[Candiard, Adrien] Comprendre l'islam ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien]

Résumé de l'éditeur :
"Depuis des années, nous sommes abreuvés d'informations et d'opinions sur l'islam. L'actualité tragique du monde comme les mutations profondes de la société française, tout ne cesse de pointer vers cette religion, à laquelle journaux, sites Internet et émissions de télévision consacrent tant de décryptages. Pourtant, le paradoxe est là : plus on l'explique, moins on le comprend."

Pourquoi peut-on dire sur l'islam tant de choses contradictoires ? Et pour connaître son "vrai visage", comment s'y prendre ? Suffit-il de lire le Coran ? Peut-on enfin savoir si cette religion, avec son milliard de croyants, en veut vraiment à notre mode de vie et à la paix dans le monde ?

Dans ce livre lumineux, qui éclaire sans prétendre tout résoudre, Adrien Candiard explique pourquoi, en ce qui concerne l'islam, rien n'est simple.
Une lecture dont on sort heureux d'avoir, enfin, compris quelque chose.

L'auteur, frère dominicain, s'est spécialisé dans la théologie de l'islam, qu'il étudie au Caire.

Mon avis :
J'ai abordé avec l'esprit ouvert ce bref essai de 120 pages environ, qui m'a permis de mieux comprendre un certain nombre de choses, mais qui à mon sens ne répond pas vraiment à la question cruciale posée dans le résumé : l'islam en veut-il à la paix et à notre mode de vie ? Ou plutôt, je ne spoile pas, on en ressort en sachant que c'est l'idéologie salafiste qui sert de matrice aux théories djihadistes (et surtout au passage à l'acte), mais sur le mouvement-même, on aimerait savoir à quel moment cela peut-il s'arrêter. Ce n'est, pour être honnête, pas le propos de l'auteur.

L'auteur est un fin connaisseur de l'histoire et de la théologie de l'islam, ce qui lui permet surtout de nous enseigner que les questions liées à cette religion sont bien plus complexes qu'il n'y paraît, et qu'un observateur extérieur ne devrait du reste pas se permettre de définir quel est l'islam acceptable ou non - en termes bien sûr de théologie, non d'actions de haine ou de violence. Il ressort également clairement que ce que nous, Européens, jugeons en termes de rationalité hérités des Lumières et de la philosophie grecque, est contre-intuitif lorsque appliqué à l'islam, et mène à des conclusions erronées.

Nous sortons de cette lecture en ayant compris que la matrice de l'islam djihadiste est toujours le salafisme, qui se base lui-même sur une lecture littérale du Coran (texte pourtant ô combien difficile à aborder et à interpréter), qui selon l'auteur est une illusion, car on ne peut reproduire aujourd'hui le contexte de la communauté primitive de Médine. Le conflit sunnites/chiites nous est expliqué, de même que ce qu'est l'islam politique (les Frères Musulmans notamment). Il nous explique le système des lois, des hadiths, la place qu'ils prennent dans l'islam traditionnel. En bref, c'est un essai sous une forme parlée (restitution d'une conférence), organisé, peut-être un peu trop dominé par l'Histoire. C'est très intéressant et instructif, mais ce n'est pas si lumineux et facile à comprendre, au contraire de ce qu'il annonce - et c'est tout à l'honneur de l'auteur, puisqu'il défend au contraire la réflexion, le temps pris à se renseigner et à essayer de comprendre, plutôt que de réagir sous le coup de l'émotion. Il faut toutefois s'accrocher à la lecture et ne pas se laisser dérouter par les paradoxes. 4/5

Citations :
Je suis convaincu que c’est ce travail patient, à bien des égards ascétique, qui est en ce moment le plus utile mais le moins pratiqué. (…) Dans la situation dramatique qui est la nôtre, où les défis qui nous sont posés sont considérables, rien n’est plus urgent sans doute que de prendre le temps de comprendre en profondeur. (page 12 – Introduction)

La question sous-jacente, qu’on ne cesse de me poser sous toutes les formes possibles, de dîners amicaux en interviews prévues sur toute autre chose, est toujours la même : faut-il avoir peur ? L’islam, avec son milliard de croyants, en veut-il vraiment à notre mode de vie et à la paix dans le monde ? (page 13 – Introduction)

Dès qu’on essaie d’entrer davantage dans les détails, d’expliciter un peu une de ces formulations sommaires, la diversité saute aux yeux. (page 23)

Tout d’abord, le Coran est un texte à peu près incompréhensible. Certains de ses versets sont très clairs, c’est vrai ; mais le livre lui-même est extrêmement difficile. (page 25)

Croire qu’un texte, et spécialement, un texte ancien, et plus encore un texte considéré comme saint, parle de lui-même et qu’il suffit de l’ouvrir pour le comprendre est une illusion. (page 26)

Pour tenter d’aller un peu plus loin, je dirais que le Coran n’est pas un texte violent, mais qu’il offre une certaine disponibilité à un usage violent. (page 28)

Nous sommes marqués par un schéma d’explication très européen, celui des Lumières, selon lequel nous assisterions à une opposition au sein de l’islam entre des traditionalistes rétrogrades, voulant conserver des pratiques totalement médiévales, et des modernisateurs qu’il conviendrait d’épauler dans leur tâche d’avant-garde éclairée. (page 55)

Le salafisme n’est pas un mouvement traditionnel. C’est même exactement le contraire : il refuse l’islam traditionnel, ce qui se transmet de génération en génération, au nom d’un rapport direct à l’origine. (…) Cet islam-là n’est pas lesté par des siècles d’expérience historique des responsabilités. Il n’a jamais eu à faire cohabiter des peuples, à appliquer des lois, à se confronter à un réel qui existe, qui résiste et qui oblige à faire aussi de la politique – qui est l’art du compromis avec le réel. (page 67)

Nous n’avons pas à choisir quel est le « vrai visage » de l’islam, mais continuer à tenir qu’il en a plusieurs pas parce que cela nous fait plaisir, mais parce que c’est vrai. (page 71)

L’urgence n’est pas, pour l’islam, de rompre avec sa tradition, mais au contraire de retrouver un rapport apaisé, constructif, avec sa tradition. (page 74)