[Castillon, Claire] Les longueurs
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[Castillon, Claire] Les longueurs
Résumé de couverture :
Dans la tête d'une enfant sous l'emprise d'un pédophile: un roman vertigineux et cru, porté par le talent magistral de Claire Castillon.
« Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t'a fait un sale coup ? Je peux t'aider ? Je te dépose au collège ? » Outre noire. Peinture. Soulages. Cours d'art plastique avec Mme Peynat en salle 2B. Concentre-toi, Lili. Trouve la solution. Il y a toujours une voie de réchappe. Les mamans savent, à peu près. D'instinct, elles devinent. À peu près. La mienne sait que dans sa fille quelque chose ne marche plus.
Mon avis :
Lu dans le cadre du Prix des lecteurs 2023-2024 de mon lycée nantais.
Ça commence avec la couverture, dérangeante au possible, et ce titre étrange : longueurs, c'est-à-dire ? Longueurs de piscine ? Longueurs de robes ou jupes ? Non, elle fait de l'escalade, et depuis ses huit ans, elle refuse toute tenue féminine proposée par sa mère quand elles font du shopping. Dans le langage de l'escalade - j'avoue, j'ai cherché - il s'agit d'un type d'escalade en plusieurs étapes. Voilà, c'est ça : par quelles étapes une enfant de huit ans peut-elle devenir l'objet sexuel d'un pédophile ? Par quelles étapes perd-elle son innocence, son enfance ? Par quelles étapes comprend-elle, sept ans plus tard, qu'elle doit sauver sa peau et parler ? Alice, Lili, a de la chance, elle est bien entourée : même si sa mère a été naïve, elle est de son côté, elle l'écoute ; ses amies, et surtout Émilie, l'amènent graduellement à comprendre que sa situation n'est pas normale et qu'elle peut en sortir. Mais combien d'Anna n'ont personne à qui dire ça ? Personne pour les convaincre que c'est toujours de la faute de l'agresseur qui les abuse, et qu'elles n'ont pas voulu ça.
Le ton est donné, on n'aura pas affaire à un roman qui met le problème sous le tapis. On va se prendre un mur dans la figure, c'est certain, parce que personne ne peut imaginer ce que c'est que d'être une petite fille avec des rêves d'enfant, comme d'avoir un père quand le sien est parti en Amérique avec une femme plus jeune, et démissionne de son rôle de père, même s'il essaie, mollement, de garder contact. Alors, quand le meilleur ami de la mère refait surface, celui qui collectionne les petites copines, celles qui, adultes, ne sont qu'une façade, Lili et sa mère y croient : il va jouer un rôle de père aimant auprès de la petite. Il est drôle, enjoué, il sait amuser les enfants et partager leurs goûts ; il aime tout ce qui est interdit, on s'amuse avec lui, ah ça oui ! En plus, il est moniteur d'escalade, et Lili est douée, elle grimpe aussi dans les compétitions, ce qui l'amène à devoir passer des week-ends entiers avec lui. On comprendra vite que les choses ne dérapent pas du point de vue de Mondjo, qui a de 42 ans à plus de 50 ans, elles sont précisément calculées pour en arriver là, isoler la fillette et se servir d'elle comme "paillasson" (ce sont ses mots), des "gouzgouz" du début à toute pratique sexuelle qu'il est impensable d'avoir avec un enfant.
Jamais le roman de Claire Castillon n'est complaisant envers l'agresseur pédophile, mais ce qu'il faut comprendre, c'est la solitude d'une enfant si elle subit ça en secret, ce qui bien sûr est le sens du discours des prédateurs sexuels. Il est évident que pour elle, les gouzgouz pouvaient être acceptables quand ce n'était que des chatouilles, mais qu'appeler ensuite par ce mot des pratiques sexuelles, c'est incompréhensible pour une gamine, elle ne peut comprendre ce qui lui arrive. Elle ne consent pas, puisqu'elle ne sait pas qu'un adulte n'a pas le droit de faire ça, tout au plus est-elle ambivalente parce qu'il promettait d'être un gentil papa qui lui faisait des cadeaux, passait du temps avec elle. Le cheminement de la fillette, puis jeune fille, est à hauteur de ses pensées, de ses pauvres stratégies pour éviter ce qui lui arrive, puis de ce mouvement de remonter vers la surface, de sauver Anna étouffée par le matelas bleu. Le langage du roman est essentiel pour montrer à la hauteur de ce qu'on peut comprendre, et toujours rester dans le point de vue d'une enfant, trop tôt corrompue, éloignée de son enfance. Les séquelles sont terribles, il n'est que de voir Paola, ancienne victime tombée dans l'anorexie, ou au contraire, d'assister en spectateur impuissant à cette poignante scène où Lili se compare, par force, à la petite sœur de son amie, une petite fille de dix ans, restée protégée au contraire d'elle.
Je ne peux que recommander chaudement ce roman, même si l'horreur ordinaire est parfois plus dure à affronter que l'imaginaire. C'est une démonstration magistrale de la puissance des mots, de la sortie de la souffrance par la parole, auprès d'amis, et de vrais adultes de confiance. Claire Castillon n'adopte pas un langage enfantin, mais son style fait mouche, avec des phrases brèves, des métaphores sèches ou bouleversantes, et un pathos présent mais qui n'embarrasse jamais la lecture. C'est le genre de roman dont on ressort changé, parce qu'on a vécu une traversée avec le personnage, on a expérimenté quelque chose, il nous a fait grâce d'une empathie réelle, pour nous rendre conscient, et peut-être mieux voir les Anna ou leur équivalent masculin qui nous entourent. 5/5
Citations:
J'ai un nouveau papa beaucoup moins américain que l'autre, mais beaucoup plus responsable. Le matin, il me réveille à l'heure, il me prépare des crêpes il m'emmène à l'école. Les autres doivent penser que c'est mon père, et je suis fière. (page 17)
Non maman, pas de pull doux échancré, pas de collant pour mes soirées, pas de soutien-gorge pour remplacer mes brassières de sport. Non maman, pas de shopping entre filles, on va à la police, viens avec moi maman, tu vas comprendre. (page 22)
Il m'appelle Anna, alors je le reprends :
- Non, Alice, Mondjo, tu sais bien que je m'appelle Alice !
- Mais non, me répond-il, quand on se dit je t'aime avec le corps, on peut s'appeler autrement, tu veux bien t'appeler Anna, dans notre secret ? (page 38)
Quand il nie comme ça, en me regardant comme si j'étais une menteuse folle, et quand il me traite de malfaisante, je le crois. (page 44)
J'apprends que chaque enfant possède ainsi dans sa vie un adulte qui l'aime comme un supérieur de l'amour, mais un supérieur gentil et attentionné. C'est généralement quelqu'un de son entourage. Mondjo tient à ce que le mot "supérieur" ne m'effraie pas. Quand je me fais une nouvelle amie, je me demande toujours qui est son supérieur et quelquefois je parviens à le deviner. (page 114)
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Castillon, Claire] Les longueurs
Les lycéens ont lu ce livre? Belle inititative des responsables de ce prix qui peuvent ainsi alerter certains jeunes.
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Cassiopée- Admin
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Re: [Castillon, Claire] Les longueurs
Oui, ceux qui participent l'ont lu, et l'autrice va rencontrer deux classes bientôt.
Une élève de 2nde a mis un avis sur le site Esidoc, elle a mis 3/5 et l'a trouvé éprouvant, mais a aussi dit que c'était très bien écrit et que c'était important de le lire.
Une élève de 2nde a mis un avis sur le site Esidoc, elle a mis 3/5 et l'a trouvé éprouvant, mais a aussi dit que c'était très bien écrit et que c'était important de le lire.
elea2020- Grand sage du forum
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