[Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
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[Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Alexis Jenni
L'art Français de la guerre
Gallimard 630 p
Présentation de l'éditeur
J'allais mal; tout va mal; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n'arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu'aux coudes. Mais il m'a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l'armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails. Il m'apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l'art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l'émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue.
Biographie de l'auteur
Alexis Jenni vit et travaille à Lyon. L’art français de la guerre est son premier roman.
Mon avis:
Un coup de cœur et un chef d'œuvre. Un des meilleurs romans que j'ai jamais lu. Un de ces livres qui vous oblige à penser et laisse une marque dans votre réflexion.
C'est un roman à plusieurs facettes. L'histoire du narrateur, personnage qui se cherche après avoir été un membre conforme des classes moyennes supérieures et qui un jour a décidé de tout lâcher mais sans avoir un but. La vie du personnage principal qui passe à travers la grande histoire avec sa défroque de soldat et qui va être l'instrument de l'art de la guerre Français en suivant la deuxième guerre mondiale, puis l'Indochine et enfin l'Algérie. La relation aux femmes qui, bien que finalement quelque peu anecdotique dans le roman, rythme le récit et montre la face cachée de ces hommes que l'on pourrait prendre pour des monstres et qui finalement sont si humains. La peinture enfin qui fait se rencontrer les deux personnages et qui amène des pages sublimes sur l'art de la peinture à l'encre de Chine.
Il me semble difficile de résumer un tel bouquin, il est si riche et dense avec tellement de coups de projecteur sur notre société, sur la politique actuelle vis à vis du maintien de l'ordre, sur la notion de race, sur la vision de la société vue de l'extrême droite mais aussi d'une gauche bien pensante et enfin sur l'histoire de nos échecs en Indochine et Algérie.
Ce que je trouve vraiment passionnant c'est qu'émergent des écrivains qui osent aborder les grands sujets de notre histoire récente avec des yeux qui commencent à ne plus être trop influencés par les interdits.
Je mets ce livre dans le même registre que « Les bienveillantes » de J Littel.
Juste pour terminer, je ne sais pas si un lectorat plus jeune sera sensible à ces thèmes. Ayant vécu adolescent dans un milieu ou la deuxième guerre, celle d'Indochine et l'Algérie avaient été vécues, ou on connaissait des pieds noir qui avaient fui, toute cette histoire m'est connue et j'ignore si ce qui est évoqué dans ce livre aura la même résonance sur un lecteur plus jeune.
Dernière édition par alexielle63 le Lun 2 Jan 2012 - 13:46, édité 1 fois (Raison : Correction sondage)
Invité- Invité
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Je n'ai pas lu ton commentaire, car ce livre fait partie de la sélection du comité de lectures. J'ai juste regardé ton avis ( coup de cœur, pas lu ton texte). Il rejoint les avis des deux premières lectrices.
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Un livre un peu particulier construit avec d'un côté " le roman, " avec six chapitres aux titres variés , ( le premier ; la vie des rats - et le dernier la guerre en ce jardin sanglant). l’histoire de Victorien Salagnon, peintre et vétéran des guerres coloniales françaises, formé aux armes pendant la Seconde guerre mondiale puis passé par l’Indochine et l’Algérie. De l’autre, les " commentaires " du narrateur, jeune lyonnais, qui vit enfermé sous les toits. Il regarde à la télévision les images de la guerre du Golfe. Le récit se situe en 1991. Il rend visite à Salagnon, qui lui apprend l'art de manier le pinceau avec de l'encre de Chine. Entre ces deux êtres , se noue une relation étrange ; celle de la transmission du savoir – l'art de peindre – et de l'expérience – celle des conflits coloniaux.
Un roman tout en longueur, parfois pesant, mais où il y a nombreuses réfèrences aux récits fondateure, ( Homère) et aussi des allusions à ce qui a été l'oeuvre de De Gaulle. Il propose un récapitulatif de cet " art français de la guerre" de 1943 à aujourd'hui en s'attaquant à certaines valeurs: le fascisme, l'intégration. Tous les mots appellent à la réflexion. L’amour du verbe chez l’auteur est aussi fort que l’amour du pinceau et de l’encre de Chine chez le héros Salagnon. Nous sommes donc invités à un tango de la mort entre ces deux voix qui rêvent toutes deux de plus d’humanité. Certes Salagon a les mains couvertes de sang mais son pinceau de martre trace l’indicible. Apprendre son art à ce jeune désœuvré vivant de certificats médicaux qu’est le narrateur, sera sa rédemption.
Le narrateur s'interroge aussi sur l'armée, du maintien de l'ordre dans un pays non en guerre, mais où règne" la guerre" dans les banlieues.
Les minorités sont-elles considérées comme des citoyens à part entière ou comme des sujets? C’est là où l’histoire de la guerre devient actualité brûlante.
Voici ,un roman riche en interrogations!!
Quelques extraits :
" Dans le dessin , les traits les plus importants sont ceux que l'on ne fait pas . Ils laissent le vide , et seul le vide laisse la place : le vide permet la circulation du regard , et ainsi de la pensée ."
" - Mais vous, qu'est-ce que vous faîtes là ?
- Auprès de vous ? Je prends de vos nouvelles. Je vous aime bien, jeune Salagnon.
- Je veux dire en Indochine.
- Je me bats comme vous.
- Vous êtes allemand.
- Et alors ? Vous n'êtes pas plus indochinois que je ne le suis, que je sache. Vous faîtes la guerre. Je fais la guerre. Peut-on faire autre chose une fois que l'on a appris ça? Comment pourrais-je vivre en paix maintenant, et avec qui ? En Allemagne, tous les gens que je connaissais sont morts en une seule nuit. "
Ce livre avait été choisi pour le comité de lectures, avant qu'il n'obtienne le prix Goncourt.
Un roman tout en longueur, parfois pesant, mais où il y a nombreuses réfèrences aux récits fondateure, ( Homère) et aussi des allusions à ce qui a été l'oeuvre de De Gaulle. Il propose un récapitulatif de cet " art français de la guerre" de 1943 à aujourd'hui en s'attaquant à certaines valeurs: le fascisme, l'intégration. Tous les mots appellent à la réflexion. L’amour du verbe chez l’auteur est aussi fort que l’amour du pinceau et de l’encre de Chine chez le héros Salagnon. Nous sommes donc invités à un tango de la mort entre ces deux voix qui rêvent toutes deux de plus d’humanité. Certes Salagon a les mains couvertes de sang mais son pinceau de martre trace l’indicible. Apprendre son art à ce jeune désœuvré vivant de certificats médicaux qu’est le narrateur, sera sa rédemption.
Le narrateur s'interroge aussi sur l'armée, du maintien de l'ordre dans un pays non en guerre, mais où règne" la guerre" dans les banlieues.
Les minorités sont-elles considérées comme des citoyens à part entière ou comme des sujets? C’est là où l’histoire de la guerre devient actualité brûlante.
Voici ,un roman riche en interrogations!!
Quelques extraits :
" Dans le dessin , les traits les plus importants sont ceux que l'on ne fait pas . Ils laissent le vide , et seul le vide laisse la place : le vide permet la circulation du regard , et ainsi de la pensée ."
" - Mais vous, qu'est-ce que vous faîtes là ?
- Auprès de vous ? Je prends de vos nouvelles. Je vous aime bien, jeune Salagnon.
- Je veux dire en Indochine.
- Je me bats comme vous.
- Vous êtes allemand.
- Et alors ? Vous n'êtes pas plus indochinois que je ne le suis, que je sache. Vous faîtes la guerre. Je fais la guerre. Peut-on faire autre chose une fois que l'on a appris ça? Comment pourrais-je vivre en paix maintenant, et avec qui ? En Allemagne, tous les gens que je connaissais sont morts en une seule nuit. "
Ce livre avait été choisi pour le comité de lectures, avant qu'il n'obtienne le prix Goncourt.
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Quels beaux résumés! Je partage également vos commentaires.
J’ai assez bien aimé ce livre même avec ces longueurs que j’ai trouvé un peu inutiles et qui rallongeait le texte pour pas grand-chose et aussi les répétitions dans une même page des mêmes phrases qui étaient assez agaçantes à la longue…
Je pense que le livre vaut la peine d’être lu même si je ne l’ai pas lu avec passion. Le plus intéressant réside dans les réflexions de fond, celle de « l’art » français de la guerre qui transparait tout au long du livre, les réflexions du narrateur dans ses «commentaires» et surtout celles qu’inspirent la vie de Victorien Salagnon.
Néanmoins, j’ai eu un peu de peine à m' intéresser au personnage principal qui vit plutôt comme un observateur alors que la vie de militaire de Salagnon, à défaut d’être agréable, comporte beaucoup de questions de fond sur la guerre, qu’est ce qu’être soldat, comment revenir à la vie civile, comment se sauver par la peinture… qui valent la peine d’être lu pour en mesurer toute la portée.
Il me semble, mais je peux me tromper, que peu de livres traitent à la fois de la résistance, de la guerre d’Indochine et de la guerre d’Algérie et toute cette vie de militaire retracée raconte un peu de notre histoire et de notre héritage d’aujourd’hui, en cela le roman nous apporte cette vision inédite, cette histoire qui est aussi la nôtre et que nous avons tendance à occulter.
J’ai assez bien aimé ce livre même avec ces longueurs que j’ai trouvé un peu inutiles et qui rallongeait le texte pour pas grand-chose et aussi les répétitions dans une même page des mêmes phrases qui étaient assez agaçantes à la longue…
Je pense que le livre vaut la peine d’être lu même si je ne l’ai pas lu avec passion. Le plus intéressant réside dans les réflexions de fond, celle de « l’art » français de la guerre qui transparait tout au long du livre, les réflexions du narrateur dans ses «commentaires» et surtout celles qu’inspirent la vie de Victorien Salagnon.
Néanmoins, j’ai eu un peu de peine à m' intéresser au personnage principal qui vit plutôt comme un observateur alors que la vie de militaire de Salagnon, à défaut d’être agréable, comporte beaucoup de questions de fond sur la guerre, qu’est ce qu’être soldat, comment revenir à la vie civile, comment se sauver par la peinture… qui valent la peine d’être lu pour en mesurer toute la portée.
Il me semble, mais je peux me tromper, que peu de livres traitent à la fois de la résistance, de la guerre d’Indochine et de la guerre d’Algérie et toute cette vie de militaire retracée raconte un peu de notre histoire et de notre héritage d’aujourd’hui, en cela le roman nous apporte cette vision inédite, cette histoire qui est aussi la nôtre et que nous avons tendance à occulter.
Invité- Invité
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Je suis a la moitié de ce livre et, après un départ un peu laborieux, je suis bien accrochée et trouve ce récit très prenant et superbement écrit. Un grand plaisir de lecture.
Invité- Invité
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Ouf! Quel coup de coeur!
Même avant de l'avoir terminé je l'avais acheté afin de le donner en cadeau à mon ami Pépéjos.
En quelques pages on passe du surhomme de Friedrich Nietzsche à l'ultranationalisme de Jean-Marie Le Pen.
C'est un livre de guerres. C'est un livre d'amour. C'est un livre d'horreurs. C'est un livre d'art. C'est un livre de philosophie. Et j'ai apprécié chacun de ces thèmes.
Au Québec, au Canada, en Amérique du Nord nous sommes également en pleine crise identitaire alors qu'avec ces «nous» et ces «eux» nous éprouvons maintes difficultés à décrire notre propre identité.
L'auteur, comme la majorité des Français nous plaisons-nous à croire, aime le paradoxe; il décrie (de «décrier» et non de «décrire») tellement la France qu'il mérite le prix Goncourt. Je sais, je sais, comme disait quelqu'un, vous allez me dire qu'il la décrie parce qu'il l'aime...
Il y a bien quelques erreurs de typographie, mais ça n'altère en rien le plaisir de la lecture.
Ma cote: 9,5/10... et puis non, tiens: 10/10. J'avais pensé enlever un demi-point pour l'horreur de certains passages, mais si cette horreur n'y était pas, ça "fesserait" (de "fesser" = battre, brasser) moins.
Quel roman! Quel bon roman! Je suis presque certain de m'en souvenir pour des années si ces dernières me sont accordées.
CitationsMême avant de l'avoir terminé je l'avais acheté afin de le donner en cadeau à mon ami Pépéjos.
En quelques pages on passe du surhomme de Friedrich Nietzsche à l'ultranationalisme de Jean-Marie Le Pen.
C'est un livre de guerres. C'est un livre d'amour. C'est un livre d'horreurs. C'est un livre d'art. C'est un livre de philosophie. Et j'ai apprécié chacun de ces thèmes.
Au Québec, au Canada, en Amérique du Nord nous sommes également en pleine crise identitaire alors qu'avec ces «nous» et ces «eux» nous éprouvons maintes difficultés à décrire notre propre identité.
L'auteur, comme la majorité des Français nous plaisons-nous à croire, aime le paradoxe; il décrie (de «décrier» et non de «décrire») tellement la France qu'il mérite le prix Goncourt. Je sais, je sais, comme disait quelqu'un, vous allez me dire qu'il la décrie parce qu'il l'aime...
Il y a bien quelques erreurs de typographie, mais ça n'altère en rien le plaisir de la lecture.
Ma cote: 9,5/10... et puis non, tiens: 10/10. J'avais pensé enlever un demi-point pour l'horreur de certains passages, mais si cette horreur n'y était pas, ça "fesserait" (de "fesser" = battre, brasser) moins.
Quel roman! Quel bon roman! Je suis presque certain de m'en souvenir pour des années si ces dernières me sont accordées.
"... le cataclysme le plus terrifiant, le plus destructeur est bien celui-ci: l'absence que l'on ne remarque pas."
"«... la santé est le silence des organes...»"
"-... ça a mal fini; par le massacre, le renoncement et l'abondon. Vu votre âge, vos parents vous ont conçu sur un volcan. Le volcan tremblait, menaçait d'exploser, et de vaporiser tout le pays. Vos parents devaient être aveugles, ou alors optimistes, ou bien maladroits."
"Ils ne contrôlent pas au hasard, ce serait de l'incompétence."
"... les gens sont leur environnement."
La priorité des sciences appliquées au corps est non pas de guérir mais de soulager. On aide celui qui se plaint à supporter ses réactions. On lui conseille la patience et le repos; on lui administre des atténuateurs en attendant. On résoudra le mal; mais plus tard."
J'entends le français qui est moi-même en un version maltraitée, dégradée, à peine compréhensible. C'est pour cela qu'il faut employer les bons mots, car c'est à l'oreille que l'on juge. Et à l'oreille, il est bien clair que nous ne sommes déjà plus chez nous. Ecoutez. La France se replie, elle se déglingue, on en juge à l'oreille..."
"La vien en France est un long dimanche qui finit mal."
"«... Alors que leurs villes sont un tel ramdam, leurs campagnes sont un cauchemar de silence. Des fois on se frappe les oreilles pour vérifier qu'elles fonctionnent...»"
"Mariani venait le voir, il s'était sorti intact de l'évacuation. Il lui apportait des journaux, il commentait les nouvelles.
«Une violente contre-offensive des troupes franco-vietnamiennes, lisait-il, a permis d'arrêter la progression de l'ennemi dans la Haute-Région. On a dû évacuer une ligne de postes pour renforcer la défense du Delta. L'essentiel tient bon. Nous voilà rassurés. Tu sais qui c'est?
-Qui?
-Les troupes franco-vietnamiennes.
-C'est peut-être nous. Dis, Martini, on ne se mélangerait pas un peu? Nous sommes l'armée française, et nous menons une guerre de partisans contre l'armée régulière d'un mouvement qui mène une grérilla contre nous, qui luttons pour la protection du peuple vietnamien, qui lutte pour son indépendance.
-Pour se battre, on sait faire. Pour ce qui est du pourquoi, j'espère qu'à Paris ils savent.»"
«Une violente contre-offensive des troupes franco-vietnamiennes, lisait-il, a permis d'arrêter la progression de l'ennemi dans la Haute-Région. On a dû évacuer une ligne de postes pour renforcer la défense du Delta. L'essentiel tient bon. Nous voilà rassurés. Tu sais qui c'est?
-Qui?
-Les troupes franco-vietnamiennes.
-C'est peut-être nous. Dis, Martini, on ne se mélangerait pas un peu? Nous sommes l'armée française, et nous menons une guerre de partisans contre l'armée régulière d'un mouvement qui mène une grérilla contre nous, qui luttons pour la protection du peuple vietnamien, qui lutte pour son indépendance.
-Pour se battre, on sait faire. Pour ce qui est du pourquoi, j'espère qu'à Paris ils savent.»"
"Il fit asseoir Salagnon dans le fauteuil, balaya le sol d'une petite brosse, et posa les rouleaux à ses pieds. Il en dénoua les liens, les déhoussa et, penché avec grâce, les déroula lentement par terre.
«C'est ainsi qu'on regarde les peintures de la tradition chinoise. Il ne convient pas de les accrocher aux murs une fois pour toutes, il faut les dérouler comme se déroule un chemin. On voit alors apparaître le temps. Dans le temps de les regarder se rejoint le temps de les concevoir et le temps de les avoir faites. Quand personne ne les regarde, il faut les laisser non pas ouvertes mais roulées, à l'abri des regards, à l'abri d'elles-mêmes. On ne les déroule que devant quelqu'un qui saura en apprécier le dévoilement. Elles ont été conçues ainsi, comme se conçoit le chemin.»"
«C'est ainsi qu'on regarde les peintures de la tradition chinoise. Il ne convient pas de les accrocher aux murs une fois pour toutes, il faut les dérouler comme se déroule un chemin. On voit alors apparaître le temps. Dans le temps de les regarder se rejoint le temps de les concevoir et le temps de les avoir faites. Quand personne ne les regarde, il faut les laisser non pas ouvertes mais roulées, à l'abri des regards, à l'abri d'elles-mêmes. On ne les déroule que devant quelqu'un qui saura en apprécier le dévoilement. Elles ont été conçues ainsi, comme se conçoit le chemin.»"
"«... l'art est un état plus subtil que le talent. Il se situe au-delà. POur se transformer en art, le talent doit prendre conscient de lui-même, et de ses limites, et être aimanté d'un but, qui l'oriente dans une direction indiscutable...»"
"«La mort! Enfin qu'elle vienne! Je suis las de cette immortalité. Je commence à trouver cette solitude pesante. Mais ne le dites pas à Eurydice. Elle compte sur moi.»"
"Nous mourons à petit feu de ne plus vouloir vivre ensemble."
"«... la vie de la peinture est non pas le sujet mais la trace de ce que vit le pinceau.»"
"Elle était tous les âges ensemble, comme le sont les vrais gens, le passé qu'elle porte, le présent qu'elle danse, le futur dont elle ne se soucie pas."
"«-... On n'apprend pas impunément la liberté, l'égalité et la fraternité à des gens à qui on les refuse.»"
"-... Quand elle va bien, la colonie permet à des gens très humains, très respectueux, habités des meilleurs sentiments du monde, de regarder avec gentillesse un petit peuple coloré auquel ils ne se mélangent pas. La colonie permet juste un paternalisme affectueux, assuré par le plus simple des critères: la ressemblance héréditaire. Voilà à quoi l'on parvient quand tout le monde y met du sien: bien s'entendre avec sa femme de ménage, et les enfants l'adorent, mais on l'appellera toujours par son prénom."
"L'émeute qui vient se fera de même au nom des valeurs de la république, valeurs un peu dissoutes, rongées qu'elles sont par la prise en compte de la lignée, par l'inégalité illégale, mais valeurs toujours souhaitées par ceux qui, plus que toute chose, veulent vivre ici. Ici comme là-bas se fait la guerre entre nous qui nous ressemblons tant, et nous cherchons furieusement tout ce qui pourrait nous séparer."
(Alexis Jenni, "L'art français de la guerre")
Moulin-à-Vent- Grand sage du forum
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Genre littéraire préféré : Roman historique
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Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Eh bien, je dois avouer que je ne l'ai pas terminé. Je m'arrête à 200 pages.
Je n'ai rien compris à l'histoire et les longueurs n'arrangent rien. J'ai l'impression d'avoir été perdue dès le début.
J'ai un peu honte, du coup, après l'excellente critique et l'enthousiasme de Moulin-à-Vent mais vraiment, ce n'est pas un livre pour moi.
Je n'ai rien compris à l'histoire et les longueurs n'arrangent rien. J'ai l'impression d'avoir été perdue dès le début.
J'ai un peu honte, du coup, après l'excellente critique et l'enthousiasme de Moulin-à-Vent mais vraiment, ce n'est pas un livre pour moi.
Invité- Invité
Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Mevlânâ a écrit:Eh bien, je dois avouer que je ne l'ai pas terminé. Je m'arrête à 200 pages.
Désolé Mevlânâ. On dirait que c'est un livre qui se laisse mériter. Les thèmes se déplient dans la seconde moitié du roman et c'est là que l'intérêt se décuple et que ça s'embrase. La première moitié m'a également paru un peu statique bien que pas désagréable.
Salutations à Toi.
Moulin-à-Vent- Grand sage du forum
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Re: [Jenni, Alexis] L'art Français de la guerre
Lu en août 2022.
Au moment de la sortie de cet ouvrage, l'Europe se vantait d'avoir vécu soixante-six ans sans guerres. Il s’agit ici de montrer la face cachée d’une telle affirmation avec la participation des armées occidentales à des conflits aussi brutaux que la guerre du Golfe ou aussi sanglants que la répression des anciens fiefs coloniaux. L’auteur confronte le lecteur de 2011 à la vérité sur les dégâts causés par la mentalité belliqueuse française, la violence déchaînée par les conflits coloniaux (Indochine, Algérie) et ses séquelles, tout comme les affrontements des immigrés avec la police dans les cités.
Le narrateur, jamais nommé, après avoir tout quitté, a une vie précaire. C’est désormais un homme habitué à ne rien faire, aidé en cela par l’Etat-Providence. De retour dans sa ville natale, Lyon, il fait la connaissance d’un retraité de plus de soixante ans, un vétéran de trois guerres, Victorien Salagnon. La rencontre a lieu dans un café puis sur une brocante, où ils conviennent que le « jeune » racontera l’histoire de l’ancien, tandis que ce dernier apprendra à peindre au chômeur. Car, depuis toujours, Victorien peint à l’encre de Chine et n’a jamais cessé de retranscrire sur n’importe quelle sorte de page blanche tout ce qui s’offrait à son regard. Cela l’a sauvé de la barbarie, l’a distancié des événements et l’a ainsi, sans aucun doute, aidé à préserver sa santé mentale.
Le livre se compose de treize chapitres qui alternent le récit d'épisodes de la vie française en 1991, avec le narrateur comme protagoniste, nommés « Commentaires » et ceux dans lesquels l'ex-militaire raconte sa vie pendant la résistance à la fin de la seconde guerre mondiale ainsi que sa participation aux guerres d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962), période qu’il appelle « guerre de vingt ans », nommés « Romans ».
Les descriptions de l'incendie de villages vietnamiens ou de la torture à Alger sont accablantes, tandis que les problèmes du début de la décennie 90 à savoir immigration, racisme, violence dans les rues ou questions d'identité nationale, sont beaucoup plus nuancés sans toutefois céder à une complaisance quelconque mais en cherchant plutôt des explications plausibles. L’homme encore jeune, perdu dans une société qui offre peu de points d'ancrage et le vieux soldat permettent à Jenni de déterrer les fantômes qui survivent dans la société française et qui interrogent sur son identité. Il cherche le rapport de la France à son passé colonial, à son art de la guerre. Et, peu à peu, la lecture soulève des questions.
•Qu'est-ce qu'être français ?
Jenni pense qu’on l’est d’abord par la langue : Le verbe qui est le vrai sang de la nation française. Puis par son esprit : …car le génie français se caractérise par l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? C’est tous les avantages de la croyance sans les inconvénients de la crédulité. Pourtant plus loin il contredit cela en disant : L’identité est parfaitement imaginaire. L’identité n’est qu’un choix d’identification, effectué par chacun. La croire incarnée, dans la chair ou dans le sol, c’est entrer dans ces folies qui font croire à l’existence, en dehors de soi, de ce qui agite l’âme. Donc l’appartenance au peuple français, à part le fait de parler la langue, semble difficile à définir.
•Qu’est-ce que la notion de race ?
Lors de la description d’une émeute, le narrateur réfléchit à cela et dit :
La race n’existe pas. Elle existe suffisamment pour qu’une gare flambe, et que des centaines de personnes qui n’avaient rien en commun s’organisent par couleurs.
Ce qui frappe tout au long de la lecture, c’est l’emploi répété du pronom “nous ».
« Nous » se définit par « eux » ; sans eux nous ne sommes pas. Eux se constituent grâce à nous ; sans nous ils ne seraient pas. Tout le monde a le plus grand intérêt à ce que nous n’ayons rien de commun. Eux sont différents. Différents par quoi ? Par la langue, et la religion. La langue ? L’état naturel de l’humanité est d’en parler au moins deux. La religion ? Est-elle de tant d’importance ? Pour eux, oui ; disons-nous.
Alors la race serait une question de sang ? Peut-être mais le sang c’est aussi le symbole et le produit de la violence qui résulte du racisme et du colonialisme. Violence et race, sang versé et sang qui coule dans les veines – les deux sont inextricablement liés. Jenni fait dire ceci à un personnage :
Je ne sais pas de quel peuple je descends. Mais peu importe, n’est-ce pas ? Car il n’est pas de race. N’est-ce pas ? Elles n’existent pas ces figures qui se battent. Notre vie est bien plus paisible. N’est-ce pas ? Nous sommes bien tous les mêmes. N’est-ce pas ? Ne vivons-nous pas ensemble ? N’est-ce pas ? Répondez-moi.
•Pourquoi ceux qui nous gouvernent ont fait taire la vérité sur le sang versé pendant si longtemps dans les colonies et où l'armée a agi en dehors des lois ?
D’ailleurs l’Etat n’a jamais parlé de guerres mais a toujours fait référence aux «événements ».
•Qui étaient ces soldats luttant dans ces guerres qu’ils ne comprenaient pas ?
Ici ils sont présentés comme des machines de guerre brutales et impitoyables, capables d'actes atroces bien que Jenni réussisse à nous faire éprouver une sorte de sympathie, quoique réservée, à leur égard.
Dans les guerres coloniales on ne compte pas les morts adverses, car ils ne sont pas morts, ni adverses : ils sont une difficulté du terrain que l’on écarte, comme les cailloux pointus, les racines de palétuviers, ou encore les moustiques. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas.
Le champ de bataille des guerres civiles est l’aspect du corps, et tout l’art de la guerre consiste en sa maltraitance.
À nouveau, il est question de sang (le mot est utilisé 212 fois dans le roman). Cependant, au-delà des descriptions où le rouge domine, l’auteur fait une analogie que j’ai trouvée intéressante. L’encre de Chine utilisée par Salagnon peut-être tantôt fluide, tantôt épaisse voire presque coagulée et les traits tracés par le peintre pourraient aussi parfois figurer les écoulements ou les encroûtements sur les nombreuses blessures qu’il observe.
Et puis, dans la France post coloniale, beaucoup ont intégré des groupes contestataires, tels le GAFFES “Groupe d’Autodéfense des Français Fiers d’Être de Souche”. Ils sont intolérants, nostalgiques des certitudes simples de la guerre et potentiellement violents.
•Pourquoi un pays colonisé se rebelle-t-il ?
On n’apprend pas impunément la liberté, l’égalité et la fraternité à des gens à qui on les refuse.
Et après ? Après, dans des banlieues hideuses, se sont retrouvés les ex-militaires, les Maghrébins, toujours identifiés à l'Islam, et un dernier groupe, représenté par Eurydice, l'amour de la vie de Salagnon, à savoir les "pieds-noirs", coloniaux français nés en Algérie. Les trois groupes ont vécu en marge de la société française. Tous avaient des griefs légitimes et les tensions ont fini par déclencher des émeutes. Le colonialisme est à l'origine de ce mélange explosif, d’une nouvelle guerre cette fois sociétale.
Personne ne fit remarquer la militarisation du maintien de l’ordre. Personne n’eut l’air de remarquer les colonnes blindées qui au petit matin entrent dans les quartiers insoumis. Personne ne s’étonna de l’usage de la colonne blindée en France… On pourrait discuter la pratique : nous connaissons bien la colonne blindée ; cela explique que personne ne la remarque. Les guerres menées là-bas nous les menions ainsi, et nous les avons perdues par la pratique de la colonne blindée. Par le blindage nous nous sentions protégés. Nous avons brutalisé tout le monde ; nous en avons tué beaucoup ; et nous avons perdu les guerres. Toutes.
Les policiers sont jeunes, très jeunes. On envoie des jeunes gens en colonnes blindées reprendre le contrôle de zones interdites. Ils font des dégâts et repartent. Comme là-bas. L’art de la guerre ne change pas.
Enfin, tout comme dans « Féroces infirmes » on comprend bien que l’auteur n’a pas une très bonne opinion du Général de Gaulle : Il nous donna, parce qu’il les inventa, les raisons de vivre ensemble et d’être fiers de nous. Et nous vivons dans les ruines de qu’il construisit, dans les pages déchirées de ce roman qu’il écrivit, que nous prîmes pour une encyclopédie, que nous prîmes pour l’image claire de la réalité alors qu’il ne s’agissait que d’une invention ; une invention en laquelle il était doux de croire.
Comme vous pouvez le constater dans ces extraits, le style est magnifique, sans aucune faute. Si Alexis Jenni devait être qualifié par la langue qu’il maîtrise, il est indiscutablement français. Je regrette juste l’emploi répété, comme je l’ai dit plus haut, du mot « sang ». Egalement les soldats, les policiers et les jeunes des banlieues sont tous « athlétiques ». D’autres adjectifs auraient pu être employés. Et sur 677 pages j’ai trouvé dans les parties « Commentaires » quelques petites longueurs qui auraient pu être évitées.
J’ai vraiment beaucoup apprécié ce roman et, pour ceux qui ne sont pas rebutés par les descriptions guerrières, je le recommande vivement.
P.S. C’est surprenant que j’ai fini de rédiger cette critique alors que notre président s’est rendu en Algérie pour, entre autres, encore évoquer ce problème qui ne semble toujours pas résolu.
Au moment de la sortie de cet ouvrage, l'Europe se vantait d'avoir vécu soixante-six ans sans guerres. Il s’agit ici de montrer la face cachée d’une telle affirmation avec la participation des armées occidentales à des conflits aussi brutaux que la guerre du Golfe ou aussi sanglants que la répression des anciens fiefs coloniaux. L’auteur confronte le lecteur de 2011 à la vérité sur les dégâts causés par la mentalité belliqueuse française, la violence déchaînée par les conflits coloniaux (Indochine, Algérie) et ses séquelles, tout comme les affrontements des immigrés avec la police dans les cités.
Le narrateur, jamais nommé, après avoir tout quitté, a une vie précaire. C’est désormais un homme habitué à ne rien faire, aidé en cela par l’Etat-Providence. De retour dans sa ville natale, Lyon, il fait la connaissance d’un retraité de plus de soixante ans, un vétéran de trois guerres, Victorien Salagnon. La rencontre a lieu dans un café puis sur une brocante, où ils conviennent que le « jeune » racontera l’histoire de l’ancien, tandis que ce dernier apprendra à peindre au chômeur. Car, depuis toujours, Victorien peint à l’encre de Chine et n’a jamais cessé de retranscrire sur n’importe quelle sorte de page blanche tout ce qui s’offrait à son regard. Cela l’a sauvé de la barbarie, l’a distancié des événements et l’a ainsi, sans aucun doute, aidé à préserver sa santé mentale.
Le livre se compose de treize chapitres qui alternent le récit d'épisodes de la vie française en 1991, avec le narrateur comme protagoniste, nommés « Commentaires » et ceux dans lesquels l'ex-militaire raconte sa vie pendant la résistance à la fin de la seconde guerre mondiale ainsi que sa participation aux guerres d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962), période qu’il appelle « guerre de vingt ans », nommés « Romans ».
Les descriptions de l'incendie de villages vietnamiens ou de la torture à Alger sont accablantes, tandis que les problèmes du début de la décennie 90 à savoir immigration, racisme, violence dans les rues ou questions d'identité nationale, sont beaucoup plus nuancés sans toutefois céder à une complaisance quelconque mais en cherchant plutôt des explications plausibles. L’homme encore jeune, perdu dans une société qui offre peu de points d'ancrage et le vieux soldat permettent à Jenni de déterrer les fantômes qui survivent dans la société française et qui interrogent sur son identité. Il cherche le rapport de la France à son passé colonial, à son art de la guerre. Et, peu à peu, la lecture soulève des questions.
•Qu'est-ce qu'être français ?
Jenni pense qu’on l’est d’abord par la langue : Le verbe qui est le vrai sang de la nation française. Puis par son esprit : …car le génie français se caractérise par l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? C’est tous les avantages de la croyance sans les inconvénients de la crédulité. Pourtant plus loin il contredit cela en disant : L’identité est parfaitement imaginaire. L’identité n’est qu’un choix d’identification, effectué par chacun. La croire incarnée, dans la chair ou dans le sol, c’est entrer dans ces folies qui font croire à l’existence, en dehors de soi, de ce qui agite l’âme. Donc l’appartenance au peuple français, à part le fait de parler la langue, semble difficile à définir.
•Qu’est-ce que la notion de race ?
Lors de la description d’une émeute, le narrateur réfléchit à cela et dit :
La race n’existe pas. Elle existe suffisamment pour qu’une gare flambe, et que des centaines de personnes qui n’avaient rien en commun s’organisent par couleurs.
Ce qui frappe tout au long de la lecture, c’est l’emploi répété du pronom “nous ».
« Nous » se définit par « eux » ; sans eux nous ne sommes pas. Eux se constituent grâce à nous ; sans nous ils ne seraient pas. Tout le monde a le plus grand intérêt à ce que nous n’ayons rien de commun. Eux sont différents. Différents par quoi ? Par la langue, et la religion. La langue ? L’état naturel de l’humanité est d’en parler au moins deux. La religion ? Est-elle de tant d’importance ? Pour eux, oui ; disons-nous.
Alors la race serait une question de sang ? Peut-être mais le sang c’est aussi le symbole et le produit de la violence qui résulte du racisme et du colonialisme. Violence et race, sang versé et sang qui coule dans les veines – les deux sont inextricablement liés. Jenni fait dire ceci à un personnage :
Je ne sais pas de quel peuple je descends. Mais peu importe, n’est-ce pas ? Car il n’est pas de race. N’est-ce pas ? Elles n’existent pas ces figures qui se battent. Notre vie est bien plus paisible. N’est-ce pas ? Nous sommes bien tous les mêmes. N’est-ce pas ? Ne vivons-nous pas ensemble ? N’est-ce pas ? Répondez-moi.
•Pourquoi ceux qui nous gouvernent ont fait taire la vérité sur le sang versé pendant si longtemps dans les colonies et où l'armée a agi en dehors des lois ?
D’ailleurs l’Etat n’a jamais parlé de guerres mais a toujours fait référence aux «événements ».
•Qui étaient ces soldats luttant dans ces guerres qu’ils ne comprenaient pas ?
Ici ils sont présentés comme des machines de guerre brutales et impitoyables, capables d'actes atroces bien que Jenni réussisse à nous faire éprouver une sorte de sympathie, quoique réservée, à leur égard.
Dans les guerres coloniales on ne compte pas les morts adverses, car ils ne sont pas morts, ni adverses : ils sont une difficulté du terrain que l’on écarte, comme les cailloux pointus, les racines de palétuviers, ou encore les moustiques. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas.
Le champ de bataille des guerres civiles est l’aspect du corps, et tout l’art de la guerre consiste en sa maltraitance.
À nouveau, il est question de sang (le mot est utilisé 212 fois dans le roman). Cependant, au-delà des descriptions où le rouge domine, l’auteur fait une analogie que j’ai trouvée intéressante. L’encre de Chine utilisée par Salagnon peut-être tantôt fluide, tantôt épaisse voire presque coagulée et les traits tracés par le peintre pourraient aussi parfois figurer les écoulements ou les encroûtements sur les nombreuses blessures qu’il observe.
Et puis, dans la France post coloniale, beaucoup ont intégré des groupes contestataires, tels le GAFFES “Groupe d’Autodéfense des Français Fiers d’Être de Souche”. Ils sont intolérants, nostalgiques des certitudes simples de la guerre et potentiellement violents.
•Pourquoi un pays colonisé se rebelle-t-il ?
On n’apprend pas impunément la liberté, l’égalité et la fraternité à des gens à qui on les refuse.
Et après ? Après, dans des banlieues hideuses, se sont retrouvés les ex-militaires, les Maghrébins, toujours identifiés à l'Islam, et un dernier groupe, représenté par Eurydice, l'amour de la vie de Salagnon, à savoir les "pieds-noirs", coloniaux français nés en Algérie. Les trois groupes ont vécu en marge de la société française. Tous avaient des griefs légitimes et les tensions ont fini par déclencher des émeutes. Le colonialisme est à l'origine de ce mélange explosif, d’une nouvelle guerre cette fois sociétale.
Personne ne fit remarquer la militarisation du maintien de l’ordre. Personne n’eut l’air de remarquer les colonnes blindées qui au petit matin entrent dans les quartiers insoumis. Personne ne s’étonna de l’usage de la colonne blindée en France… On pourrait discuter la pratique : nous connaissons bien la colonne blindée ; cela explique que personne ne la remarque. Les guerres menées là-bas nous les menions ainsi, et nous les avons perdues par la pratique de la colonne blindée. Par le blindage nous nous sentions protégés. Nous avons brutalisé tout le monde ; nous en avons tué beaucoup ; et nous avons perdu les guerres. Toutes.
Les policiers sont jeunes, très jeunes. On envoie des jeunes gens en colonnes blindées reprendre le contrôle de zones interdites. Ils font des dégâts et repartent. Comme là-bas. L’art de la guerre ne change pas.
Enfin, tout comme dans « Féroces infirmes » on comprend bien que l’auteur n’a pas une très bonne opinion du Général de Gaulle : Il nous donna, parce qu’il les inventa, les raisons de vivre ensemble et d’être fiers de nous. Et nous vivons dans les ruines de qu’il construisit, dans les pages déchirées de ce roman qu’il écrivit, que nous prîmes pour une encyclopédie, que nous prîmes pour l’image claire de la réalité alors qu’il ne s’agissait que d’une invention ; une invention en laquelle il était doux de croire.
Comme vous pouvez le constater dans ces extraits, le style est magnifique, sans aucune faute. Si Alexis Jenni devait être qualifié par la langue qu’il maîtrise, il est indiscutablement français. Je regrette juste l’emploi répété, comme je l’ai dit plus haut, du mot « sang ». Egalement les soldats, les policiers et les jeunes des banlieues sont tous « athlétiques ». D’autres adjectifs auraient pu être employés. Et sur 677 pages j’ai trouvé dans les parties « Commentaires » quelques petites longueurs qui auraient pu être évitées.
J’ai vraiment beaucoup apprécié ce roman et, pour ceux qui ne sont pas rebutés par les descriptions guerrières, je le recommande vivement.
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