[Dostoïevski, Fédor] Le joueur
2 participants
Page 1 sur 1
Votre avis sur ce livre ?
[Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Le joueur
Roman classique
256 pages édité et réédité au livre de poche
Résumé
Le jeu brûle tout, Il est la passion. Il est le rêve. L'enfer et la démesure. Le révélateur des abîmes de l'âme et l'ignoble concentré de la comédie bourgeoise. Il est l'argent!
Autour de ses tapis, le général déchu se fait l'esclave du marquis et attend le décès de la richissime Baboulinka, sa tante. Hypothèques... Héritages...Intrigues... Corruption morale sur fond de bonnes manières. Qui donc résistera à ce tourbillon de folie ?
Dans ce désordre furieux, Alexis succombe à son tour au cancer du jeu. Le jeune précepteur veut séduire l'intraitable Pauline, belle fille de son employeur. Il est pauvre et doit devenir riche. Il veut surprendre et se tuerait pour ça...
Sur Roulettenbourg, ville d'eau paisible, souffle le vent du gâchis... Une tempête frénétique emportant les derniers fétus d'une vieille Europe en lambeaux..
Mon ressenti
Tout le début du roman est curieux, non pas à cause de l’histoire mais tout simplement parce que le personnage qui nous raconte cette histoire est à côté de nous. Pas de présentation de sa personne, les autres personnages qu’il côtoie entre en scène sans autre forme de procès. Tout le monde se connaît, à par le lecteur.
Déstabilisé, j’ai relu les premières au moins trois fois, en me disant que j’ai loupé une phrase, un indice, j’ai sauté le nom du conteur… En fait, connaissant en partie, la vie de l’auteur, je me suis dit, « OK, c’est de lui dont il est question… » à partir de là, je me suis laissée porter par l’histoire.
Même si le narrateur n’est pas Fedor, il lui ressemble quand même beaucoup, il fait une analyse de l’addiction au jeu et ses méandres : le besoin, l’envie, la quête, la chance, la folie, le frisson, la recherche, la compulsion… jusqu’à l’asservissement. Derrière le portrait d’une famille russe venue passer quelques moments de vacances, l’auteur dresse sans concession le caractère de certaines nationalités (russe, française, anglaise et allemande) dans une Europe vieillissante.
Qui les sauvera ? Dieu ? le jeu ? La guerre ? C’est certainement un livre « thérapie » pour l’auteur qui démontre bien avant l’heure le mécanisme de l’addiction. Cependant pour ma part, je dirai, que ce n’est pas un de ses meilleurs livres…
A vous de voir
Roman classique
256 pages édité et réédité au livre de poche
Résumé
Le jeu brûle tout, Il est la passion. Il est le rêve. L'enfer et la démesure. Le révélateur des abîmes de l'âme et l'ignoble concentré de la comédie bourgeoise. Il est l'argent!
Autour de ses tapis, le général déchu se fait l'esclave du marquis et attend le décès de la richissime Baboulinka, sa tante. Hypothèques... Héritages...Intrigues... Corruption morale sur fond de bonnes manières. Qui donc résistera à ce tourbillon de folie ?
Dans ce désordre furieux, Alexis succombe à son tour au cancer du jeu. Le jeune précepteur veut séduire l'intraitable Pauline, belle fille de son employeur. Il est pauvre et doit devenir riche. Il veut surprendre et se tuerait pour ça...
Sur Roulettenbourg, ville d'eau paisible, souffle le vent du gâchis... Une tempête frénétique emportant les derniers fétus d'une vieille Europe en lambeaux..
Mon ressenti
Tout le début du roman est curieux, non pas à cause de l’histoire mais tout simplement parce que le personnage qui nous raconte cette histoire est à côté de nous. Pas de présentation de sa personne, les autres personnages qu’il côtoie entre en scène sans autre forme de procès. Tout le monde se connaît, à par le lecteur.
Déstabilisé, j’ai relu les premières au moins trois fois, en me disant que j’ai loupé une phrase, un indice, j’ai sauté le nom du conteur… En fait, connaissant en partie, la vie de l’auteur, je me suis dit, « OK, c’est de lui dont il est question… » à partir de là, je me suis laissée porter par l’histoire.
Même si le narrateur n’est pas Fedor, il lui ressemble quand même beaucoup, il fait une analyse de l’addiction au jeu et ses méandres : le besoin, l’envie, la quête, la chance, la folie, le frisson, la recherche, la compulsion… jusqu’à l’asservissement. Derrière le portrait d’une famille russe venue passer quelques moments de vacances, l’auteur dresse sans concession le caractère de certaines nationalités (russe, française, anglaise et allemande) dans une Europe vieillissante.
Qui les sauvera ? Dieu ? le jeu ? La guerre ? C’est certainement un livre « thérapie » pour l’auteur qui démontre bien avant l’heure le mécanisme de l’addiction. Cependant pour ma part, je dirai, que ce n’est pas un de ses meilleurs livres…
A vous de voir
Dernière édition par joëlle le Mer 31 Mai 2023 - 21:55, édité 5 fois
Pinky- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 8672
Age : 61
Localisation : Les Sables d'Olonne (85)
Emploi/loisirs : Educatrice spécialisée, peinture, dessin, bricolage, ballade, baignade, tricot, couture
Genre littéraire préféré : Je lis de tout en littérature mais j'ai beaucoup de mal avec les policiers... j'en lis 1 ou 2 dans l
Date d'inscription : 04/06/2008
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Il semblerait donc que Dostoïevski soit un spécialiste des démarrages abrupts, j'ai eu le même ressenti en lisant Le double. On démarre en suivant "notre héros" que nous ne connaissons ni d'Eve ni d'Adam, mais dont l'auteur nous parle comme si nous avions usé nos fonds de culotte sur le même banc d'école ("Comment ? Mais si voyons ! vous le connaissez, ce vieux Goliadkine..."). Un peu perturbant, mais une fois qu'on le sait, on s'y fait .Pinky a écrit:
Tout le début du roman est curieux, non pas à cause de l’histoire mais tout simplement parce que le personnage qui nous raconte cette histoire est à côté de nous. Pas de présentation de sa personne, les autres personnages qu’il côtoie entre en scène sans autre forme de procès. Tout le monde se connaît, à par le lecteur.
Déstabilisé, j’ai relu les premières au moins trois fois, en me disant que j’ai loupé une phrase, un indice, j’ai sauté le nom du conteur… En fait, connaissant en partie, la vie de l’auteur, je me suis dit, « OK, c’est de lui dont il est question… » à partir de là, je me suis laissée porter par l’histoire.
A noter que les deux sujets semblent avoir de nombreux points communs : exploration d'une névrose (schizophrénie ou addiction) et critique d'une société vieillissante, imbue de sa propre importance. Apparemment, les deux œuvres sont partiellement autobiographiques (ou du moins reflètent ses craintes pour sa propre santé mentale). Fédor devait avoir une personnalité... riche .
Invité- Invité
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
oui tout à fait Saphyr... armée où il a été formé, bagne pendant 4 ans, il est épileptique... couvert de dettes, il fuit la Russie et erre en Europe pour faire fortune à la roulette...
Pinky- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 8672
Age : 61
Localisation : Les Sables d'Olonne (85)
Emploi/loisirs : Educatrice spécialisée, peinture, dessin, bricolage, ballade, baignade, tricot, couture
Genre littéraire préféré : Je lis de tout en littérature mais j'ai beaucoup de mal avec les policiers... j'en lis 1 ou 2 dans l
Date d'inscription : 04/06/2008
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
je viens de lire ce roman que j'ai bien apprécié !
j'ai aimé le personnage de la grand-mère , très lucide, et sarcastique !
la notion d'addiction au jeu est palpable dés le début, les différents personnages offrent une description des moeurs de l'époque.
et au final, le plus réservé voire renfermé et le plus mystérieux( l'anglais) est celui qui ouvrira les yeux à notre héros.
j'ai eu l'impression en lisant ce livre de lire un Balzac , il y a une forte empreinte de cet auteur.
j'ai aimé le personnage de la grand-mère , très lucide, et sarcastique !
la notion d'addiction au jeu est palpable dés le début, les différents personnages offrent une description des moeurs de l'époque.
et au final, le plus réservé voire renfermé et le plus mystérieux( l'anglais) est celui qui ouvrira les yeux à notre héros.
j'ai eu l'impression en lisant ce livre de lire un Balzac , il y a une forte empreinte de cet auteur.
Invité- Invité
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Fédor était un fan de Balzac et d'Hugo en autre ...
si la grand-mère est un personnage lucide et sarcastique, elle se laisse néanmoins prendre au piège et ce n'est que la fuite qui lui permettra de se sauvegarder...
si la grand-mère est un personnage lucide et sarcastique, elle se laisse néanmoins prendre au piège et ce n'est que la fuite qui lui permettra de se sauvegarder...
Pinky- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 8672
Age : 61
Localisation : Les Sables d'Olonne (85)
Emploi/loisirs : Educatrice spécialisée, peinture, dessin, bricolage, ballade, baignade, tricot, couture
Genre littéraire préféré : Je lis de tout en littérature mais j'ai beaucoup de mal avec les policiers... j'en lis 1 ou 2 dans l
Date d'inscription : 04/06/2008
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Je voisPinky a écrit:oui tout à fait Saphyr... armée où il a été formé, bagne pendant 4 ans, il est épileptique... couvert de dettes, il fuit la Russie et erre en Europe pour faire fortune à la roulette...
Merci pour ces intéressantes précisions .
Invité- Invité
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Un des meilleurs courts romans de Dostoïevski.
Toute son univers est là. Un héros antisocial à la recherche de l' amour qui ne peut
être que tragique ou malheureux. La chute, l' avilisement et l' espoir de la rédemption.
Beaucoup de romans de Dostoïevski foisonnent de personnages aux noms slaves donc difficiles pour nous à retenir. Quelques éditeurs ont l' idée de nous aider ,pauvres français, en insérant en début de livre une liste des personnages les plus importants (cf Les Démons en Livre de Poche). Quand ce n'est pas le cas, Wikipédia fait cela trés bien.
Toute son univers est là. Un héros antisocial à la recherche de l' amour qui ne peut
être que tragique ou malheureux. La chute, l' avilisement et l' espoir de la rédemption.
Beaucoup de romans de Dostoïevski foisonnent de personnages aux noms slaves donc difficiles pour nous à retenir. Quelques éditeurs ont l' idée de nous aider ,pauvres français, en insérant en début de livre une liste des personnages les plus importants (cf Les Démons en Livre de Poche). Quand ce n'est pas le cas, Wikipédia fait cela trés bien.
Invité- Invité
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Mon avis :
C'est le premier roman que je lis de Dostoievski : honte, mea-culpa, etc.
L'entrée du roman est surprenante, directe. J'ai relu plusieurs fois les premières pages avant de comprendre que je n'avais pas loupé de passage. C'est le lecteur qui entre dans l'histoire, séance tenante, et c'est à lui de comprendre qui sont les personnages, pourquoi sont-ils ensemble, quelle est cette histoire de grand-mère, qui profite de qui, qui est qui par rapport aux autres... C'est une lecture complexe qui demande une grande attention.
L'écriture de Fédor Dostoievski est "très étoffée" mais reste aisée à lire. La problématique de l'addiction est bien décrite, de même que les liens entre les personnages. Le caractère autobiographique des deux objets du roman, le jeu et la passion amoureuse, permet de comprendre comment il peut si bien décrire et relater les situations. Par exemple, j'ai trouvé les scènes avec Pauline d'une vérité tranchante et palpable.
Je suis surprise (et assez fascinée) de savoir qu'il a écrit ce roman en seulement 27 jours !
Je pense lire d'autres romans de Fédor Dostoievski après ma lecture de Tolstoi (pour combler mes lacunes ).
C'est le premier roman que je lis de Dostoievski : honte, mea-culpa, etc.
L'entrée du roman est surprenante, directe. J'ai relu plusieurs fois les premières pages avant de comprendre que je n'avais pas loupé de passage. C'est le lecteur qui entre dans l'histoire, séance tenante, et c'est à lui de comprendre qui sont les personnages, pourquoi sont-ils ensemble, quelle est cette histoire de grand-mère, qui profite de qui, qui est qui par rapport aux autres... C'est une lecture complexe qui demande une grande attention.
L'écriture de Fédor Dostoievski est "très étoffée" mais reste aisée à lire. La problématique de l'addiction est bien décrite, de même que les liens entre les personnages. Le caractère autobiographique des deux objets du roman, le jeu et la passion amoureuse, permet de comprendre comment il peut si bien décrire et relater les situations. Par exemple, j'ai trouvé les scènes avec Pauline d'une vérité tranchante et palpable.
Je suis surprise (et assez fascinée) de savoir qu'il a écrit ce roman en seulement 27 jours !
Je pense lire d'autres romans de Fédor Dostoievski après ma lecture de Tolstoi (pour combler mes lacunes ).
Invité- Invité
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
Le joueur fut rédigé sous la pression d’un pari fou. Comme d’habitude criblé de dettes et menacé de saisie, Dostoïevski a accepté les conditions abusives de son éditeur : si son prochain roman ne paraît pas à la date attendue, l’écrivain devra lui céder, gratuitement et pour une durée de neuf ans, les droits de publication de tous ses futurs écrits. L’auteur est alors plongé dans la rédaction de Crime et châtiment. Il lui reste vingt-sept jours pour présenter un livre. Et il va y réussir, dictant un autre court roman à une sténographe, Anna Grigorievna Snitkina, qu’il épousera l’année suivante, et, deux heures avant l’échéance, alors que l’éditeur s’est délibérément éclipsé, faisant enregistrer au commissariat le dépôt de son texte.
Sauvé in extremis, Dostoïevski n’a pas signé ce contrat suicidaire sous la seule pression du désespoir et du manque d’argent. Il aime jouer avec le feu et se déclare lui-même malade du jeu et de la dépendance qu’il crée. Depuis l’adolescence, il a pris l’habitude de solliciter ses proches pour financer son goût des jeux de hasard, et, depuis quelques années, a découvert le frisson de la roulette lors de ses séjours dans les villes d’eaux, alors si courues, d’Europe occidentale. Il y laisse chaque fois jusqu’à sa chemise et plus encore, avant de se refaire dans l’urgence dans des élans éperdus de création littéraire. Sa vie est un chaos qui rejaillit jusque dans son œuvre, son génie ne s’épanouissant qu’au bord du gouffre. Il gagne beaucoup d’argent, mais en manque constamment, éternel flambeur pour qui thésauriser n’est qu’avarice, le défaut de son père.
C’est donc son double que l’on découvre ici, dans la ville d’eau imaginaire de Roulettenbourg où se presse la bonne société européenne, confinée dans un entre-soi hiérarchisé et hypocrite, avide de distraction et de scandale. Alexeï Ivanovitch est le précepteur des enfants d’un Général sur le retour, ruiné mais prêt à toutes les folies – et donc très impatient d’hériter de sa vieille tante, la Baboulinka, qu’il fait passer pour déjà morte – pour épouser Mademoiselle Blanche, une demi-mondaine française. Lui-même épris de Paulina Alexandrovna, la belle-fille du Général, le jeune homme entretient avec elle une relation maladive, très semblable à celle qui lie l’auteur à sa maîtresse Pauline Souslova, dans un jeu pervers d’attraction-répulsion où il semble prendre un certain plaisir à se faire humilier.
Tout ce petit monde oisif ne gravitant qu’autour des obsessions de l’amour et de l’argent, c’est naturellement autour de ces deux thèmes que se font et se défont les relations entre les personnages. Pendant que la promiscuité de la villégiature favorise jeux et calculs amoureux – si elle se montre indifférente au timide et transi Anglais Mr Astley, Paulina aimerait bien plaire au marquis des Grieux, un Français qui joue les pique-assiette sans jamais se départir de sa terrible condescendance –, l’on s’en va s’offrir d’autres sensations sonnantes et trébuchantes au casino, en particulier autour de la roulette. Envoyé jouer pour le compte de Paulina, puis de la Baboulinka soudain débarquée comme une apparition à Roulettenbourg, Alexeï, conscient de mettre les doigts dans un piège dont il ne sortira plus tant le jeu le prend déjà aux tripes, tombe peu à peu dans l’addiction.
C’est ainsi qu’à la cinglante peinture d’un microcosme gouverné par l’ambition et par la soif d’argent, occasion pour lui de fustiger les si méprisantes nations occidentales pourtant bien petitement calculatrices comparées à la flamboyance passionnée de l’âme russe, l’écrivain adjoint le portrait incomparablement lucide d’un joueur compulsif, malade du jeu et de l’excitation qu’il provoque, en réalité prisonnier de ses désirs : désir d’argent, mais aussi désir d’amour, puisque lorsque son personnage réalise que Paulina l’aime, sa propre passion s’éteint. Ce qu’il aime, ce n’est pas l’objet de son désir, mais sa passion même : le désir.
Considéré comme la préfiguration de ses œuvres les plus connues, Le joueur est le roman d’une obsession d’autodestruction. Conscient de sa folie mais incapable d’y résister, fasciné jusqu’à l’horreur par l’abîme dans lequel il se regarde tomber, son protagoniste confronté à l’absurdité de ses désirs, y compris amoureux puisqu’ils le font s’éprendre de femmes dominatrices, capricieuses et ambivalentes – figures qui deviendront récurrentes chez Dostoïevski –, porte déjà en germe cette fièvre de la passion paroxystique pouvant conduire aux pires extrêmes, y compris le crime. (4/5)
Sauvé in extremis, Dostoïevski n’a pas signé ce contrat suicidaire sous la seule pression du désespoir et du manque d’argent. Il aime jouer avec le feu et se déclare lui-même malade du jeu et de la dépendance qu’il crée. Depuis l’adolescence, il a pris l’habitude de solliciter ses proches pour financer son goût des jeux de hasard, et, depuis quelques années, a découvert le frisson de la roulette lors de ses séjours dans les villes d’eaux, alors si courues, d’Europe occidentale. Il y laisse chaque fois jusqu’à sa chemise et plus encore, avant de se refaire dans l’urgence dans des élans éperdus de création littéraire. Sa vie est un chaos qui rejaillit jusque dans son œuvre, son génie ne s’épanouissant qu’au bord du gouffre. Il gagne beaucoup d’argent, mais en manque constamment, éternel flambeur pour qui thésauriser n’est qu’avarice, le défaut de son père.
C’est donc son double que l’on découvre ici, dans la ville d’eau imaginaire de Roulettenbourg où se presse la bonne société européenne, confinée dans un entre-soi hiérarchisé et hypocrite, avide de distraction et de scandale. Alexeï Ivanovitch est le précepteur des enfants d’un Général sur le retour, ruiné mais prêt à toutes les folies – et donc très impatient d’hériter de sa vieille tante, la Baboulinka, qu’il fait passer pour déjà morte – pour épouser Mademoiselle Blanche, une demi-mondaine française. Lui-même épris de Paulina Alexandrovna, la belle-fille du Général, le jeune homme entretient avec elle une relation maladive, très semblable à celle qui lie l’auteur à sa maîtresse Pauline Souslova, dans un jeu pervers d’attraction-répulsion où il semble prendre un certain plaisir à se faire humilier.
Tout ce petit monde oisif ne gravitant qu’autour des obsessions de l’amour et de l’argent, c’est naturellement autour de ces deux thèmes que se font et se défont les relations entre les personnages. Pendant que la promiscuité de la villégiature favorise jeux et calculs amoureux – si elle se montre indifférente au timide et transi Anglais Mr Astley, Paulina aimerait bien plaire au marquis des Grieux, un Français qui joue les pique-assiette sans jamais se départir de sa terrible condescendance –, l’on s’en va s’offrir d’autres sensations sonnantes et trébuchantes au casino, en particulier autour de la roulette. Envoyé jouer pour le compte de Paulina, puis de la Baboulinka soudain débarquée comme une apparition à Roulettenbourg, Alexeï, conscient de mettre les doigts dans un piège dont il ne sortira plus tant le jeu le prend déjà aux tripes, tombe peu à peu dans l’addiction.
C’est ainsi qu’à la cinglante peinture d’un microcosme gouverné par l’ambition et par la soif d’argent, occasion pour lui de fustiger les si méprisantes nations occidentales pourtant bien petitement calculatrices comparées à la flamboyance passionnée de l’âme russe, l’écrivain adjoint le portrait incomparablement lucide d’un joueur compulsif, malade du jeu et de l’excitation qu’il provoque, en réalité prisonnier de ses désirs : désir d’argent, mais aussi désir d’amour, puisque lorsque son personnage réalise que Paulina l’aime, sa propre passion s’éteint. Ce qu’il aime, ce n’est pas l’objet de son désir, mais sa passion même : le désir.
Considéré comme la préfiguration de ses œuvres les plus connues, Le joueur est le roman d’une obsession d’autodestruction. Conscient de sa folie mais incapable d’y résister, fasciné jusqu’à l’horreur par l’abîme dans lequel il se regarde tomber, son protagoniste confronté à l’absurdité de ses désirs, y compris amoureux puisqu’ils le font s’éprendre de femmes dominatrices, capricieuses et ambivalentes – figures qui deviendront récurrentes chez Dostoïevski –, porte déjà en germe cette fièvre de la passion paroxystique pouvant conduire aux pires extrêmes, y compris le crime. (4/5)
Re: [Dostoïevski, Fédor] Le joueur
merci Cannetille pour cette belle analyse
Pinky- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 8672
Age : 61
Localisation : Les Sables d'Olonne (85)
Emploi/loisirs : Educatrice spécialisée, peinture, dessin, bricolage, ballade, baignade, tricot, couture
Genre littéraire préféré : Je lis de tout en littérature mais j'ai beaucoup de mal avec les policiers... j'en lis 1 ou 2 dans l
Date d'inscription : 04/06/2008
Sujets similaires
» DOSTOIEVSKI, Fédor
» [Dostoïevski, Fédor] Crime et châtiment
» [Dostoïevski, Fédor] Le double
» [Dostoïevski, Fédor] Humiliés et offensés
» [Dostoïevski, Fédor] les frères Karamazov
» [Dostoïevski, Fédor] Crime et châtiment
» [Dostoïevski, Fédor] Le double
» [Dostoïevski, Fédor] Humiliés et offensés
» [Dostoïevski, Fédor] les frères Karamazov
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum