[Garix, Joe] Petite ville

Résumé de couverture :
Une jeune femme retourne dans sa ville natale, aux pieds des Pyrénées, pour se réconcilier avec son passé, et tenter de retrouver le meurtrier de son amie d'enfance, assassinée lorsqu'elle était adolescente.
Cette enquête sensorielle dans les nuits de la petite ville de province lui rappellera son enfance et le mépris que lui témoignaient alors les gens de la ville.
Son investigation solitaire sera jalonnée de rencontres étranges. Elle devra plonger dans le passé pour faire resurgir sa mémoire.
Voyager dans la nuit pour retrouver la lumière.

Mon avis :
Dans cette novella proche du format d'un roman, nous suivons le personnage principal, une jeune femme qui revient sur les traces de son passé, dans cette "petite ville" du Sud-Ouest, à la fois aimée pour sa géographie, ses bâtiments, ses jardins, tous lieux désaffectés ou peuplés uniquement de ses visions et souvenirs, et à la fois détestée pour ses habitants, l'état d'esprit étroit souvent propre aux petites villes de province.

Elle est aujourd'hui inconnue, on ne s'en prend plus à elle, elle n'a pas de nom, n'est qu'une visiteuse, fantôme parmi les fantômes peut-être - mais ce ne fut pas toujours le cas. Enfant puis adolescente, elle y a vécu une histoire violente, faite des torsions cruelles de la perte des seules personnes qui l'aimaient et la protégeaient, sa grand-mère, ses sœurs, et de la vrille incandescente de la maltraitance, au retour de "Tamère", sa mère, dont elle connaissait si peu le rôle maternel qu'elle l'appelait "Tamère" sans comprendre le lien qui l'unissait à elle. Il est vrai qu'une mère qui vous rejette, essaie de vous tuer en pleine nuit, vous forçant à traverser une fenêtre pour lui échapper, puis à vivre des mois à la rue, ça vous pose une vie. Pourtant, elle est bonne élève, mais cela devient compliqué de suivre des études, d'autant plus que les habitants de la ville lui tiennent rigueur, à elle, de la réputation de sa mère. Tous lui tournent le dos, et tordent le nez et la bouche sur son passage. Elle n'est rien pour personne. Heureusement, il y a Niki, son amie et complice...

Mais si elle est ici, c'est que Niki n'est plus : elle voudrait bien aujourd'hui retrouver ses traces, et pourquoi pas recourir à des moyens de stimuler une mémoire traumatique enfouie, faire renaître des indices pour comprendre ce qui est arrivé à son amie. Elle va rester trois mois dans la petite ville, parcourir les lieux de jour, souvent de nuit, faire et défaire les chemins de mémoire, trouver des gens, parfois tout droit issus du passé, comme la Vieille Treille, extraordinaire commère extralucide, pour rendre justice, à sa façon.

Je suis très proche du coup de cœur pour cette histoire sensible et prenante, familière à la fois, puisque c'est le 3ème récit de l'auteure que je lis, et inédite, car Joe Garix aborde ici des thèmes plus sombres et plus personnels, tournant en cercles concentriques pour appréhender l'indicible. Gagez toutefois qu'elle vous entraîne dans sa quête avec humanité, car ce qui fait la vie belle et bonne, les sensations douces à goûter, qui nous rendent vivant(e), sont plus que jamais présents dans cette longue nouvelle. J'aurais quelque restriction sur le glissement parfois intempestif du passé au présent (dans l'emploi des temps verbaux), l'abus parfois des verbes impersonnels à l'infinitif, dans des phrases non verbales un peu sèches, mais finalement... N'est-ce pas le sens même de cette histoire de juxtaposer les plans, de nous perdre un peu dans les ruelles sombres de la ville, de nous désincarner pour mieux explorer, observer et sentir ? Je mettrais 4,75/5 si je pouvais.

Citations :
Jusqu'à sept ans, elle ne s'était jamais soucié de savoir si elle était une fille ou un garçon, si elle était jolie ou pas, comment elle était arrivée là, quelles étaient ses origines... Elle vivait simplement d'une joie animale dans la grande maison et le jardin aux fleurs géantes qui constituaient un excellent terrain de jeu, entre un chien, un chat et de nombreuses autres petites bêtes, sous la vigilance de sa grand-mère et de ses grands-parents. (Page 10)

Dès qu'une interaction survenait avec quelqu'un, elle ne savait trop comment répondre ou réagir. C'est dans les livres qu'elle apprenait en théorie les comportements humains, les relations sociales, familiales ou amoureuses. Elle hantait les rayons de la bibliothèque municipale pour trouver des réponses dans les livres, pour comprendre ce monde dans lequel elle se sentait étrangère. (Page 17)

Petite ville où la nuit d'hiver tombe vite. Chacun se hâte de rentrer chez soi. Les volets se ferment comme les yeux et les cœurs. Dans la froideur immobile de la nuit, la ville prend une toute autre allure. Les nuits paraissent durer une éternité. L'horloge de l'église s'est arrêtée, le jet d'eau de la place a cessé de chanter. Comme si un sortilège l'enveloppait. (Page 32)

Elle remarque que quand elle émet un effort pour se souvenir, rien ne vient, ça ne marche pas. Il faut plutôt se détendre, dans un état entre la veille et le sommeil. Partir d'une seule image ou sensation et dérouler le fil de l'écheveau de la mémoire, sans forcer, se laisser emporter, descendre et retrouver. (Page 129-130)