[Jenni, Alexis] Féroces infirmes

Lu en 2019

Le titre est tiré du texte d'Arthur Rimbaud "Mauvais sang" (Une saison en enfer) :
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé. Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève.

Première et troisième parties, alternance entre :
- le père : son enfance, sa jeunesse, le départ à vingt ans pour Alger (années 1959 et 1960) et, à son retour en France, sa brève participation aux actions d'une phalange d'extrême droite.
- le fils avec son actualité de 2015, après avoir été quitté par sa compagne et été obligé de prendre son père chez lui. Le vieillard, en fauteuil roulant, est sans doute atteint de démence. Infirme et féroce, il ne parle jamais de son passé mais profère sans cesse des insultes racistes surtout à l’encontre de leurs voisins de palier, rapatriés d’Algérie et leurs enfants nés en France. Son fils le lève, le couche, le nourrit et le lave, attend qu’il meure pour, qu’enfin, il se taise !

Deuxième partie, uniquement consacrée au père et à son vécu de la guerre d’Algérie (années 1960 à 1962). D’abord dans un commando où il apprend à tuer. Puis il déserte, se cache à Alger et entre dans l’OAS. Ce garçon de vingt ans, je té dans cette guerre, ne cessera de faire des mauvais choix « virilistes », comme dit l’auteur.

Je suis toujours étonnée de découvrir des ouvrages comme celui-ci alors qu’il n’est pas du tout évoqué par les médias. Ce roman est d’une qualité littéraire certaine et , à mon avis, bien au-dusses des ventes propulsées à grand renfort de publicité. Est-ce à cause su sujet qui serait encore tabou ?
Avec une écriture magnifique, souvent des phrases courtes et percutantes, il nous raconte comment la violence peut décomposer un être de l’intérieur, comme une centrale nucléaire « qui silencieusement rayonne, invisible et toxique ». L’incipit nous met immédiatement dans le bain : « Je n’aimerais pas que mon père atteigne quatre-vingts ans ».

Alexis Jenni traite ce sujet délicat en posant des questions auxquelles il ne donne jamais de réponse. C’est donc une réflexion avec, en toile de fond, les destins des Aerbi (cela sonne comme arabe), père et fils, dans deux siècles différents et dans deux quartiers : les Gratte-Ciel de Villeurbanne, cité ouvrière construite entre 1937 et 1934, pour le père. La Duchère à Lyon, pour le fils, là même où des milliers de rapatriés d’Algérie vont trouver refuge.
La fin de la période coloniale focalise toutes les ambitions de la France dans ces tonne des béton érigées en barre d’habitation, ces ensembles verticaux et horizontaux Le Général de Gaulle est d’ailleurs nommé « Le grand Ensemble ».
La fin de l’Algérie française est particulièrement bien décrite. On y suit ce jeune homme détruit par la violence et qui ne connaît plus que le langage des armes et du terrorisme pour exprimer toute la haine qui l’habite, surtout quand on lui dit : « C’est fini, on laisse tomber ».
Jenni explore la mémoire collective de la guerre d’Algérie, qui peut être vite explosive, et ses conséquences sur les relations familiales quelques décennies après sa fin. Ainsi le fils , alors que sa vie est un fiasco, s’impose de tendre une main amicale à ses voisins algériens afin de donne un sens à la paix. Ce geste aura-t-il été utile ? Il dit :
« … mon ami Rachid habite sur le même palier, nous en parlons souvent, de la guerre et de l’oubli. C’est son fils Nasser qui nous inquiète : il veut ne rien savoir, et ne rien oublier. Nous n’arrivons pas à en sortir, de cette histoire. »

C'est intéressant Dulcie, je ne connais cet auteur que de nom.

Laurent Mauvignier a écrit un roman aussi sur la guerre d'Algérie, Des hommes, que je n'ai pas encore lu.

J'ai posté cette critique parce que j'ai évoqué ce roman sur celle de "L'art français de la guerre", du même auteur.
Oui, j'ai aussi entendu parler de celui de Mauvignier. Il faudra que je le lise.

J'avais la fausse idée sur Jenni d'un auteur qui choque volontiers, et prend les choses à contrepied.

J'ai lu plusieurs romans de Laurent Mauvignier, on peut trouver qu'ils sont longs à lire, mais le contenu ne m'a pas déçue.

Je le note sans problème, alors