[Guibert, Hervé] La piqûre d'amour et autres textes
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[Guibert, Hervé] La piqûre d'amour et autres textes
La piqûre d'amour et autres textes,
suivi de La chair fraîche
Hervé Guibert
Folio (Gallimard 1994)
227 pages
ISBN : 2-07-040204-5
suivi de La chair fraîche
Hervé Guibert
Folio (Gallimard 1994)
227 pages
ISBN : 2-07-040204-5
Présentation de couverture :
Hervé Guibert avait réuni dans un dossier intitulé La piqûre d'amour vingt-six petits récits (vingt-trois nouvelles et trois textes critiques sur son travail), la plupart entièrement inédits et datés de 1979 à 1984. Il avait souhaité les voir publiés mais l'organisation définitive du recueil ne fut pas sa priorité pendant les semaines précédant sa mort. Ce livre regroupe aussi bien des intrigues rocambolesques que des aventures intimes. On retrouve dans une écriture pas encore marquée par la maladie ce ton tour à tour grave ou léger, cet humour du dérisoire, cette poésie du fantasme. La chair fraîche est un court roman probablement achevé en 1990 et dont l'inspiration est délibérément fantaisiste: c'est la chronique d'un village autant perturbé par des lettres anonymes que par la joyeuse férocité d'Hervé Guibert.
Mon avis :
Pour qui ne connaît pas Hervé Guibert, je pourrais presque conseiller ce recueil pour le découvrir. Il a écrit ces courts textes entre 24 et 29 ans, et si les références à sa sexualité sont présentes, ce n'est jamais vulgaire ou voyeur. Quant au dernier court roman, terminé à 35 ans, il ne représente que 54 pages, se lit à toute vitesse, et se révèle très divertissant.
Je n'ai pas lu ses romans plus connus sur l'époque SIDA, mais je connais un peu le personnage, plus solitaire et timide qu'on ne le croirait (peut-être parce qu'il était si beau, on n'imaginait pas qu'il pût manquer de confiance en lui). J'ai donc aimé parcourir ces textes brefs, dans lesquels sa plume s'exprime pourtant déjà avec brio. Quel que soit le sujet, l'issue en est malicieuse, futée, et laisse à réfléchir ; parfois c'est même presque une empreinte surréaliste, des événements ironiques ou contradictoires. Le point de départ est toujours une scène vécue, ou une anecdote, c'est presque minime mais il la retourne complètement, et en fait un récit saisissant, et dans une pirouette endiablée, il passe du "je" à l'universel. Certaines de ses histoires font écho également à ses voyages en Italie, en Sicile, ou encore à la pratique de l'écriture et de l'art en général. Alors, certes, l'ensemble est un peu décousu, mais on peut piocher texte après texte et prendre son temps.
Ce qui m'a le plus frappée chez Guibert, c'est cette capacité incroyable, j'ai envie de dire ce don, par un langage à la fois poétique et factuel, à faire naître l'empathie chez son lecteur, à nous transposer tout de bon dans sa psyché : nous ne lisons plus sur lui, nous sommes lui. Je n'ai jamais lu aucun auteur pratiquant l'autofiction qui soit capable de créer non pas seulement l'œuvre, mais la transfusion de celle-ci dans le cœur de ceux qui le lisent. Il n'y a plus de provocation, ni même de malice, car tout est naturel, nous rions avec lui, comme lui, nous nous amusons de ses facéties, nous sommes tristes ou inquiets avec lui.
La dernière histoire a un titre trompeur : il y est peu question d'attirance entre les sexes, ou plutôt, c'est un peu croustillant, mais toujours drôle et gentil, je ne pourrais imaginer meilleur récit pour rendre les gens tolérants envers toutes les formes de couples. Tout se passe dans une petite ville, à l'arrivée d'un nouveau curé : il faut se faire sa place, triompher de ses "ennemis", ramener les gens à l'église, et résoudre quelques mystères : un fantôme, une collection de matelas, et surtout des lettres anonymes qui sèment la pagaille. Ça se lit très vite, on sympathise et on n'a pas envie que ça s'arrête.
Je ne sais pas si j'aurai l'occasion de lire d'autres de ses livres, mais j'ai aimé cette première approche, et j'ai trouvé une belle plume et un esprit alerte et facétieux. 4/5
Citations :
Elle a peur, et pourtant la ville est grande, l'hôtel est bien gardé, la police rôde partout, le tueur doit se sentir traqué depuis qu'on a multiplié ainsi son visage entre toutes les mains, et entre toutes les mémoires. ("Copyright, cinéma", page 23)
Des voix mêlées sortaient d'une bouche de chaleur comme un fond d'ambiance enregistré. Toute fumée se dissipait aussitôt, noyée dans l'air comme un glaçon dans une tasse de café noir. ("Copyright, cinéma", page 28)
Les phrases sont la nourriture et elles sont les monuments des morts, elles sont leurs œuvres, leurs romans, ils les tissent lentement et patiemment, à force d'innombrables allées et venues (...) ("Roman posthume", page 80)
Là on retombe toujours sur quelque chose d'inexplicable : comme un mystère, une panne, l'indicibilité, on ne sait plus dire pourquoi on reste tant attaché à une œuvre et à une seule, pendant toute sa vie, comme à un mirage, et comment on préférerait se faire couper la main plutôt que de sacrifier cette adoration, surtout lorsqu'elle est à la lisière du monde des adultes (...). ("Un scénariste amoureux", page 86)
Le propriétaire se ruine à parachever le puits, au cent cinquantième mètre l'eau jaillit, on l'aurait trouvée partout à une telle profondeur. Le propriétaire apporte une jarre d'eau au sourcier pour finir de le remercier. Le sourcier dit : "Quand tu mettras une femme enceinte, pour te récompenser de ta patience, je palperai son ventre pour te dire si ton engeance sera femelle ou mâle, je n'ai pas qu'un seul don." ("Ici", page 142)
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