[London, Jack] Le peuple de l'abîme

Avec une verve toujours aussi mordante, Jack London nous dépeint la misère quotidienne des East-Enders sans concession ni faux-semblant. Vieillards usés par une vie de travail, enfants prématurément mûris par une misère noire, filles et garçons avilis par une promiscuité malsaine, employés brisés physiquement et moralement par un patronat cupide que l’Etat ne peut pas (ne veut pas) contrôler, le tout baignant dans la crasse, le froid et la faim.
Plutôt qu’une longue réflexion théorique sur les méfaits du capitalisme (London était un socialiste convaincu), l’auteur a préféré offrir à ses lecteurs une expérience personnelle, des preuves irréfutables car puisées au cœur de la réalité. Cadeau empoisonné, car il est difficile de se sortir de la tête l’image de parents gardant, sur leur lit ou sur la table à manger, le corps de leur enfant mort en attendant d’avoir assez d’argent pour l’enterrer... Oui, c’est de ce niveau.

Selon que l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, on peut se réjouir que de telles conditions soient devenues l’exception en Europe, ou se demander si cette même Europe n’a pas tout simplement exporté cette misère vers les pays du Sud, comme les londoniens exportaient la leur vers l’Est.

Loin de la beauté sauvage de Croc Blanc ou de L’appel de la forêt, loin de l’errance romantique des Vagabonds du rail ou des Pirates de San Francisco, pas tout à fait dans la désillusion mélancolique de Martin Eden, London nous offre là un chef d’œuvre bien particulier, d’un réalisme poignant.

A lire absolument, mais seulement à partir d’un certain âge et lorsqu’on a plutôt le moral...