[Gogol, Nicolas] Tarass Boulba
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[Gogol, Nicolas] Tarass Boulba
Tarass Boulba
Nicolas Gogol
135 pages
Traduit par Louis Viardot
1843
Bibebook
Nicolas Gogol
135 pages
Traduit par Louis Viardot
1843
Bibebook
Présentation (celle de Garnier Flammarion) :
Récit historique, épopée et extraordinaire roman d'aventures tout à la fois, Tarass Boulba est l'oeuvre de Gogol la plus lue et la plus souvent traduite. Véritable plongée au coeur de l'Ukraine du XVIIe siècle, ce roman retrace, à travers l'histoire d'un chef cosaque haut en couleur et de ses deux fils, le destin d'une communauté en lutte, d'un côté, contre l'occupation polonaise, et, de l'autre, contre les agressions tatares. Par-delà les expéditions guerrières, les chevauchées dans la steppe et le récit des séjours au camp - cette étrange république où l'on festoie autant que l'on s'entraîne -, le romancier met en scène une idylle interdite, celle qui unit le fils cadet de Tarass Boulba à une jeune Polonaise... Nul mieux que Gogol n'a su faire jaillir avec tant d'acuité l'éclat de ce « siècle à demi sauvage », ainsi que l'a noté Henri Troyat : « Malgré l'horreur de ce drame, tout éclaboussé de sang, une sorte d'optimisme s'en dégage. [...] La robuste santé des protagonistes, la simplicité de leurs passions, la grandeur homérique de leurs exploits, la beauté des paysages qu'ils traversent, tout cela, mystérieusement, réconforte le lecteur [...]. Au vrai, Tarass Boulba est un roman écrit par un peintre. »
Mon avis :
Je me suis vraiment régalée à la lecture de cette épopée divertissante, souvent drôle, pleine de bruit et de fureur, de ruses guerrières, jonchée d'ossements et de cadavres - fiers, car ce sont des Cosaques, ou méprisables, car ce sont des ennemis.
Le moins que l'on puisse dire est que, pour Tarass Boulba, chef d'une tribu de Cosaques, le monde est simple : avant tout faire la guerre aux ennemis de la "vraie religion" (entendez l'Eglise chrétienne orthodoxe), massacrer et piller toutes sortes de gens, les ennemis ne manquent pas, puis dépenser tout en festoyant, et en faisant un sort au tonneau d'eau-de-vie. Voilà qui s'appelle vivre ! Les femmes ? Que nenni ! Un bon Cosaque vit entre compagnons de guerre, à la setch, campement provisoire de plusieurs groupes dirigés par un ataman, chef élu démocratiquement par l'Assemblée.
Voilà que justement, Tarass compte former ses fils, qui reviennent frais émoulus de leurs études à Kiew (Kiev, nous sommes en Ukraine, dans le peuple des Cosaques zaporogues), en les emmenant directement faire la guerre (rien de tel pour former des hommes), en passant par la découverte de la setch. S'il n'est pas encore question de guerre, en manœuvrant quelque peu, Tarass parviendra bien à en lancer une. Il est belliqueux, n'aime pas l'oisiveté et sait parler aux hommes. Qu'à cela ne tienne ! On trouvera bien un motif en route.
Effectivement, on trouve. Ces sauvages de Polonais et de Tatars écument les rives du Dniepr, il faut leur apprendre à vivre. Au passage, on se fera la main sur les Juifs - de fait, l'antisémitisme longtemps de mise en Russie est bien représenté dans l'idéologie cosaque ! D'assemblée en assemblée, Tarass parviendra à déclencher le siège de Doubno, ville ukrainienne dirigée par des seigneurs polonais. Enfin, ses fils vont pouvoir se dégourdir les armes sur un bon et solide cheval cosaque, et tailler les Polonais en pièces en poussant des cris barbares ! Celui des deux du moins qui ne se laissera pas attendrir bêtement par une belle Polonaise, non mais !
Cette folle équipée, si elle se mène dans la truculence et la violence des épopées médiévales - ceux qui ont lu Homère, Chrétien de Troyes ou des chansons de geste comprendront - sèmera la mort dans son sillage, et bien des mères et épouses éplorées pourront pleurer en se griffant la poitrine, et les joueurs de bandoura chanter les exploits des Braves cosaques jusqu'à la fin des temps, pour la plus grande gloire de la terre ukrainienne et de l'église orthodoxe... Bref ! Cela donne passablement l'impression d'entendre un bon vieux morceau d'Arkona, groupe russe de hard rock "pagan folk" un chouïa nationaliste et nostalgique de la Grande Russie.
Il me paraît évident qu'il est difficile d'adhérer à un tel récit aujourd'hui : la dimension haineuse, et plus encore, les clichés sur les Juifs voleurs, les expéditions punitives contre eux, les Polonais, les Tatars, ainsi que le mépris des femmes et la glorification des hommes, des vrais - on choisira aussi bien d'en rire, mais cela reste pesant pour un lecteur ou une lectrice d'aujourd'hui. Pourtant, le style incroyable et puissant de Gogol magnifie cette épopée brutale, nous livrant des scènes de vie, des morceaux choisis, criants de vérité, ou encore des évocations de lieux naturels, la steppe, le fleuve, aux accents poignants comme le cri lointain des cygnes sauvages, dont le vol s'éloigne au-dessus de nos têtes. Que de beauté, de force, concentrées dans cette petite centaine de pages ! Tarass Boulba est une œuvre inoubliable, c'est aussi l'épopée de la terre et de l'âme russe.
Citations :
Et voilà que père et fils, au lieu de s’embrasser après une longue absence, commencent à se lancer de vigoureux horions dans les côtes, le dos, la poitrine, tantôt reculant, tantôt attaquant. (Page 5)
Toute la setch* priait dans la même église, prête à la défendre jusqu’à la dernière goutte de sang, bien que ces gens ne voulussent jamais entendre parler de carême et d’abstinence.
*setch : regroupement des Cosaques dans un campement provisoire (Page 30)
"Jeunes gens, en toutes choses écoutez les anciens. Si une balle vous frappe, si un sabre vous écorche la tête ou quelque autre endroit, n’y faites pas grande attention ; jetez une charge de poudre dans un verre d’eau-de-vie, avalez cela d’un trait, et tout passera. Vous n’aurez pas même de fièvre. Et si la blessure n’est pas trop profonde, mettez-y tout bonnement de la terre, après l’avoir humectée de salive sur la main." (Page 45)
Mais l’avenir est inconnu ; il se tient devant l’homme, semblable à l’épais brouillard d’automne qui s’élève des marais. Les oiseaux le traversent éperdument, sans se reconnaître, la colombe sans voir l’épervier, l’épervier sans voir la colombe, et pas un d’eux ne sait s’il est près ou loin de sa fin. (Page 51)
Quand un homme devient amoureux, il est comme une semelle qu’on met tremper dans l’eau pour la plier ensuite comme on veut. (Page 73)
Si l’aigle doit arracher les yeux à ton cadavre, que ce soit l’aigle de nos steppes, non l’aigle polonais, non celui qui vient des terres de la Pologne. Fusses-tu mort, je te ramènerai en Ukraine. (Page 109)
(...) et à la tête de ce polk était Tarass Boulba. Tout lui donnait l’avantage sur le reste des chefs, et son âge avancé et sa longue expérience, et sa science de faire mouvoir les troupes, et sa haine des ennemis, plus forte que chez tout autre. Même aux Cosaques sa férocité implacable et sa cruauté sanguinaire paraissaient exagérées. Sa tête grise ne condamnait qu’au feu et à la potence, et son avis dans le conseil de guerre ne respirait que ruine et dévastation. (Page 129)
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