[Kaur, Rupi] home body

Présentation de l'éditeur :
Après ses best-sellers lait et miel et le soleil et les fleurs, rupi kaur* revient avec un troisième recueil de poésie. À la fois sombre et lumineux, home body célèbre l'acceptation de soi, le corps, la féminité, et délivre un message d'amour et d'espoir en ces temps troublés.

*Rupi Kaur délaisse volontairement les majuscules, à la fois dans ses poèmes et dans son nom.

Mon avis :
C'est un recueil un peu déroutant qui se lit toutefois très vite. La forme poétique est très simple et pourrait même paraître plate, elle ne comporte que peu d'images, de métaphores. C'est ce qu'on lui reproche généralement. Pourtant, si on met en veilleuse son esprit critique pour approcher le texte avec un regard neuf, les racines de ses vers se font leur chemin doucement en nous et nous parvenons à ressentir ce qu'elle exprime. Le recueil se compose de quatre parties : esprit - cœur - repos - éveil ; il s'agit peut-être d'un cheminement, ou de quatre aspects de notre vie à réconcilier, entre lesquels il faut trouver un équilibre pour être bien. Je penche pour le cheminement, la progression, car ce motif est très présent dans son recueil - avancer, mais à son rythme, en se respectant, et accepter les plages de repos, les cassures de rythme.

Les thèmes ici évoqués par cette jeune femme d'origine indienne (née en Inde) vivant aux États-Unis, qui s'est fait connaître sur le réseau social Instagram, rejoignent les préoccupations de jeunes femmes d'aujourd'hui, sinon qu'elle a une histoire bien plus lourde. Elle a connu des abus sexuels très jeune (pour le côté sombre, évoqué dans deux poèmes), et s'est penchée sur la cause des femmes et le vécu du racisme. Ses parents sont venus en Amérique du Nord pour fuir les persécutions envers la communauté sikh, c'est une histoire et une appartenance qu'elle cherche à se réapproprier aussi, notamment dans la quatrième partie.

Ces poèmes tout simples m'ont fortement parlé, je regrette toutefois un peu de ne pas les avoir pris directement en anglais. Ils sont bien traduits, mais j'aurais sans doute été mieux à même de les saisir pleinement dans leur langue d'origine, et j'aurais pu constater si sa poésie simple joue avec les sonorités. Je ne connaissais pas l'autrice, sinon de nom, et j'ai apprécié ce petit "manuel" de résilience et de résistance personnelle. Je comprends pourquoi sa lecture a fait du bien à de nombreux.ses jeunes lecteurs.trices, les motive et les encourage. Comme souvent avec des textes très intimes, on arrive à toucher à l'universel. Je mettrais toutefois 4/5, d'une part en raison des thèmes un peu trop rebattus et qui "sonnent woke" (femme guerrière), même si c'est une étiquette que je déteste voir appliquer - c'est donc peut-être un peu schématique pour moi. De plus, les tonalités new-age de la quatrième partie ne m'ont pas grandement accrochée, j'ai préféré les trois premières. Le style me parle, c'est le type de poésie que j'aime, et il vous entraîne d'un vers à l'autre sans même vous rendre compte que vous lisez. Petit plus : elle accompagne ses textes de dessins subtilement épurés, c'est très agréable à parcourir et le format est agréable à tenir.

Citations :
la dépression est silencieuse
tu ne l'entends jamais venir
et soudain elle est
la voix la plus bruyante dans ta tête (page 15)

si tu pouvais accepter
que la perfection est impossible
par quoi cesserais-tu d'être obsédée (page 20)

je ne suis pas mes pires moments
je ne suis pas ce qui m'est arrivé

- rappel (page 32)

si tu les attends
pour te sentir quelqu'un de suffisamment bien
tu attendras longtemps (page 60)

il y a des années en moi
qui n'ont pas dormi (page 87)

le bonheur
a vieilli à m'attendre
et j'ai vieilli
à chercher le bonheur
là où il ne vivait pas (page 108)

nul n'est qualifié pour décider de ta valeur
tu te réveilles et vis ta vie tous les jours
ton opinion sur toi est la seule
valable (page 119)

quel soulagement
de découvrir que
les douleurs que je pensais
n'appartenir qu'à moi
sont ressenties aussi par
tant d'autres (page 138)