[Heidsieck, Emmanuelle] Il faut y aller, maintenant
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[Heidsieck, Emmanuelle] Il faut y aller, maintenant
Titre : Il faut y aller, maintenant
Auteur : Emmanuelle HEIDSIECK
Parution : 2023 (Editions du Faubourg)
Pages : 112
Présentation de l'éditeur :
« Je me suis perdue dans mes pensées. Et à présent, c’est le départ. Un dernier coup d’œil à cette pièce que je ne reverrai jamais. Le bureau, avec les affaires d’Alexandre, je n’y ai pas touché. Partir sans trop se retourner, c’est ce qu’il faut faire, sinon je n’y arriverai pas. Les larmes aux yeux, partir. Tout abandonner, ma vie à mes pieds. Trouver la force de m’extraire de mon monde. Ces larmes qui montent, pas question. Il faut être ferme et droite, on a encore du chemin à faire. »
Il faut y aller, maintenant se situe après un coup d’État militaire. Inès, une Parisienne de plus de soixante-dix ans, se voit contrainte à l’exil. Dans ce chaos, juste avant le départ fatidique, elle revisite son existence et sa place dans l’Histoire. Et s’adresse à Aida, son sauveur inattendu, dans un monologue à deux, poignant et effréné.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Emmanuelle Heidsieck est une romancière qui mêle la fiction littéraire aux questions politiques et sociales. Elle décrit, souvent de façon grinçante, des héros se débattant dans un monde qui tourne de moins en moins rond. Elle a notamment publié Notre aimable clientèle (Denoël, 2005), Il risque de pleuvoir (Le Seuil, Fiction & Cie, 2008), À l’aide ou le rapport W (Inculte-Laureli, 2013 ; réédition aux Éditions du Faubourg, 2020). Elle a également publié des nouvelles et a participé à des ouvrages collectifs, en particulier Les Jours heureux, sur le démantèlement du programme du Conseil national de la Résistance. Elle a été membre du comité d’administration de la Société des Gens de Lettres (SGDL) de 2015 à 2019. Plusieurs de ses œuvres ont été adaptées à la radio (France Culture), ou au théâtre.
Avis :
Dans un futur très proche, un coup d’État militaire a fait basculé la France sous une dictature d’extrême droite, un « mélange d’ultralibéralisme et d’État policier » comme au temps de Pinochet au Chili. La narratrice Inès, veuve septuagénaire d’un PDG du CAC 40, n’en revient pas de se retrouver sur les listes des « éléments subversifs », en raison, semble-t-il, de ses anciennes bonnes œuvres : sous ce régime gauchophobe, le bénévolat auprès de migrants et de personnes fragiles a mauvaise presse, et la voilà toute aussi indésirable que les Juifs et les Musulmans déjà pourchassés en masse.
Alors qu’elle réalise que, pour elle aussi, l’heure est venue de partir pour un exil vraisemblablement définitif à son âge, la panique l’étreint. Dans l’attente angoissée de la camionnette qui doit venir les chercher pour les conduire subrepticement au Bourget - elle et sa bonne mauricienne qui a proposé de l’héberger là-bas, dans son île -, Inès ne peut empêcher les mots de couler en un long monologue à l’adresse de cette femme dont on ne fait que deviner les réponses. Se remémorant avec remords les signes avant-coureurs sur lesquels, dans son aveuglement et sa lâcheté, elle avait préféré fermer les yeux, elle revient également sur sa vie et sur son histoire familiale, en une confession encore incrédule où dominent la honte et la culpabilité.
Nostalgique et douloureux, son discours interroge sur les responsabilités, entre assentiments et indifférences, d’une génération qui, rétamée par une « forme de dépression latente » face à l’amoncellement des menaces, ne se sent plus toujours la force d’agir et de réagir, préférant alors compromis et compromissions dans une attitude globale de déni, d’évitement et de passivité. Se souvenant des difficultés à sortir du silence bâti par la honte et par l’effroi autour de la Shoah, mais aussi de « l’honnête homme » que fut son grand-oncle, lui qui préféra sacrifier sa carrière de préfet plutôt que de trahir son ministre de tutelle, « Dreyfus de la Grande Guerre », Inès nous conjure avec les mots de Michael Berenbaum : « Les choses sont difficiles à regarder. C'est pourquoi nous devons les regarder. Elles provoquent en nous un sentiment de honte non parce que nous sommes les criminels, mais de la honte parce que nous appartenons à la même espèce que les auteurs de ce crime. Mais si vous êtes mal à l’aise tant mieux. Si nous sommes toujours à l’aise, si nous avons l’esprit tranquille, alors une part profondément morale de notre humanité s’est brisée et a disparu. »
Alors, courage ou évitement : ce conte philosophique - que l'on pourra trouver déconcertant et, au début, assez désagréablement logorrhéique -, nous rappelle, qu’un jour ou l’autre, de toute façon, il faut choisir son camp, et qu’à les laisser pourrir, les situations n’en finissent par moins par nous rattraper. Tôt ou tard, il faudra bien y faire face et se dire : "Il faut y aller, maintenant..." (2,5/5)
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