[Grenier, Fernand] Ceux de Châteaubriant
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[Grenier, Fernand] Ceux de Châteaubriant
Ceux de Châteaubriant
Fernand Grenier
Avec un texte de Louis Aragon, 1942
Le Témoin des martyrs
1979 (3ème édition corrigée)
Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé
238 pages
Fernand Grenier
Avec un texte de Louis Aragon, 1942
Le Témoin des martyrs
1979 (3ème édition corrigée)
Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé
238 pages
Pas de présentation de couverture
Un mot sur l'auteur : Fernand Grenier (1901-1992) a été arrêté le 5 octobre 1940 en tant que député de la Seine et membre du Parti Communiste français ; il connaîtra trois camps avant de s'évader du camp de Choisel le 18 juin 1941. Il a donc bien connu ces camarades de résistance qui seront fusillés 4 mois plus tard. Fernand Grenier participera au Gouvernement Provisoire en 1944, puis sera de nouveau député de 1945 à 1968. Il avait déjà écrit pour L'Humanité.
Mon avis :
J'ai acheté ce livre de témoignage vécu le jour-même de la commémoration des 27 otages à la carrière de Châteaubriant, au Musée de la Résistance. C'est la deuxième fois que j'y assiste, et j'ai été chaque fois saisie par la force et l'émotion de cette cérémonie d'hommage, avec les personnalités, les gerbes de fleurs déposées devant les poteaux symbolisant ceux de l'exécution, la terre prélevée dans les camps où sont morts les autres détenus apportée par des élèves de collèges ou de lycées, les chants - la Marseillaise, le Chant du Partisan, l'Internationale... Ne pas oublier.
On se doutera donc que j'ai abordé ce livre de souvenirs et de témoignage historique avec respect et émotion, parfois au bord des larmes en lisant les derniers mots de ces otages, hommes simples et grands, jeunes ou plus âgés, qui trouvèrent le courage de mourir pour que la France redevienne libre. Tous n'étaient pas communistes, mais c'était tout de même le cas de la plupart d'entre eux (raison pour laquelle le PCF est également appelé "Parti des fusillés", à juste titre et dès 1941) - d'autres étaient syndicalistes, ou médecins, ingénieur, non affiliés à un Parti. Ils avaient été arrêtés entre 1940 et 1941, au tout début de la guerre, parce qu'ils continuaient leur activité clandestinement (tracts, journaux clandestins) ou avaient refusé de prêter allégeance au gouvernement de Vichy : le seul magistrat qui avait refusé de prêter serment fut également interné à Choisel.
Fernand Grenier fait la part belle à ses camarades, il présente chacun d'entre eux, son parcours, sa dernière lettre. Il évoque avec douleur les réactions au moment de l'appel du jeune, si jeune Guy Môquet (17 ans), les tentatives des camarades adultes, même de la femme de l'un d'eux qui était également emprisonnée au camp, d'être fusillé.e à sa place. Sa dernière lettre vous amène les larmes au bord des paupières, autant que ses derniers mots sur les planches de la baraque : "Vous qui restez, soyez dignes de nous, les vingt-sept qui allons mourir." Mais il relate aussi la vie quotidienne, les difficultés d'approvisionnement, les vexations, la solidarité, l'organisation de la vie du camp, avec énergie et efficacité - comme les corvées, mais aussi l'université clandestine où les plus compétents et instruits partageaient leur savoir. Il nous raconte par le menu le déroulé exact de la journée du 22 octobre 1941, avec l'exécution des autres otages au champ de tir à Nantes. Enfin, il nous fait connaître le sort des autres internés de Choisel, le départ pour les camps de Voves puis Rouillé, avant la déportation, d'où si peu reviendront... Il nous impressionne aussi avec les plans élaborés pour les évasions, notamment celle du tunnel menant des douches à l'extérieur des barbelés, qui permit de faire évader 42 prisonniers en une seule nuit.
Le récit de Fernand Grenier est suivi d'un texte en prose de Louis Aragon, écrit anonymement et distribué sous forme de tracts, mais aussi lu sur Radio-Londres. La direction du PCF avait fait parvenir clandestinement à l'auteur les écrits des fusillés, à partir desquels il a reconstitué cet hommage de 20 pages. Il s'agissait de célébrer leur sacrifice, mais aussi d'en tirer un exemple pour les débuts de la Résistance, ce qui fut bien le cas. Ils doivent être source d'inspiration encore aujourd'hui, et nous montrer que le courage et la fraternité prévalent dans les temps dangereux, et que face à la mort, la consolation est d'avoir été juste et en accord avec ses valeurs et ses idées. (4,5/5)
Citations :
La résistance était commencée. Pour tenter de la briser, il fallait des prisons, des camps. Celui de Châteaubriant allait très bientôt entrer dans l’histoire. (page 23)
Je l’entends encore rabrouer à Châteaubriant les rares militants qui trouvaient des prétextes pour manquer tel ou tel cours :
- Profitez de votre inaction pour vous instruire, vous aurez à juger plus tard si votre temps a été oui ou non perdu. (page 72)
« Quelle belle ambition que de pouvoir regarder son passé sans honte, à la dernière minute de son existence ! » (Emile Rigaud, page 118)
« Qui pourra dire l’opposition si grande entre deux jours si proches : 31 décembre, 1er janvier. Il semble que nous commençons une autre vie. Autant hier était terne et triste, autant aujourd’hui est gai et animé. Hier portait en lui les misères, les déceptions de toute une année. Aujourd’hui est plein des espoirs d’un an neuf et prometteur. » (1er janvier 1942 - Emile Rigaud, page 144)
L’exemple des fusillés de Châteaubriant, de leur fière et courageuse attitude devant la mort, est rappelé à ceux qui, honnêtes, ont cependant un moment de défaillance ; il suffit le plus souvent à surmonter une passagère faiblesse. (page 166)
Il arrive à chacun d’entre nous de rencontrer des braves gens accablés par la moindre contrariété. Nous lisons des livres, nous voyons des films, écrits ou réalisés par des auteurs intelligents ; nous y faisons connaissance avec des personnages terriblement compliqués et leur existence effroyablement vide nous donne le vertige. Je crois qu’ils sont tels car rien ne les élève au-dessus d’eux-mêmes et qu’ils sont tragiquement seuls. (page 198)
Le Témoin des martyrs, Aragon :
Ceux qui meurent pour elle dans notre pays meurent anonymes ; le plus souvent, on ne dit même pas qu’ils sont morts (…). Je partage ici le glorieux anonymat de tant de morts que vous ne pouvez plus vous étonner de cet anonymat. (page 212)
Ces hommes étaient prisonniers pour leurs idées, ils avaient défendu leurs croyances au mépris de leur liberté. Ils s’étaient refusés à suivre l’exemple de ceux qui, se reniant par lâcheté ou par intérêt, sont passés dans le camp de ceux qu’ils combattaient la veille. (page 213)
Est-ce bien la France, direz-vous, où se passent des choses pareilles ? Oui, c’est la France, soyez-en sûrs. Car ces vingt-sept hommes représentent la France mieux que ceux qui les ont désignés aux bourreaux. (page 228)
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