[Bierce, Ambrose] Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession
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[Bierce, Ambrose] Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession
Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession
Ambrose Bierce
Les Cahiers rouges - Grasset
TRaduction de l'anglais Jacques Papy
163 pages
18/03/2020
ISBN : 978-2-246-82401-5
Ambrose Bierce
Les Cahiers rouges - Grasset
TRaduction de l'anglais Jacques Papy
163 pages
18/03/2020
ISBN : 978-2-246-82401-5
Résumé de couverture :
Ces Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession rassemblent des nouvelles consacrées à la guerre civile américaine. Ambrose Bierce, vétéran de ce conflit qui reste le plus meurtrier de l'histoire des États-Unis, aborde les horreurs des combats avec un sang-froid qui en décuple l'épouvante. Il évoque la peur d'aller à l'assaut, d'affronter les coups de sabre, d'avancer sur un champ de bataille où s'abattent les obus, mais aussi l'arrogante élégance des officiers qui semble un dernier défi à la mort. Peu d'écrivains ont montré de manière aussi saisissante ce qu'est réellement une guerre.
Mon avis :
Si nous en croyons le titre, nous sommes, avec ces 14 nouvelles, projetés dans un univers où la mort entraîne avec elle de façon quasi-burlesque les hommes, toutes conditions sociales confondues ; présence de la mort qui serait relatée avec une distance ironique, en gardant son calme au cœur de la bataille. Ces nouvelles d'un conflit vieux de 157 ans nous font revivre en immersion, avec exactitude, le vécu des soldats, officiers ou simples artilleurs, soldats d'infanterie, sur le front, là où ça cogne, tranche, troue et explose.
Il est important de préciser que l'auteur, Ambrose Bierce, possède la plus grande légitimité à raconter ces jours de guerre entre États du Sud et du Nord : il y était. Il nous en dit plus dans l'avant-avant-dernière nouvelle, Georges Thurston : "Au camp ou en marche, à la caserne, mes fonctions d'officier topographe m'astreignaient à un travail incessant : je passais toute la journée en selle, et la moitié de la nuit à lever des plans à ma table de dessin. Ma tâche présentait de graves dangers : plus je pouvais approcher les lignes ennemies, plus grande était la valeur de mes notes et des cartes qui en résultaient." Ainsi pouvons-nous l'imaginer dans chaque nouvelle, lors des charges ou sur les lignes de défense, en poste avancé, ou encore sous la mitraille et le vrombissement des obus. Il fut lui-même gravement blessé à la tête et dut quitter l'armée après le conflit. N'oublions pas : la guerre, c'était hier...
Certes, la connaissance du front acquise par la vie militaire donne un caractère de véracité à ces récits, mais aussi une grande variété, dans le choix des personnages, des situations, des lieux de bataille. Parfois même, la mort, dans un accès d'ironie ultime, choisit de prendre ses victimes dans des situations peu martiales - tel le soldat qui se rompt le cou sur une balançoire. Souvent, le décalage entre les scènes de bataille attendues, l'héroïsme sur fond de clairon, et la réalité édifiante du champ de bataille, dément tout discours martial : l'héroïsme, le courage des hommes est présent, et tient souvent en de plus petites choses, simplement surmonter sa peur déjà... Mais la guerre, c'est autre chose : courir à l'attaque dans des broussailles, trouver où dormir en sécurité, supporter le sifflement horrible des obus au-dessus de votre tête, vous débattre avec des conditions météorologiques pénibles (pluie continue, brouillard dense) et, plus que tout, lutter avec l'omniprésence de la mort, la "camarde", et des morts, vous retrouver allongé à côté d'un cadavre lors d'une offensive, passer la nuit dans une forêt ténébreuse en présence d'un mort dont vous avez l'impression qu'il avance peu à peu, grignote votre espace vital... Il faut avoir les nerfs solides !
Tout est pris en compte, analysé avec soin, pesé, car seule la quintessence de l'humanité figure dans ces textes relativement courts : les motivations pour s'enrôler, les relations entre soldats, la fraternité militaire, le commandement et l'obéissance (obéir à des ordres iniques sans contester, se contenter de faire son devoir), le face-à-face avec l'ennemi (d'autres hommes), ce qu'on laisse à l'arrière, la version personnelle à chacun du courage, ou de l'inconscience. Ces nouvelles sont merveilleusement stylisées, empreintes malgré l'horreur de la poésie d'un moment ou de la beauté d'un paysage, d'un rêve avant de mourir. On y touche du doigt aussi bien la sagesse que l'absurdité, l'éternité fugitive, le sens de son existence compris en un éclair - tout ce qu'on a, en somme. Ambrose Bierce est un grand auteur parmi les grands, insuffisamment connu (sinon reconnu, car son talent ne fait pas mystère dans le monde littéraire). Je devrais mettre 5/5, mais je garde un souvenir meilleur encore d'autres nouvelles, notamment celle découverte sous la forme d'un court-métrage, An Occurrence at Owl Creek's Bridge, qui me l'a fait connaître à 20 ans, et plus jamais oublier ensuite. (4,5/5)
Citations :
Tous ces tueurs d'hommes, endurcis et impénitents, pour lesquels la mort sous ses formes les plus horribles est chose familière, qui dorment sur des collines ébranlées par le tonnerre des canons, qui dînent sous une averse de projectiles et jouent aux cartes parmi les visages morts de leurs amis les plus chers, tous, le cœur palpitant , le souffle suspendu, guettent l'issue d'un acte impliquant la mort d'un seul homme. Tel est l'attrait mystérieux du courage et du dévouement. "Un Fils des dieux", page 25.
Naturellement la mort finit par venir : qui défie la loi des probabilités provoque un adversaire invincible. "Tué à Resaca", page 53.
Qu'implorait-il donc ? Il implorait ce que nous accordons même à la créature la plus humble qui n'a pas assez de raison pour le demander, ce que nous refusons aux seuls malheureux de notre race, cette délivrance bénie, ce rite de la compassion suprême : le coup de grâce. "Le Coup de grâce", page 88.
- (...) Je suis sudiste par ma naissance et par mes sentiments, mais, pour des sujets d'importance, j'ai coutume d'agir selon ce que je pense et non selon ce que je sens. "Combats d'avant-postes, I : du désir de mourir", page 91.
Un peu à l'écart, le général Masterson, un cigare à la main, s'entretenait avec un de ses subordonnés en faisant de grands gestes.
- Ç'a été la plus belle bataille que j'aie jamais vue, disait-il. par ma foi, ç'a été splendide !
La beauté et la splendeur étaient attestées par une rangée de morts, disposés en bon ordre, et une rangée de blessés, placés avec beaucoup plus de fantaisie, agités, demi-nus, mais élégamment parés de plusieurs pansements. "Combats d'avant-postes, IV : Honneur aux grands hommes", page 103.
L'artilleur salua lentement, gravement, avec une raideur extrême. Un homme très au courant des subtilités de l'étiquette militaire aurait compris que, par son attitude, il montrait qu'il ressentait profondément la réprimande dont il venait d'être l'objet. Un des usages les plus importants de la civilité consiste à dissimuler la rancœur. "Un Certain genre d'officier, I : Des Usages de la civilité", page 115.
Dans la terre molle, les roues des canons et des fourgons de munitions créaient des sillons inégaux ; les mouvements de l'infanterie semblaient gênés par la boue qui adhérait aux pieds des soldats en train d'avancer péniblement en lignes sinueuses à travers les champs inondés et la forêt ruisselante, grelottant dans leur uniforme trempé, protégeant leur fusil tant bien que mal sous le collet de leur manteau. Des officiers à cheval, dont la tête émergeait de ponchos imperméables luisant comme de noires armures, se frayaient un chemin, un par un ou en groupes, au milieu des hommes ; ils paraissaient se déplacer sans aucun but défini et ne retenaient l'attention de personne. Ça et là, un cadavre aux vêtements souillés de terre, le visage caché par une couverture ou exposé à la pluie, ajoutait son influence déprimante à celle des autres aspects lugubres de la scène, rehaussant le malaise général par une tristesse particulière. Ces épaves semblaient singulièrement répugnantes : elles n'avaient rien d'héroïque, et personne n'était accessible à la contagion de leur patriotique exemple. "Un Certain genre d'officier, II : Dans quelles circonstances les hommes n'aiment pas qu'on leur tire dessus", page 116-117.
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Re: [Bierce, Ambrose] Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession
Ton avis donne envie Elea pour un sujet atypique (le titre intrigue et amuse à la fois) mais sous forme de nouvelles, peut-être que ça se renouvelle plus.
Malgré la mort omniprésente, j'ai l'impression que ce n'est ni "plombant" ni difficile à lire, c'est ça? Peut-être parce que les situations sont parfois originales?
De quand date la première parution de cet ouvrage?
Malgré la mort omniprésente, j'ai l'impression que ce n'est ni "plombant" ni difficile à lire, c'est ça? Peut-être parce que les situations sont parfois originales?
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