[Korman, Cloé] Les presque soeurs
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[Korman, Cloé] Les presque soeurs
Titre : Les presque soeurs
Auteur : Cloé KORMAN
Parution : 2022 (Seuil)
Pages : 256
Présentation de l'éditeur :
Entre 1942 et 1944, des milliers d’enfants juifs, rendus orphelins par la déportation de leurs parents, ont été séquestrés par le gouvernement de Vichy. Maintenus dans un sort indécis, leurs noms transmis aux préfectures, ils étaient à la merci des prochaines rafles.
Parmi eux, un groupe de petites filles. Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d’internement en foyers d’accueil, de Beaune-la-Rolande à Paris. Cloé Korman cherche à savoir qui étaient ces enfants, ces trois cousines de son père qu’elle aurait dû connaître si elles n’avaient été assassinées, et leurs amies.
C'est le récit des traces concrètes de Vichy dans la France d’aujourd’hui. Mais aussi celui du génie de l’enfance, du tremblement des possibles. Des formes de la révolte.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Cloé Korman est née en 1983 à Paris. Son premier roman, Les Hommes-couleurs (Seuil, 2010), a été récompensé par le prix du Livre Inter et le prix Valery-Larbaud. En 2013, elle a publié, toujours au Seuil, Les Saisons de Louveplaine, puis Midi en 2018, et Tu ressembles à une juive en 2020.
Avis :
« Certaines histoires sont comme des forêts, le but est d’en sortir. D’autres peuvent servir à atteindre des îles, des ailleurs. Qu’elles soient barques ou forêts, elles sont faites du même bois. »
Si l’auteur est entrée dans la forêt obscure, sur les traces des enfants morts de la Shoah, c’est sur l’invitation de sa sœur Esther, qui, s’étant découverte voisine d’un témoin des faits, avait commencé à reconstituer l’histoire de leurs trois petites cousines, mortes en déportation à la toute fin de la guerre. Cloé Korman s’est alors lancée dans une enquête qui, du Loiret à Paris, l’a menée pas à pas là où la France de Vichy a fait passé les sœurs Korman – Mireille, Jacqueline et Henriette – et leurs « presque soeurs » – Andrée, Jeanne et Rose Kaminsky –, toutes les six raflées à Montargis en 1942, internées dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, puis plusieurs fois séparées et réunies au hasard de leurs affectations dans différents foyers d’accueil parisiens où, recensées sur les listes juives des préfectures, elles attendirent que leur sort, apparemment encore indécis, se scellât au bon vouloir des autorités.
Aussi chaotique que le parcours de ces fillettes ballottées de lieux en lieux puissent paraître, le récit mène pourtant à un constat implacable : en fait de tergiversation quant à leur destin, il n’y eut jamais qu’une question d’organisation et de logistique. Si les enfants ne furent pas déportés dès le début avec leurs parents, restant orphelins à la charge d’un Etat français impatient de s’en débarrasser, ce fut uniquement pour ne pas encombrer les camps de travail en attendant que la machinerie d’extermination nazie eût atteint le niveau capacitaire requis. Alors, dans l’intervalle, on les casa, peu importe comment, dans des lieux d’attente, puisant dans leurs listes pour optimiser les convois d’adultes lorsqu’ils étaient incomplets… Pour les sœurs Korman, l’heure du départ fatal sonna en 1944, dénotant, de la part des responsables français, un « acharnement à faire des victimes alors que la défaite nazie était acquise ».
Nous faisant « prendre la mesure des mensonges putrides dont est capable un État jusqu’à assassiner ceux dont il a la protection avec la bonne conscience qui s’autorise des tampons de commissaires, et la respectabilité des signatures de sous-préfets ayant l’honneur de s’adresser à leur préfet, ou de préfets déférant à leur ministre avec des listes de noms d’enfants », établissant tristement le rôle « de mise à feu du génocide » joué par la France, la narration s’éclaire aussi fugitivement des actes individuels de révolte, des coups de pouce rencontrés ça et là qui ont pu renverser la fatalité et sauver des vies, comme celles des sœurs Kaminsky, enfuies après six tentatives manquées. Ainsi, sur les « presque soeurs » promises au même destin par la barbarie des hommes, trois auront pu emprunter une traverse vers la vie...
Moins introspectif et, du coup, peut-être moins chargé émotionnellement que la bouleversante Carte postale d’Anne Berest, le livre de Cloé Korman n’en frappe pas moins l’esprit en abordant la Shoah sous un angle demeuré méconnu : le sort très hypocritement réservé par la France de Vichy aux orphelins laissés par les adultes juifs déportés. Aussi soigneusement documenté qu’admirablement écrit, le récit très concret a de quoi ébranler profondément le lecteur, aussi averti soit-il déjà de la part de responsabilité de l’administration française dans le génocide. Et puis, déjà horrifié par le sujet dans son ensemble, comment ne pas rester songeur face aux bifurcations du destin, qui d’une pichenette condamne ou sauve, à partir de situations strictement identiques… Coup de coeur. (5/5)
Re: [Korman, Cloé] Les presque soeurs
Merci Cannetille pour ta critique
louloute- Grand sage du forum
-
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Emploi/loisirs : mère au foyer
Genre littéraire préféré : thriller, historique, policier
Date d'inscription : 11/12/2009
Re: [Korman, Cloé] Les presque soeurs
Mon avis :
Livre que je n'aurai jamais lu si je ne l'avais pas reçu. Voilà, c'est dit : je lis très peu de livres sur la seconde guerre mondiale et la déportation, ma propre histoire familiale (trois ans de camp de travail pour mes grands-parents polonais catholiques) me suffit amplement.
Nous avons à faire avec un récit minutieux, qui fait suite à une enquête non moins minutieuse, qui nous emmène dans des lieux marquants de l'histoire de la déportation des juifs en France, des lieux oubliés, des lieux dont on ne parle pas, ou peu. Je pourrai presque dire qu'il nous parle de la vie quotidienne dans les camps de transit, dans les centres de "tri", et l'autrice ne nous cache jamais ce que ces mots recouvrent.
Le récit fait des aller et retour entre le présent, celui de l'enquête de l'autrice, interrompue par le confinement, et le passé, le parcours des trois soeurs, les cousines de son père, et des trois "autres" soeurs, qui elles, ont survécu. Le récit reste toujours fluide, précis sans être froid, émouvant sans jamais sombrer dans le pathos. Il donne à voir les enfants, les adultes, à redonner des noms, des visages, des morceaux de vie, à des êtres qu'allemands et français (l'autrice ne gomme jamais le rôle des français dans ce récit) ont voué à l'extermination.
Il donne aussi la parole à celles qui ont pu survivre, parce que des personnes, autour d'elles, se sont organisées pour faire tout leur possible pour les sauver. Mention spéciale à Andrée, qui aura tout supporté de l'état français, même après la guerre.
Pour moi, ce fut une des rencontres les plus percutantes de cette rentrée littéraire : quelle soit notre situation, il est des sujets qu'il ne faut pas passer sous silence. L'autrice elle-même était enceinte quand elle a retracé le parcours des cousines de son père, et pourtant, elle ne s'est pas arrêtée aux croyances de certains (= ne pas penser à des événements tragiques pendant une grossesse).[/justify]
Livre que je n'aurai jamais lu si je ne l'avais pas reçu. Voilà, c'est dit : je lis très peu de livres sur la seconde guerre mondiale et la déportation, ma propre histoire familiale (trois ans de camp de travail pour mes grands-parents polonais catholiques) me suffit amplement.
Nous avons à faire avec un récit minutieux, qui fait suite à une enquête non moins minutieuse, qui nous emmène dans des lieux marquants de l'histoire de la déportation des juifs en France, des lieux oubliés, des lieux dont on ne parle pas, ou peu. Je pourrai presque dire qu'il nous parle de la vie quotidienne dans les camps de transit, dans les centres de "tri", et l'autrice ne nous cache jamais ce que ces mots recouvrent.
Le récit fait des aller et retour entre le présent, celui de l'enquête de l'autrice, interrompue par le confinement, et le passé, le parcours des trois soeurs, les cousines de son père, et des trois "autres" soeurs, qui elles, ont survécu. Le récit reste toujours fluide, précis sans être froid, émouvant sans jamais sombrer dans le pathos. Il donne à voir les enfants, les adultes, à redonner des noms, des visages, des morceaux de vie, à des êtres qu'allemands et français (l'autrice ne gomme jamais le rôle des français dans ce récit) ont voué à l'extermination.
Il donne aussi la parole à celles qui ont pu survivre, parce que des personnes, autour d'elles, se sont organisées pour faire tout leur possible pour les sauver. Mention spéciale à Andrée, qui aura tout supporté de l'état français, même après la guerre.
Pour moi, ce fut une des rencontres les plus percutantes de cette rentrée littéraire : quelle soit notre situation, il est des sujets qu'il ne faut pas passer sous silence. L'autrice elle-même était enceinte quand elle a retracé le parcours des cousines de son père, et pourtant, elle ne s'est pas arrêtée aux croyances de certains (= ne pas penser à des événements tragiques pendant une grossesse).[/justify]
Sharon- Modérateur
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