[Camus, Albert] L'Etat de siège
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[Camus, Albert] L'Etat de siège
L'Etat de siège
Albert Camus
Folio théâtre, Gallimard
152 pages
ISBN : 2-07-040036-0
Albert Camus
Folio théâtre, Gallimard
152 pages
ISBN : 2-07-040036-0
Résumé de couverture :
Dans la moins connue de ses pièces, Camus raconte l'apparition de la peste dans une ville maritime, mais le protagonistes ne ressemblent guère à ceux du roman. Notre XXe siècle est le siècle de la peur, écrivait Camus en 1946. C'est le fil directeur de l'oeuvre. Qu'est-ce qui peut vaincre la peur, sinon l'amour ? C'est-à-dire, dans un contexte politique, la solidarité. Car la pièce est une allégorie de l'Occupation, de la dictature, des totalitarismes. Par là, elle n'a rien perdu de son actualité. Elle montre en effet comment une collectivité (et non un individu, comme dans Caligula) réagit face au malheur. Elle est écrite dans un style lyrique, qui chante l'amour, la solitude de l'homme face à son destin, la communion d'une cité.
Mon avis :
La pièce, préfacée par Pierre-Louis Rey (universitaire qui a rédigé plusieurs ouvrages sur Camus), est liée au roman La Peste par le thème, mais n'en est pas une adaptation. A Cadix, dans une temporalité non définie, survient une mystérieuse maladie, après le passage d'une comète. La pièce se divise en trois parties, et les personnages sont plus allégoriques qu'ils ne sont individuels : on peut toutefois distinguer le couple d'amoureux, Victoria et Diego (Victoria est la fille du Juge), la Peste, un obscur fonctionnaire dictatorial qui vient instaurer l'état de siège dans la ville, et se fait remettre la direction de la ville par les alcades (dirigeants municipaux), la secrétaire, une figure de la Mort, et Nada, l'ivrogne nihiliste qui devient parfait fonctionnaire.
La maladie survient en plein été, alors que sur le marché les fruits de la saison abondent... mais peu à peu, suite à des coups frappés, les cadavres s'entassent et la charrette des morts fait son triste office. Les hommes tentent de survivre, ayant perdu l'occasion de s'enfuir vers la mer, une fois que les portes de la Ville se sont refermées. L'air devient irrespirable, le peuple est bâillonné, au sens propre, puisqu'il lui faut porter un bâillon devant la bouche pour ne pas être contaminé. Un maigre espoir survit de voir se lever de la mer un vent qui nettoie l'atmosphère, tandis que dans les souffrances du peuple pour qui il veut se sacrifier, Diego résiste et défie la Secrétaire (qui raye les noms sur son calepin), puis la Peste. C'est en faisant fi de sa vie qu'il défendra la liberté individuelle la plus apte à contrer la dictature, celle de l'amour...
La pièce est un peu difficile à lire, car assez abstraite, et dans un langage lyrique qui n'est pas sans rappeler celui de Federico Garcia Lorca. L'individualité des personnages n'est pas très définie, ils forment plutôt des types, faisant se dresser peuple contre bourgeois dirigeants, libertaires contre fonctionnaires, force de vie contre pulsion de mort. La Peste et sa précieuse auxiliaire, la Secrétaire, font le compte des morts et allèguent la toute-puissance de l'organisation, et de l'ordre. Je ne me risquerai pas à faire un parallèle avec la situation actuelle, mais il est vrai que pour l'époque (1948), cette description d'une pandémie outil de la domination d'une caste, et de l'écrasement du peuple sous une routine de travail exténuante pour empêcher toute velléité de liberté individuelle et collective, est pour le moins troublante, voire dérangeante.
J'ai toutefois apprécié cette pièce qui, comme toutes les oeuvres de Camus, doit, devra très certainement être relue pour en extraire tout le sens... La langue est belle, pure et évocatrice de lumière, de chaleur, de relief. Camus dans son texte donne toute sa place à la fraternité et à l'amour, à tout ce qui rend la vie belle et fiévreuse, comme une résistance qui sera toujours triomphale et porteuse d'espoir. L'absurde est bien présent, mais teinté d'humanisme - un absurde qui aide d'autant mieux à vivre, malgré sa part sombre... et peut-être aussi grâce à sa part sombre.
Citations :
"Votre honneur, l'épidémie se déclenche avec une rapidité qui déborde tous les secours. Les quartiers sont plus contaminés qu'on ne croit, ce qui m'incline à penser qu'il faut dissimuler la situation et ne dire la vérité au peuple à aucun prix. Du reste, et pour le moment, la maladie s'attaque surtout aux quartiers extérieurs qui sont pauvres et surpeuplés. Dans notre malheur, ceci du moins est satisfaisant." (premier alcade, p. 61)
"Notre conviction, c'est que vous êtes coupables. Coupables d'être gouvernés naturellement. Encore faut-il que vous sentiez vous-mêmes que vous êtes coupables. Et vous ne vous trouverez pas coupables tant que vous ne vous sentirez pas fatigués. On vous fatigue, voilà tout. Quand vous serez achevés de fatigue, le reste ira tout seul." (la Secrétaire, page 102)
"Ce n'est pas un hasard, femme. Il s'agit ici de faire en sorte que personne ne se comprenne, tout en parlant la même langue. Et je puis bien te dire que nous approchons de l'instant parfait où tout le monde parlera sans jamais trouver d'écho, et où les deux langages qui s'affrontent dans cette ville se détruiront l'un l'autre avec une telle obstination qu'il faudra bien que tout s'achemine vers l'accomplissement dernier qui est le silence et la mort." (Nada, page 112)
"Oui ! J'ai bien compris votre système. Vous leur avez donné la douleur de la faim et des séparations pour les distraire de leur révolte. Vous les épuisez, vous dévorez leur temps et leurs forces pour qu'ils n'aient ni le loisir ni l'élan de la fureur ! Ils piétinent, soyez contents ! Ils sont seuls malgré leur masse, comme je suis seul aussi. Chacun de nous est seul à cause de la lâcheté des autres." (Diego, page 145)
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