[Mathieu, Nicolas] Rose royal
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[Mathieu, Nicolas] Rose royal
Rose royal suivi de La Retraite du juge Wagner
Nouvelles
Nicolas Mathieu
Babel Actes Sud
136 pages
ISBN : 978-2-330-14997-0
Nouvelles
Nicolas Mathieu
Babel Actes Sud
136 pages
ISBN : 978-2-330-14997-0
Résumé de l'éditeur :
Chaque soir après le boulot, Rose se rend au Royal, un rade comme il y en a partout, où elle boit trop et trompe sa solitude avec quelques cœurs fêlés du même genre. Parce qu’à cinquante ans passés, Rose a bien morflé. Dans sa vie, l’amour sans doute a trop compté et, de tendresses expéditives en colères interminables, a presque toujours fait mal. Alors, elle s’est juré un truc : plus jamais on ne la fera souffrir. Dans son sac à main, un révolver leste cette promesse d’un poids sans équivoque. C’était sans compter sur sa rencontre avec Luc, une nuit, au Royal…
Chronique d’une passion piégée, de l’asservissement et de la peau, Rose Royal retrace l’histoire implacable d’une femme décidée à rendre les coups. L’histoire d’un dernier amour, aussi, celui dont on ne revient pas.
Cette novella noire est ici suivie d’un texte inédit, entièrement revu par l’auteur, portrait d’un ancien magistrat abandonné par l’appareil judiciaire, dans lequel Nicolas Mathieu dépeint avec toujours autant de justesse l’affection entre un vieil homme dépassé par les années et un môme paumé dans son époque.
Mon avis :
J'ai apprécié ce livre portant deux nouvelles assez différentes, si ce n'est qu'un revolver y tient une place importante : le calibre 38 de Rose, et le Manurhin du juge Wagner. Je l'ai gagné en participant à un concours, et j'ai reçu ce bel objet avec un marque-page attentionné du service de la communication. La photo de couverture m'attirait, je n'ai pas mis longtemps à le lire - après réflexion, elle n'est pas d'époque, car Rose royal est un récit ancré dans notre époque contemporaine.
La première nouvelle, Rose royal, est assez développée, sur trois parties : Rose, 50 ans, vit avec résignation sa vie de célibataire, et se retrouve tous les soirs au Royal. Elle est assez portée sur la boisson, et passe ses soirées comme elle peut. Un soir, un homme fait irruption dans le bar, portant sa chienne renversée par une voiture, mourante, et Rose lui sauve la mise. Ils se revoient, se plaisent, et grisés par une nouvelle jeunesse, se mettent en couple.
Mais les choses ne vont pas si bien entre eux, Rose s'est détachée, n'a plus envie de subir, et commence à se poser des questions : rester ou partir ? La nouvelle montre bien, sinon les ravages de l'âge quand on n'est pas prêt ou prête à se ranger, en termes de couple et d'apparences de réussite tout du moins. Ce sentiment de réussite ou d'échec tel qu'il serait vu par les autres, ou encore le confort matériel, poussent les protagonistes à ignorer les signes, à se maintenir dans une vie insatisfaisante, plutôt que de s'assumer et de faire leurs propres choix.
De ce fait, je ne me suis pas sentie proche de l'héroïne, j'ai eu l'impression de suivre ses démêlés de loin - aucun des personnages ne m'était vraiment sympathique, et l'évocation de leur vie, leurs journées, leurs loisirs, me communiquait une vague sensation de vide, d'inutilité, qui n'était pas compensée par le loisir et le luxe. J'ai ressenti une grande solitude imprégnant ces nouvelles, une solitude comme essentielle, inhérente au monde moderne, mais qu'aucun de nous ne serait armé pour supporter. On peut posséder une arme au sens propre, ça ne nous rend pas plus apte à vivre la vie qui nous convient vraiment, ni même à savoir en quoi celle-ci consisterait. Il est plus facile de s'anesthésier à l'alcool et de baigner dans une douce béatitude en attendant que les soirées passent, seul(e) face à nous-mêmes, ou mal accompagné, ce qui n'est pas mieux.
La seconde nouvelle m'a davantage touchée : le juge Wagner existait pour moi, j'étais même persuadé que c'était un vrai personnage. J'ai trouvé l'environnement, les personnages, originaux, l'improbable rencontre entre le juge et Johann était surprenante et pleine de promesses avortées, comme une relation paternelle qui pourrait donner lieu à une rédemption, pour l'un comme pour l'autre. Johann est un pauvre jeune des banlieues, sans avenir, ou plutôt avec un avenir aux contours flous, si flous qu'on n'y croit plus, il prend des risques par ennui et fait des bêtises, sans vraiment se rendre compte. Le juge est à la retraite (forcée), s'ennuie aussi, et surtout se trouve pisté par des Corses, depuis qu'il a fait mettre en prison un individu très lié à un mystérieux Beretta qui a causé la mort d'un préfet. Oui, même dans ce village de Noël qu'est Colmar en hiver, un ex-juge peut être en danger, consécutivement à des affaires jugées 15 ans auparavant... Et pourtant, Wagner commence juste à goûter ce plaisir d'être tout seul et qu'on "lui fiche la paix", en cela il m'était sympathique, et en ses efforts pour remettre Johann dans le droit chemin.
Une découverte sympathique, sinon essentielle, qui me donne envie de lire Leurs Enfants après eux, qui m'a été offert et m'attend dans ma Pile à Lire. Le format nouvelle ne m'a pas paru suffisant pour ce que ces nouvelles avaient à dire, j'aimerais voir ce que donne cette imagination d'écrivain sur un roman entier. Toujours est-il que l'écriture est efficace et agréable à suivre, sans grand relief non plus, mais cela d'une manière modeste, car elle semble plutôt se mettre au service des personnages, qui sont silencieux, discrets, effacés.
Citations :
Dès la première gorgée, Rose sentit quelque chose se dénouer dans sa poitrine. La bière était fraîche, les pages du journal froissées et, sous sa semelle gauche, elle pouvait sentir la solidité du repose-pieds. Ces trois sensations lui faisaient déjà un monde, un chez-soi convenable. (Page 10)
Ces innombrables solitudes, niées à coups d'achat online et de plateaux télé, étaient la trame même des réseaux et de la modernité. Elles constituaient le gisement aurifère de notre temps. Sur ce ramassis de distances et de détresses, les GAFA faisaient leur beurre. Des milliards de dollars naissaient de ce malheur disséminé. (Page 32)
Au moins, la période des fêtes apportait son lot d'exceptions. Il pouvait contempler le trop-plein des gens dans la rue, calfeutré d'alcool, mélancolique et patient. La solitude faiblissait sous l'éclat des vitrines, les débordements d'ampoules, les chants enregistrés et le fourmillement des hommes. (page 84)
Depuis quelque temps, le juge se laissait aller. Il tardait à se lever, faisait des balades. Des préoccupations qui l'avaient tenu bandé vingt-cinq années durant s'étaient dénouées d'un seul coup. S'ensuivait un profond sentiment de délassement, une paresse assez délectable, et une impression de déconfiture très lente aussi. (...) Les responsabilités s'étaient volatilisées les unes après les autres ces dernières années et, de plus en plus souvent, il restait au lit tard, grillait des feux rouges sans s'en apercevoir, sortait sans éteindre la lumière, s'endormait devant le JT ou prenait deux fois ses cachets. Progressivement, il lâchait la rampe, osait le flou, et le plus surprenant dans tout ça, c'était cette sorte de curieux soulagement qui en résultait, car au fond, plus personne n'avait plus rien à lui dire. On lui foutait la paix. Vieillir avait au moins cet avantage : les autres vous lâchaient la grappe. (page 133-134)
elea2020- Grand sage du forum
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