[Voltaire] Le Philosophe ignorant
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Le Philosophe ignorant
[Voltaire] Le Philosophe ignorant
Le Philosophe ignorant
Auteur : Voltaire
Éditeur : Le Livre de Poche
Nombre de pages : 128 pages
Prix : 4.10E
4è de couverture :
S’il me fallait, aujourd’hui, désigner un texte de Voltaire, un seul, et le recommander à qui en serait encore au point où j’en étais il y a trente ou quarante ans, s’il me fallait convaincre un lecteur qui n’aurait pas compris l’urgence de se plonger dans ce flot de mots dont, comme l’enfer selon saint Bonaventure, on ne sait jamais s’il est trop brûlant ou trop glacé, c’est ce petit texte que je choisirais.
Mes impressions :
J'adore Voltaire. Dans ce court essai, Voltaire s'interroge - et nous aussi lecteurs - sur la vie. L'auteur tente de critiquer tout ce qui l'entoure, y compris lui même. En effet Voltaire ce dit "ignorant" et remet par exemple en cause le fait que malgré avoir entendu et lu les philosophes qui l'ont précédé il n'en reste pas moins ignorant. Au travers de ce titre modeste, moqueur et drôle Voltaire annonce la couleur, ce livre est très ludique malgré quelques difficultés évidemment puisqu'il est composé de questions.
Voltaire part en guerre contre les philosophes savant qui prétendent détenir le savoir (Descartes par exemple), et démontre ce qu'il dit au moyen d'expériences. Voltaire réfléchis également aux conflits religieux et politiques.
A l'aide de questions aussi simples que "Qui es-tu ?" ou "D'où viens-tu ?", Voltaire réfléchis et nous amène par la même occasion à réfléchir sur nous mêmes, sur les choses qui nous entourent, sur nos vies.
Un magnifique ouvrage qui permet de développer sa propre pensée et de découvrir celle de l'auteur, bien sûr on peut être en désaccord avec ce dernier et venir à en parler avec lui, intérieurement
De plus, cet essai est structuré et ce lit comme un roman, et ça renforce le plaisir de lecture
Extraits :
- Spoiler:
- II.— Notre faiblesse.
Je suis un faible animal; je n’ai en naissant ni force, ni connaissance, ni instinct; je ne peux même me traîner à la mamelle de ma mère, comme font tous les quadrupèdes; je n’acquiers quelques idées que comme j’acquiers un peu de force, quand mes organes commencent à se développer. Cette force augmente en moi jusqu’au temps où, ne pouvant plus s’accroître, elle diminue chaque jour. Ce pouvoir de concevoir des idées s’augmente de même jusqu’à son terme, et ensuite s’évanouit insensiblement par degrés.
Quelle est cette mécanique qui accroît de moment en moment les forces de mes membres jusqu’à la borne prescrite? Je l’ignore; et ceux qui ont passé leur vie à chercher cette cause n’en savent pas plus que moi.
Quel est cet autre pouvoir qui fait entrer des images dans mon cerveau, qui les conserve dans ma mémoire? Ceux qui sont payés pour le savoir l’ont inutilement cherché; nous sommes tous dans la même ignorance des premiers principes où nous étions dans notre berceau.
- Spoiler:
- XI.— Désespoir fondé.
Ainsi arrêtés dès le premier pas, et nous repliant vainement sur nous-mêmes, nous sommes effrayés de nous chercher toujours, et de ne nous trouver jamais. Nul de nos sens n’est explicable.
Nous savons bien à peu près, avec le secours des triangles, qu’il y a environ trente millions de nos grandes lieues géométriques de la terre au soleil; mais qu’est-ce que le soleil? et pourquoi tourne-t-il sur son axe? et pourquoi en un sens plutôt qu’en un autre? et pourquoi Saturne et nous tournons-nous autour de cet astre plutôt d’occident en orient que d’orient en occident? Non seulement nous ne satisferons jamais à cette question, mais nous n’entreverrons jamais la moindre possibilité d’en imaginer seulement une cause physique. Pourquoi? c’est que le nœud de cette difficulté est dans le premier principe des choses.
Il en est de ce qui agit au dedans de nous comme de ce qui agit dans les espaces immenses de la nature. Il y a dans l’arrangement des astres et dans la conformation d’un ciron et de l’homme un premier principe dont l’accès doit nécessairement nous être interdit. Car si nous pouvions connaître notre premier ressort, nous en serions les maîtres, nous serions des dieux. Éclaircissons cette idée, et voyons si elle est vraie.
Supposons que nous trouvions en effet la cause de nos sensations, de nos pensées, de nos mouvements, comme nous avons seulement découvert dans les astres la raison des éclipses et des différentes phases de la lune et de Vénus; il est clair que nous prédirions alors nos sensations, nos pensées et nos désirs résultants de ces sensations, comme nous prédisons les phases et les éclipses. Connaissant donc ce qui devrait se passer demain dans notre intérieur, nous verrions clairement, par le jeu de cette machine, de quelle manière ou agréable ou funeste nous devrions être affectés. Nous avons une volonté qui dirige, ainsi qu’on en convient, nos mouvements intérieurs en plusieurs circonstances. Par exemple, je me sens disposé à la colère, ma réflexion et ma volonté en répriment les accès naissants. Je verrais, si je connaissais mes premiers principes, toutes les affections auxquelles je suis disposé pour demain, toute la suite des idées qui m’attendent; je pourrais avoir sur cette suite d’idées et de sentiments la même puissance que j’exerce quelquefois sur les sentiments et sur les pensées actuelles que je détourne et que je réprime. Je me trouverais précisément dans le cas de tout homme qui peut retarder et accélérer à son gré le mouvement d’une horloge, celui d’un vaisseau, celui de toute machine connue.
Dans cette supposition, étant le maître des idées qui me sont destinées demain, je le serais pour le jour suivant, je le serais pour le reste de ma vie; je pourrais donc être toujours tout-puissant sur moi-même, je serais le dieu de moi-même. Je sens assez que cet état est incompatible avec ma nature; il est donc impossible que je puisse rien connaître du premier principe qui me fait penser et agir.
- Spoiler:
- XXVI.— Du meilleur des mondes.
En courant de tous côtés pour m’instruire, je rencontrai des disciples de Platon. « Venez avec nous, me dit l’un d’eux; vous êtes dans le meilleur des mondes; nous avons bien surpassé notre maître. Il n’y avait de son temps que cinq mondes possibles, parce qu’il n’y a que cinq corps réguliers; mais actuellement qu’il y a une infinité d’univers possibles, Dieu a choisi le meilleur; venez, et vous vous en trouverez bien. » Je lui répondis humblement: « Les mondes que Dieu pouvait créer étaient ou meilleurs, ou parfaitement égaux, ou pires: il ne pouvait prendre le pire, ceux qui étaient égaux, suppose qu’il y en eût, ne valaient pas la préférence: ils étaient entièrement les mêmes; on n’a pu choisir entre eux: prendre l’un c’est prendre l’autre. Il est donc impossible qu’il ne prît pas le meilleur. Mais comment les autres étaient-ils possibles, quand il était impossible qu’ils existassent? »
Il me fit de très belles distinctions, assurant toujours, sans s’entendre, que ce monde-ci est le meilleur de tous les mondes réellement impossibles. Mais, me sentant alors tourmenté de la pierre, et souffrant des douleurs insupportables, les citoyens du meilleur des mondes me conduisirent à l’hôpital voisin. Chemin faisant, deux de ces bienheureux habitants furent enlevés par des créatures, leurs semblables: on les chargea de fers, l’un pour quelques dettes, l’autre sur un simple soupçon. Je ne sais pas si je fus conduit dans le meilleur des hôpitaux possibles; mais je fus entassé avec deux ou trois mille misérables qui souffraient comme moi. Il y avait là plusieurs défenseurs de la patrie qui m’apprirent qu’ils avaient été trépanés et disséqués vivants, qu’on leur avait coupé des bras, des jambes, et que plusieurs milliers de leurs généreux compatriotes avaient été massacrés dans l’une des trente batailles données dans la dernière guerre, qui est environ la cent millième guerre depuis que nous connaissons des guerres. On voyait aussi, dans cette maison, environ mille personnes des deux sexes, qui ressemblaient à des spectres hideux, et qu’on frottait d’un certain métal parce qu’ils avaient suivi la loi de la nature, et parce que la nature avait, je ne sais comment, pris la précaution d’empoisonner en eux la source de la vie. Je remerciai mes deux conducteurs.
Quand on m’eut plongé un fer bien tranchant dans la vessie, et qu’on eut tiré quelques pierres de cette carrière; quand je fus guéri, et qu’il ne me resta plus que quelques incommodités douloureuses pour le reste de mes jours, je fis mes représentations à mes guides, je pris la liberté de leur dire qu’il y avait du bon dans ce monde, puisqu’on m’avait tiré quatre cailloux du sein de mes entrailles déchirées; mais que j’aurais encore mieux aimé que les vessies eussent été des lanternes, que non pas qu’elles fussent des carrières. Je leur parlai des calamités et des crimes innombrables qui couvrent cet excellent monde. Le plus intrépide d’entre eux, qui était un Allemand, mon compatriote, m’apprit que tout cela n’est qu’une bagatelle.
« Ce fut, dit-il, une grande faveur du ciel envers le genre humain que Tarquin violât Lucrèce, et que Lucrèce se poignardât: parce qu’on chassa les tyrans, et que le viol, le suicide, et la guerre, établirent une république qui fit le bonheur des peuples conquis. » J’eus peine à convenir de ce bonheur. Je ne conçus pas d’abord quelle était la félicité des Gaulois et des Espagnols, dont on dit que César fit périr trois millions. Les dévastations et les rapines me parurent aussi quelque chose de désagréable; mais le défenseur de l’optimisme n’en démordit point; il me disait toujours comme le geôlier de don Carlos: Paix, paix, c’est pour votre bien. Enfin, étant poussé à bout, il me dit qu’il ne fallait pas prendre garde à ce globule de la terre, où tout va de travers, mais que dans l’étoile de Sirius, dans Orion, dans l’oeil du Taureau, et ailleurs, tout est parfait. « Allons-y donc, » lui dis-je.
Un petit théologien me tira alors par le bras; il me confia que ces gens-là étaient des rêveurs, qu’il n’était point du tout nécessaire qu’il y eût du mal sur la terre, qu’elle avait été formée exprès pour qu’il n’y eût jamais que du bien. « Et pour vous le prouver, sachez, me dit-il, que les choses se passèrent ainsi autrefois pendant dix ou douze jours. — Hélas lui répondis-je, c’est bien dommage, mon révérend père, que cela n’ait pas continué. »
Invité- Invité
Re: [Voltaire] Le Philosophe ignorant
merci Findus pour cet aperçu de Voltaire
louloute- Grand sage du forum
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