[collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
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Quel est votre avis sur ce recueil de poésie ?
[collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
Zéno Bianu, Sophie Nauleau et André Velter (choix des poèmes et présentation)
12 petits livres de 48 pages
Nrf poésie Gallimard et Télérama
Zéno Bianu, Sophie Nauleau et André Velter (choix des poèmes et présentation)
12 petits livres de 48 pages
Nrf poésie Gallimard et Télérama
Présentation des éditeurs :
"Concernant la poésie, les idées reçues sont irrecevables. Mais elles ont la vie dure. Particulièrement celles qui se lamentent, génération après génération, sur la perte d'audience des poètes contemporains, comme si leurs aînés avaient toujours connu, en leur temps, une exceptionnelle faveur.
Aussi faut-il contrecarrer pareil penchant morose, objecter à ce lancinant refrain qui doit tout à la paresse et à la nostalgie. Aussi faut-il proposer aujourd'hui, sinon imposer, les voix si affirmées, si marquantes, si éclairantes et, à bien des égards, si activement dérangeantes, de Guillevic, André Frénaud, René Daumal, Armand Robin, Edmond Jabès, Ghérasim Luca, Aimé Césaire, Yves Bonnefoy, Henri Pichette, André du Bouchet, Lorand Gaspar, Philippe Jaccottet.
Douze parcours, du lapidaire au volcanique, du révolté au méditatif, du polyphonique à l'incongru, du stupéfiant au transparent, du tellurique au sensuel, du dépouillé au luxuriant... Douze parcours pour ne pas cesser de changer d'univers, fût-ce dans la même galaxie."
André Velter
Responsable de la collection Poésie/Gallimard
Fabienne Pascaud
Directrice de la rédaction de Télérama
Contenu du coffret :
Guillevic (1907-1997) - Si je n'écris pas aujourd'hui
André Frénaud (1907-1993) - Tout sera longuement fatal
René Daumal (1908-1944) - La nuit de vérité nous coupe la parole
Edmond Jabès (1912-1991) - Marche à vif jusqu'à l'homme
Armand Robin (1912-1961) - A partir de minuit je serai dans le monde
Ghérasim Luca (1913-1994) - Ne pas détacher le vide du sol
Aimé Césaire (1913-2008) - A boulets rouges d'enfer et de fleurs
Yves Bonnefoy (1923) - Même au-delà du temps le jour se lève
Henri Pichette (1924-2000) - Je me plais à la neige, à la grêle, au tonnerre
André du Bouchet (1924-2001) - Je vais droit au jour turbulent
Lorand Gaspar (1925) - Toi n'ayant que ce temps et ce lieu
Philippe Jaccottet (1925) - On ne vit pas longtemps comme les oiseaux
Mon avis :
Ce coffret se présente sous la forme de petits livrets, presque au format carnet, chacun formant le recueil de poèmes représentatifs d'un poète contemporain. Ils sont au nombre de 12. le format se prête bien à les emmener partout dans son sac à main, ils sont légers et faciles à lire, même dans une file d'attente.
Ces poèmes et leurs auteurs sont, pour une grande partie d'entre eux, si j'en excepte Aimé Césaire ou Philippe Jaccottet, une découverte pour moi. Certes, j'ai eu l'occasion de lire un poème ou un texte de Bonnefoy, mais en dehors des oeuvres complètes de Jaccottet dans la Pléiade, volume généreusement prêté par une amie, je n'ai aucun recueil de ces auteurs dans ma PAL – enfin si, car l'opus de Bonnefoy m'a conduite à agrandir ma PAL de deux livres du poète, j'ai été séduite et j'ai eu envie de le découvrir davantage.
Pour conclure sur le coffret dans son ensemble, avant de passer au cas par cas, j'ai le même sentiment, en abordant ce territoire peu connu et expérimenté de la poésie contemporaine, de vaguer dans la grande salle austère et lumineuse, blanche et nue du FRAC de mon département, et de m'y confronter, avec une compréhension capricieuse, aux objets d'art exposés dans ce sanctuaire de l'art contemporain. La plupart du temps, je ne peux que rester perplexe face à l'oeuvre, voire démunie devant le discours qui s'y rattache, mais j'ai la volonté d'essayer toujours, l'obscur espoir d'un jour toucher quelque chose… Parfois, un déclic se produit, et je me sens réconciliée avec cet espace où le vide joue un rôle important, espace qui a pu tout de même accueillir une caravane lors d'une installation. Je me dis alors qu'ici se joue quelque chose qui est aussi pour moi – pourquoi pas ?
J'ai lu chaque livret en prenant mon temps, aussi certaines lectures ne sont plus proches, demanderaient à être parcourues de nouveau, ou à être prolongées par des lectures complémentaires. J'ai pris le parti d'évoquer brièvement chacun des recueils sous une forme un peu poétique, en dressant un parallèle avec une expérience imaginaire qui me paraît « coller » à l'oeuvre. Il faudra donc m'excuser de la longueur de cette critique – je l'actualiserai au fur et à mesure de mon avancée. Puisqu'il fallait bien choisir un ordre (les aiguilles de l'horloge ne peuvent pas osciller en tout sens au hasard des 12 heures), il sera bêtement alphabétique, par le classement du nom des auteurs.
Dernière édition par elea2020 le Ven 1 Avr 2022 - 11:57, édité 1 fois
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Re: [collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
Yves Bonnefoy : Même au-delà du temps le jour se lève
Sur le cours de ces poèmes, j'ai pu descendre le fleuve des émotions sur le bateau sobre invoqué par le poète : radeau de fortune du marin échoué repartant à l'aventure ou bien barge solide, dont le pont verrait étalés les outils de l'artisan, du faiseur – bateau modeste suivant son trajet coutumier, rêvant peut-être de piraterie sous les étoiles.
(J'ai perçu tout de suite ce parallèle avec Rimbaud – or, il se trouve que Bonnefoy a écrit sur Rimbaud, cette admiration de poète à poète se ressent).
Nous sommes des navires lourds de nous-mêmes,
Débordants de choses fermées, nous regardons
À la proue de notre périple toute une eau noire
S'ouvrir presque et se refuser, à jamais sans rive.
("Dans le leurre des mots")
Dernière édition par elea2020 le Ven 1 Avr 2022 - 17:56, édité 2 fois
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Re: [collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
André du Bouchet : Je vais droit au jour turbulent
Je me suis sentie seule dans cette pièce équarrie, ces murs plans traversés de champs, de chemins, de montagnes, au jour renaissant, dans une solitude géométrique et froide. C'est peut-être comme de jouer avec ce casse-tête, et, de même qu'avec les mots infatigablement recomposés, réassociés par le poète, tenter de recréer une figure géométrique, de faire entrer des pièces de bois brut et lisse, dans un cadre immuable qui voudra bien d'eux ou rejettera une pièce. Hermétique de par sa simplicité extrêmement travaillée, ce recueil aura surtout été pour moi une promesse élusive – peut-être faudra-t-il y revenir d'une autre manière.
Le jour écorche les chevilles.
Veillant, volets tirés, dans la blancheur de la pièce.
La blancheur des choses apparaît tard.
Je vais droit au jour turbulent.
("Du bord de la faux", in "Dans la chaleur vacante")
Je me suis sentie seule dans cette pièce équarrie, ces murs plans traversés de champs, de chemins, de montagnes, au jour renaissant, dans une solitude géométrique et froide. C'est peut-être comme de jouer avec ce casse-tête, et, de même qu'avec les mots infatigablement recomposés, réassociés par le poète, tenter de recréer une figure géométrique, de faire entrer des pièces de bois brut et lisse, dans un cadre immuable qui voudra bien d'eux ou rejettera une pièce. Hermétique de par sa simplicité extrêmement travaillée, ce recueil aura surtout été pour moi une promesse élusive – peut-être faudra-t-il y revenir d'une autre manière.
Le jour écorche les chevilles.
Veillant, volets tirés, dans la blancheur de la pièce.
La blancheur des choses apparaît tard.
Je vais droit au jour turbulent.
("Du bord de la faux", in "Dans la chaleur vacante")
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Re: [collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
Aimé Césaire : À boulets rouges d'enfer et de fleurs
Quand le poète martiniquais convoque la langue pour recréer le monde autour de lui, dans sa rêverie déployée à feu et à sang, le lecteur entre sans transition dans la touffeur de la jungle... J'ai entrevu, en taillant un chemin à coup de machette, les lianes souples des vers surréalistes, des bulles crevant la surface du marais, le volcan lointain grondant, tandis que passent dans un coin de ciel obscurci des nuées de pur-sangs, que les oiseaux et les étoiles se donnent le mot.
Nous pourrions nous perdre, mais derrière les troncs élancés, la batouque résonne, accorde nos cœurs à la transe des percussions, jette des feux de sons qui éveillent le monde. Nous y sommes, les cœurs gagnés par la musique n'ont pas de couleur, la peur n'est pas conviée dans ce nouveau monde.
Le jour passera comme une vague avec les villes en bandoulière
dans sa besace de coquillages gonflés de poudre
Soleil, soleil, roux serpentaire accoudé à mes transes
de marais en travail
le fleuve de couleuvres que j'appelle mes veines
le fleuve de créneaux que j'appelle mon sang
le fleuve de sagaies que les hommes appellent mon visage
le fleuve à pied autour du monde
frappera le roc artésien d'un cent d'étoiles à mousson.
("Batouque")
Quand le poète martiniquais convoque la langue pour recréer le monde autour de lui, dans sa rêverie déployée à feu et à sang, le lecteur entre sans transition dans la touffeur de la jungle... J'ai entrevu, en taillant un chemin à coup de machette, les lianes souples des vers surréalistes, des bulles crevant la surface du marais, le volcan lointain grondant, tandis que passent dans un coin de ciel obscurci des nuées de pur-sangs, que les oiseaux et les étoiles se donnent le mot.
Nous pourrions nous perdre, mais derrière les troncs élancés, la batouque résonne, accorde nos cœurs à la transe des percussions, jette des feux de sons qui éveillent le monde. Nous y sommes, les cœurs gagnés par la musique n'ont pas de couleur, la peur n'est pas conviée dans ce nouveau monde.
Le jour passera comme une vague avec les villes en bandoulière
dans sa besace de coquillages gonflés de poudre
Soleil, soleil, roux serpentaire accoudé à mes transes
de marais en travail
le fleuve de couleuvres que j'appelle mes veines
le fleuve de créneaux que j'appelle mon sang
le fleuve de sagaies que les hommes appellent mon visage
le fleuve à pied autour du monde
frappera le roc artésien d'un cent d'étoiles à mousson.
("Batouque")
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Re: [collectif] Petite Bibliothèque de poésie contemporaine
René Daumal : La Nuit de vérité nous coupe la parole
J'ai suivi les pas du poète, peureusement, vers des antres sans fond, peuplés d'insectes, de nuit, de vérités grouillantes sous la main.
Il cherchait la mort, je n'avais pas envie de la trouver - j'attendais derrière lui. Sa mort lui faisait changer de visage, de couleur, comme il le souhaitait.
Prenait-il des substances illicites ou son sang était-il sa propre drogue ? Il savait que les morts nous entourent, nous traversent, pourtant à jamais inatteignables, éloignés d'un rien - qui faisait tout.
Nous sommes revenus de sa quête, mais d'un rien. Cela tenait au fait de nommer et à la fois de ne pas nommer son être profond, le nom qui le représentait. Mieux valait encore se mordre la langue jusqu'au sang que de dire le mot de trop.
APRES
Je vais renaître sans cœur,
toujours dans le même univers,
toujours portant la même tête,
les mêmes mains,
peut-être changées de couleurs,
mais cela même ne me consolerait point.
Je serai cruel et seul
et je mangerai des couleuvres
et des insectes crus.
Je ne parlerai à personne,
sinon en paroles d'insectes
ou de couleuvres nues,
en mots qui vivront et riront malgré moi.
J'ai suivi les pas du poète, peureusement, vers des antres sans fond, peuplés d'insectes, de nuit, de vérités grouillantes sous la main.
Il cherchait la mort, je n'avais pas envie de la trouver - j'attendais derrière lui. Sa mort lui faisait changer de visage, de couleur, comme il le souhaitait.
Prenait-il des substances illicites ou son sang était-il sa propre drogue ? Il savait que les morts nous entourent, nous traversent, pourtant à jamais inatteignables, éloignés d'un rien - qui faisait tout.
Nous sommes revenus de sa quête, mais d'un rien. Cela tenait au fait de nommer et à la fois de ne pas nommer son être profond, le nom qui le représentait. Mieux valait encore se mordre la langue jusqu'au sang que de dire le mot de trop.
APRES
Je vais renaître sans cœur,
toujours dans le même univers,
toujours portant la même tête,
les mêmes mains,
peut-être changées de couleurs,
mais cela même ne me consolerait point.
Je serai cruel et seul
et je mangerai des couleuvres
et des insectes crus.
Je ne parlerai à personne,
sinon en paroles d'insectes
ou de couleuvres nues,
en mots qui vivront et riront malgré moi.
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