emprise de la violence, c’est qu’ils n’ont pas encore pu faire la paix avec le passé : ni avec les fantômes de la traite négrière, ni avec les cicatrices de la colonisation. Ne subsistent que honte et perte d’identité, une atteinte si grave qu’elle compromet l’humanité-même des populations.
Le mythique oiseau Sankofa du titre, qui, un œuf coincé dans le bec, vole la tête tournée vers l’arrière, illustre cette impossibilité de construire l’avenir sans réconciliation avec son passé. Ce n’est qu’en affrontant ses traumatismes que l’Afrique d’aujourd’hui pourra se reconstruire et considérer un avenir enfin exorcisé des vieux démons qui la hantent.
L’écriture de Léonora Miano est profonde, mais difficile. Pas seulement parce que certaines scènes sont atroces. Toute la structure du récit, plus fable que roman, est déconcertante : tandis que les esprits s’adressent directement au lecteur, c’est au travers d’une femme aux pouvoirs de chamane que le village au coeur du roman retrouve la paix. Ce livre, court mais dense, mérite l’effort de sa lecture. Il m’a ouvert de nouvelles pistes de réflexion. (3/5)
Citations:
Pour le Continent, la rencontre avec l’Occident avait été un basculement. Se relever nécessitait, selon une loi immuable, de s’appuyer sur le sol ayant accueilli la chute. Or, il était devenu mouvant. Pas uniquement parce que le choc persistait, mais parce que le Continent avait été modifié en profondeur. On lui avait inoculé un mode de vie, des notions qu’il ne maîtrisait toujours pas, que son organisme rejetait, sans pouvoir se permettre de les expulser tout à fait, s’il tenait à demeurer en vie.
Les Continentaux ne parvenaient pas à inscrire leur expérience dans la globalité de l’aventure humaine. Ils ne pouvaient dépasser les représentations négatives qu’on avait eues d’eux. (…) Les peuples subsahariens n’avaient pas seulement été dominés, ostracisés. On les avaient exclus du genre humain.
C’était une des plus tenaces manifestations de la honte. Elle continuait de creuser un abîme entre soi et le monde. Chasser la honte, c’était se faire l’obligation d’accepter ce qu’on était devenu, et qu’on peinait encore à définir. On refusait de se dire mêlé de colon et de colonisé, de négrier et de déporté, d’Occidental et de Continental. Ce refus empêchait l’éclosion d’un être neuf, somme de toutes les douleurs et, en tant que tel, détenteur de possibles insoupçonnés.
La technique était bien rodée. Ramener le passé au présent. Dire le vrai, mais le dire mal. Partir d’éléments réels, vérifiables, incontestablement douloureux, puis laisser le verbe dériver vers l’amalgame, la vérité partielle, pour finir par s’arrimer au refus forcené d’endosser la plus petite responsabilité. Choisir les mots. Les répéter. Les marteler. En imprimer la résonance dans les esprits de ceux que la faim faisaient tituber. En faire la pensée unique de miséreux qui ne réfléchiraient pas, lorsqu’on leur tendrait une hache ou une machette. Se servir du peuple comme outil de sa propre destruction.
La traite négrière était à inscrire au patrimoine tragique du genre humain. Parce qu’elle avait impliqué des régions différentes du monde. Parce que les bourreaux n’avaient pas été que d’un côté. Parce qu’elle était, à cette échelle-là, le premier crime contre l’humanité dont on ait gardé la trace. (…) La zone subsaharienne du Continent était concernée au premier chef. Elle avait été la source unique du trafic. On ne s’était pas servi ailleurs. Et depuis, les rapports de cette région avec le reste du monde demeuraient les mêmes. Elle était le puits sans fond d’où les autres tiraient leur croissance. Et, comme par le passé, il se trouvait toujours une main autochtone pour participer au crime. Les soulèvements populaires observés çà et là, loin du regard de la communauté internationale, ne venaient jamais à bout des régimes scélérats. Le mal venait de loin. Trop de temps lui avait été laissé pour prospérer. Au fil des âges, il avait tellement profité qu’il se dressait maintenant, haut en stature, expert en cruauté. Il enfantait des monstres à n’en plus finir.
Une des choses qu’elle avait apprises (…), c’était qu’il était rare de voir le mal s’installer, si on ne lui avait pas ouvert la porte.
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