[Balzac, Honoré (de)] Mémoires de deux jeunes mariées
3 participants
Page 1 sur 1
Votre avis ?
[Balzac, Honoré (de)] Mémoires de deux jeunes mariées
Mémoires de deux jeunes mariées
Auteur : Honoré de Balzac
ISBN:978-1973139584
230 pages
Quatrième de couverture
Mémoires de deux jeunes mariées est un roman épistolaire dont l'histoire se déroule entre 1823 et 1835. Elevées dans le même couvent, deux jeunes filles entament une correspondance dans laquelle elles se racontent leurs premiers pas dans la société et la vie. La première, Louise de Chaulieu mène une vie mondaine et rencontre un baron espagnol dont elle s'éprend puis qu'elle épouse. Son amie, Renée de Maucombe, fait un mariage de raison, vit retirée dans sa Provence natale, et elle donne naissance à trois enfants. Chacune, au long de ces années, échange ses espoirs et ces déceptions. Mais après une longue période de bonheur, le mari de Louise disparaît sans laisser d'enfant. Louise se remet difficilement de cette disparition jusqu'à sa rencontre avec un jeune écrivain.
_________________
Cassiopée- Admin
-
Nombre de messages : 16860
Localisation : Saint Etienne
Emploi/loisirs : enseignante
Genre littéraire préféré : un peu tout
Date d'inscription : 17/04/2009
Re: [Balzac, Honoré (de)] Mémoires de deux jeunes mariées
Lu dans le cadre des Lectures Communes de mai-juin 2020 :
Mon avis :
Honoré de Balzac a choisi, pour faire vivre ses héroïnes, la forme épistolaire, qui nous plonge à la fois dans la vie de ces toutes jeunes filles sortant du couvent, et dans leurs destinées de femmes, d’épouses, de mère seulement pour Renée, et à la fois dans leur relation, le plus souvent à distance, mais avec constance dans leur amitié. Ce pacte d’amitié permet d’ailleurs à mon sens un pacte de franchise et d’honnêteté – on ne déguise pas ses sentiments à une amie de coeur, et on fera des efforts pour rester lucide sur soi-même.
Ainsi, Louise reprend sa place dans une famille bien en cour, qui veut bien d’elle - elle a hérité de sa grand-mère et a donc ses revenus personnels – mais lui fait comprendre qu’en quelque sorte « cela va être compliqué » pour la doter. Ses frères ont leur situation à établir, et elle passera après. Elle va découvrir le monde, mais n’y trouve personne à la hauteur de ses aspirations en amour, jusqu’au jour où un mystérieux maître d’espagnol entre dans sa maison pour lui prodiguer des leçons, en vue d’accompagner son père en ambassade en Espagne…
Renée, pour elle, a moins de chance : elle vit en province, et il est évident qu’on ne pourra la doter pour faire un mariage selon ses souhaits, et ses ambitions. A-t-on vraiment le loisir d’avoir des projets en amour lorsque le choix se résume entre accepter un mariage arrangé ou retourner au couvent ? Alors, oui, Renée va mettre en place des stratégies, mais aussi s’attacher à son mari Louis, en être aimée, et se réaliser pleinement dans son rôle de mère, connaître un vrai bonheur et une vie douce et paisible, avec les seuls « accidents domestiques » de sa vie de mère, pleinement impliquée dans l’éducation de ses enfants.
Il est prévisible que le lecteur ou la lectrice réagisse diversement à cette lecture selon le moment de sa vie, mais il est également très certain qu’il y a toutes les chances pour que des personnages, que ce soit une des jeunes filles ou des hommes qu’elles aiment, lui/nous rappellent des personnages connus, aimés, dans notre propre vécu, et que cette lecture en devienne très habitée, incarnée.
Le roman m’a fait l’effet de démultiplier les points de vue sur la condition des femmes, sur leurs choix en amour, et surtout, sur les moments où elles ne choisissent plus, mais se laissent aller avec ivresse à la passion. En amour, faire un choix relève-t-il encore du domaine de l’amour ? Il n’est pas surprenant que George Sand, à qui Balzac a dédié ce roman, lui ait ensuite écrit « il faut, mon cher, que vous ayez un souvenir d’existence antérieure où vous auriez été femme et mère. »
Au-delà de l’opposition entre Louise et Renée, le roman pose la question la plus essentielle et brûlante, toujours actuelle : que faut-il « faire » de sa vie ? Jusqu’où devons-nous en assurer le contrôle, intervenir énergiquement pour la bâtir ? Quelle liberté garder, et, puisque nous sommes au début du 19ème siècle : quel espace intérieur préserver pour être libre dans sa tête et dans son coeur en tant que femme ? Mais finalement, n’est-ce pas aussi encore actuel ?
Pour un lecteur de l’époque moderne, il est fascinant de constater que Balzac présentait déjà les questions les plus « chaudes » sur l’amour : comment préserver le désir, garder du mystère dans sa vie de couple pour ne pas appesantir le quotidien ? Peut-on être aimé si l’on aime soi-même ? En amour, les deux aiment-ils autant et de la même façon ? Peut-on « perdre » en amour ?
Mais encore : faut-il garder celui qu’on aime pour soi et créer une sorte d’utopie où l’on est seuls au monde, à deux, se nourrissant seulement de la présence de l’être aimé et de la nature ? Ou faut-il s’ouvrir au monde, faire naître des enfants, les élever pour les lancer à leur tout dans le monde ? Comment accepter, assumer l’impossibilité d’avoir des enfants ? Que devient la femme avec l’âge (après 30 ans, selon Balzac) ? Que faire de la jalousie et de la possessivité ?
Enfin, il est un personnage qui m’a touchée, c’est le baron de Macumer, Felipe, le premier mari de Louise, le Grand d’Espagne (ancien ministre) déchu, mais toujours si noble, fier, magnifique dans son attitude, devenu humble devant celle qui est tout pour lui, parce qu’elle l’a regardé et l’a éveillé à l’amour, alors qu’il était déjà un homme mûr. C’est aussi le seul défaut que je trouve à ce roman : même si Balzac ne fait pas de cadeaux à Louise, il a tout de même un peu trop « pris son parti », jusqu’à introduire un déséquilibre dans sa manière de peindre la vie des deux côtés. Il « défend » bien Renée, mais n’y met pas autant de couleurs, son univers est un peu pâle (sinon pour les enfants), et Louis est assez falot, on n’en sait pas grand-chose.
C’est la raison pour laquelle je vote « beaucoup apprécié », avec 4,5/5.
Remarque : l’appareil du paratexte est bien conçu dans l'édition Folio : la Préface est intéressante (mieux vaut la lire après toutefois), et j’ai lu avec plaisir les appendices, notamment la biographie de l’auteur et les lettres autour de George Sand, et leur amitié.
Extraits :
« Louis en est aux premiers transports, je l’attends à cette égale et continue sensation de bonheur que doit donner un heureux mariage quand, sûrs l’un de l’autre et se connaissant bien, une femme et un homme ont trouvé le secret de varier l’infini, de mettre l’enchantement dans le fond même de la vie. » Lettre XIII, Renée à Louise, page 113.
« Comment, ma chère, dans l’intérêt de ta vie à la campagne, tu mets tes plaisirs en coupes réglées, tu traites l’amour comme tu traiteras tes bois ! Oh ! j’aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon coeur que de vivre dans la sécheresse de ton arithmétique. » Lettre XV, de Louise à Renée, page 115.
« Puis, une fois seule, je suis retombée dans l’enfer des hypothèses, dans le tumulte des soupçons. Par moments, la certitude d’être trahie me semblait être un baume, comparée aux horreurs du doute ! Le doute est notre duel avec nous-mêmes, et nous nous y faisons de terribles blessures. » Lettre LIV, de Louise à Renée, page 284.
Message édité : coming out de spoiler !
Mon avis :
Honoré de Balzac a choisi, pour faire vivre ses héroïnes, la forme épistolaire, qui nous plonge à la fois dans la vie de ces toutes jeunes filles sortant du couvent, et dans leurs destinées de femmes, d’épouses, de mère seulement pour Renée, et à la fois dans leur relation, le plus souvent à distance, mais avec constance dans leur amitié. Ce pacte d’amitié permet d’ailleurs à mon sens un pacte de franchise et d’honnêteté – on ne déguise pas ses sentiments à une amie de coeur, et on fera des efforts pour rester lucide sur soi-même.
Ainsi, Louise reprend sa place dans une famille bien en cour, qui veut bien d’elle - elle a hérité de sa grand-mère et a donc ses revenus personnels – mais lui fait comprendre qu’en quelque sorte « cela va être compliqué » pour la doter. Ses frères ont leur situation à établir, et elle passera après. Elle va découvrir le monde, mais n’y trouve personne à la hauteur de ses aspirations en amour, jusqu’au jour où un mystérieux maître d’espagnol entre dans sa maison pour lui prodiguer des leçons, en vue d’accompagner son père en ambassade en Espagne…
Renée, pour elle, a moins de chance : elle vit en province, et il est évident qu’on ne pourra la doter pour faire un mariage selon ses souhaits, et ses ambitions. A-t-on vraiment le loisir d’avoir des projets en amour lorsque le choix se résume entre accepter un mariage arrangé ou retourner au couvent ? Alors, oui, Renée va mettre en place des stratégies, mais aussi s’attacher à son mari Louis, en être aimée, et se réaliser pleinement dans son rôle de mère, connaître un vrai bonheur et une vie douce et paisible, avec les seuls « accidents domestiques » de sa vie de mère, pleinement impliquée dans l’éducation de ses enfants.
Il est prévisible que le lecteur ou la lectrice réagisse diversement à cette lecture selon le moment de sa vie, mais il est également très certain qu’il y a toutes les chances pour que des personnages, que ce soit une des jeunes filles ou des hommes qu’elles aiment, lui/nous rappellent des personnages connus, aimés, dans notre propre vécu, et que cette lecture en devienne très habitée, incarnée.
Le roman m’a fait l’effet de démultiplier les points de vue sur la condition des femmes, sur leurs choix en amour, et surtout, sur les moments où elles ne choisissent plus, mais se laissent aller avec ivresse à la passion. En amour, faire un choix relève-t-il encore du domaine de l’amour ? Il n’est pas surprenant que George Sand, à qui Balzac a dédié ce roman, lui ait ensuite écrit « il faut, mon cher, que vous ayez un souvenir d’existence antérieure où vous auriez été femme et mère. »
Au-delà de l’opposition entre Louise et Renée, le roman pose la question la plus essentielle et brûlante, toujours actuelle : que faut-il « faire » de sa vie ? Jusqu’où devons-nous en assurer le contrôle, intervenir énergiquement pour la bâtir ? Quelle liberté garder, et, puisque nous sommes au début du 19ème siècle : quel espace intérieur préserver pour être libre dans sa tête et dans son coeur en tant que femme ? Mais finalement, n’est-ce pas aussi encore actuel ?
Pour un lecteur de l’époque moderne, il est fascinant de constater que Balzac présentait déjà les questions les plus « chaudes » sur l’amour : comment préserver le désir, garder du mystère dans sa vie de couple pour ne pas appesantir le quotidien ? Peut-on être aimé si l’on aime soi-même ? En amour, les deux aiment-ils autant et de la même façon ? Peut-on « perdre » en amour ?
Mais encore : faut-il garder celui qu’on aime pour soi et créer une sorte d’utopie où l’on est seuls au monde, à deux, se nourrissant seulement de la présence de l’être aimé et de la nature ? Ou faut-il s’ouvrir au monde, faire naître des enfants, les élever pour les lancer à leur tout dans le monde ? Comment accepter, assumer l’impossibilité d’avoir des enfants ? Que devient la femme avec l’âge (après 30 ans, selon Balzac) ? Que faire de la jalousie et de la possessivité ?
Enfin, il est un personnage qui m’a touchée, c’est le baron de Macumer, Felipe, le premier mari de Louise, le Grand d’Espagne (ancien ministre) déchu, mais toujours si noble, fier, magnifique dans son attitude, devenu humble devant celle qui est tout pour lui, parce qu’elle l’a regardé et l’a éveillé à l’amour, alors qu’il était déjà un homme mûr. C’est aussi le seul défaut que je trouve à ce roman : même si Balzac ne fait pas de cadeaux à Louise, il a tout de même un peu trop « pris son parti », jusqu’à introduire un déséquilibre dans sa manière de peindre la vie des deux côtés. Il « défend » bien Renée, mais n’y met pas autant de couleurs, son univers est un peu pâle (sinon pour les enfants), et Louis est assez falot, on n’en sait pas grand-chose.
C’est la raison pour laquelle je vote « beaucoup apprécié », avec 4,5/5.
Remarque : l’appareil du paratexte est bien conçu dans l'édition Folio : la Préface est intéressante (mieux vaut la lire après toutefois), et j’ai lu avec plaisir les appendices, notamment la biographie de l’auteur et les lettres autour de George Sand, et leur amitié.
Extraits :
« Louis en est aux premiers transports, je l’attends à cette égale et continue sensation de bonheur que doit donner un heureux mariage quand, sûrs l’un de l’autre et se connaissant bien, une femme et un homme ont trouvé le secret de varier l’infini, de mettre l’enchantement dans le fond même de la vie. » Lettre XIII, Renée à Louise, page 113.
« Comment, ma chère, dans l’intérêt de ta vie à la campagne, tu mets tes plaisirs en coupes réglées, tu traites l’amour comme tu traiteras tes bois ! Oh ! j’aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon coeur que de vivre dans la sécheresse de ton arithmétique. » Lettre XV, de Louise à Renée, page 115.
« Puis, une fois seule, je suis retombée dans l’enfer des hypothèses, dans le tumulte des soupçons. Par moments, la certitude d’être trahie me semblait être un baume, comparée aux horreurs du doute ! Le doute est notre duel avec nous-mêmes, et nous nous y faisons de terribles blessures. » Lettre LIV, de Louise à Renée, page 284.
Message édité : coming out de spoiler !
elea2020- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 5875
Age : 56
Localisation : 44
Emploi/loisirs : enseignante en reconversion
Genre littéraire préféré : dystopies et classiques, littérature russe
Date d'inscription : 02/01/2020
Re: [Balzac, Honoré (de)] Mémoires de deux jeunes mariées
Lu dans le cadre de la lecture commune Mai /Juin 2020
Honoré de Balzac nous décrit à travers les échanges de lettres de ces deux amies des choix de vie differents mais assumés comme si l'opposition de leur conditions de vie mettait en lumiere les points positifs et négatifs de part et d'autre.
Il m'a semblé que ce livre est une étude sociale sur la place de la femme à cette époque. Quelques soit le choix de vie, la franchise entre les deux amies est de mise.
J ai apprécié ce roman.
Honoré de Balzac nous décrit à travers les échanges de lettres de ces deux amies des choix de vie differents mais assumés comme si l'opposition de leur conditions de vie mettait en lumiere les points positifs et négatifs de part et d'autre.
Il m'a semblé que ce livre est une étude sociale sur la place de la femme à cette époque. Quelques soit le choix de vie, la franchise entre les deux amies est de mise.
J ai apprécié ce roman.
pétunia- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 1939
Localisation : Var
Genre littéraire préféré : Un peu de tout sauf la poesie et les BD
Date d'inscription : 18/01/2018
Sujets similaires
» BALZAC, Honoré (de)
» [Balzac, Honoré (de)] Le Réquisitionnaire
» [Balzac, Honoré de] Sarrasine
» [Balzac, Honoré (de)] Adieu
» [Balzac, Honoré (de)] Les Chouans
» [Balzac, Honoré (de)] Le Réquisitionnaire
» [Balzac, Honoré de] Sarrasine
» [Balzac, Honoré (de)] Adieu
» [Balzac, Honoré (de)] Les Chouans
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum