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[Padura, Leonardo] Ouragans tropicaux

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Message par Sharon Lun 4 Sep 2023 - 9:30

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Titre : Ouragans tropicaux
Auteur : Leonardo Padura
éditions : Métailié
Nombre de pages : 450 pages

Présentation de l’éditeur :

2016. La Havane reçoit Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé Chanel. L’effervescence dans l’île est à son comble. Les touristes arrivent en masse. Mario Conde, ancien flic devenu bouquiniste, toujours sceptique et ironique, pense que, comme tous les ouragans tropicaux qui traversent l’île, celui-ci aussi va s’en aller sans que rien n’ait changé.  La police débordée fait appel à lui pour mener une enquête sur le meurtre d’un haut fonctionnaire de la culture de la Révolution, censeur impitoyable. Tous les artistes dont il a brisé la vie sont des coupables potentiels et Conde a peur de se sentir plus proche des meurtriers que du mort… Sur la machine à écrire de Mario Conde, un texte prend forme : en 1910, la comète de Halley menace la Terre et un autre ouragan tropical s’abat sur La Havane : une guerre entre des proxénètes français et cubains, avec à la tête de ces derniers Alberto Yarini, un fils de très bonne famille et tenancier de bordel prêt à devenir président de la toute nouvelle République de Cuba. Le présent et le passé ont et auront toujours des liens insoupçonnés.

Mon avis :

Rédiger un avis sur la dixième oeuvre que l’on lit d’un auteur, c’est aussi résister à la tentation de relire ces avis précédents, et tant pis s’ils se ressemblent un peu, tant pis si je continue à dire tout le bien que je pense de cet auteur cubain, qui vit à Cuba, et qui cerne bien la société cubaine dans laquelle il vit.

Mario Conde a dépassé la soixantaine maintenant. Pour lui, la question de partir ou de rester ne se pose pas, mais pour certains de ses amis, de ses complices de toujours, elle se pose dans l’urgence : si les cubains ont le droit, après moults démarches, de voyager à l’étranger, pour rendre visite à leurs proches qui sont partis, en revanche, ce voyage ne peut dépasser une certaine durée, sinon, le retour est impossible. Et, pour ne prendre qu’un exemple, si Tamara est toujours au côté de Mario, il sait très bien que voir son petit-fils italien, âgé de deux ans ne peut que lui donner envie de partir, de retourner là-bas, de rester, peut-être. Mario est le témoin de Cuba qui change, de Cuba qui accueille des invités d’honneur que jamais il n’aurait pensé voir – et qui, pour lui, il n’est plus temps de voir, comme les Stones. Quant aux soeurs Kardashian, il ne sait même pas qui elles sont, et ce n’est peut-être pas plus mal.

La police est débordée, la sécurité avant tout, celles de tous ces millionnaires venus sur l’île, son île, celle du président Obama. Aussi, quand un meurtre est commis, son ancien collègue fait appel à lui, d’autant plus que la victime est bien connue. Il fut un homme impitoyable, au service du régime. Il a brisé des carrières artistiques est une formule bien trop plate. Il fut un véritable tortionnaire pour les artistes qui ne correspondaient pas aux attentes du régime, artistes qui étaient de véritables artistes, loin de la propagande. Il a brisé leur âme, leur créativité, l’essence même de leur vie. Personne pour le regretter, à part peut-être sa propre famille – et encore. Pour les artistes dont il a massacré les aspirations, il est trop tard, non parce qu’ils sont morts, mais parce que la flamme est éteinte : être en vie et ne plus parvenir à créer est sans doute le pire pour un artiste, qu’il soit poète, peintre, musicien ou auteur. Alors oui, Conde enquête, mais plus encore sur les ravages causés par la victime que sur le/les meurtrier(s).

Parallèlement, nous sommes projetés cent ans en arrière, dans un Cuba que nous ne connaissons pas, nous européens (pouvons-nous vraiment nous targuer de connaître le Cuba contemporain ?). A travers le regard d’un policier qui se veut intègre, nous sommes plongés dans le milieu des proxénètes cubains du début du XXe siècle, nous découvrons le sort des femmes, et à quel point il était facile de sombrer dans la prostitution, d’y perdre pied, d’y perdre la vie. Ce n’est pas tant que la mort d’une prostituée inquiète réellement la police, c’est plutôt que la police sait à quel point un proxénète est jaloux de ce qui lui appartient : gare à celui qui veut lui prendre ou lui a pris son bien. Pardon ? Ce sont des êtres humains ? Je le sais, vous le savez, les proxénètes l’ont totalement oublié. Si certains donnent l’illusion de les traiter avec humanité, ce n’est le plus souvent qu’une illusion, le mieux qui puisse leur arriver est d’être traitées comme de gentils petits animaux de compagnie bien dociles. La violence n’est jamais loin, la violence est même tout près, prête à surgir, et même si l’on s’y attend, par les anticipations du narrateur dans cette partie du récit, l’on peut toujours être surpris.

Les deux récits prennent leur temps pour ce déployer. Le récit est ample, le récit est riche, de toutes les sensations, de toutes les émotions éprouvées par les personnages, de tout ce qu’ils ont pu voir et entendre – leur voix ne peut être censurée, leur ressenti bâillonné. J’ai toujours l’impression, en lisant les oeuvres de Padura, que le personnage principal est avant tout Cuba, passé, présent, celui dont l’avenir est incertain, celui dont l’avenir est rêvé, celui où, quand on est cubain, l’on a toujours envie de revenir, parce que même si l’on a souffert, l’on ne peut se résoudre à mourir loin de cette île.
Sharon
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