[Carrière, Jean-Claude] La Controverse de Valladolid

Résumé de couverture :
En 1550, une question agite la chrétienté : qui sont les Indiens ? Une catégorie d'êtres inférieurs qu'il faut soumettre et convertir ? Ou des hommes, libres et égaux ?

Un légat envoyé par le pape doit en décider. Pour l'aider, deux religieux espagnols. Tout oppose Ginès de Sépulvéda, fin lettré, rompu à l'art de la polémique, et Bartolomé de Las Casas, prêtre et homme de terrain ayant vécu de nombreuses années dans le Nouveau Monde. Le premier défend la guerre et son cortège d'atrocités au nom de Dieu. Le second lutte contre l'esclavage des Indiens. Un face à face dramatique dont l'écho retentit encore.

Mon avis :
Ce roman met en scène, d'une manière extrêmement fluide, tendue et passionnante, la célèbre controverse qui devait faire le point sur la nature des Indiens d'Amérique du sud, afin de faire cesser les massacres perpétrés par les conquistadors ou de se donner bonne conscience en déclarant que les Indiens étaient de nature inférieure, faits pour être dominés.

Dans un monastère espagnol, en présence des moines et du légat du Pape, le cardinal Roncieri, fin stratège et esprit subtil, rompu à toutes les négociations, s'opposent Bartolomé de Las Casas, le dominicain aventureux, homme d'action et de contact, qui défend les Indiens, et Sepulveda, le logicien, pour qui un discours bien construit est tout, et l'art de persuader fonde le pouvoir ultime.

A ces discussions assistent également un Grand de la Cour d'Espagne, plutôt distant et renfrogné, deux propriétaires terriens du Mexique qui ont fait le voyage tout exprès, d'abord cachés puis autorisés à écouter les débats, un Franciscain qui a vécu près des Indiens. On y verra passer également un petit groupe d'Indiens qui sera étudié de près, une idole de pierre, le serpent à plumes Quetzacoatl, des bouffons de la Cour d'Espagne...

L'action est concentrée sur trois jours, durant lesquels les arguments sont avancés, chacun avec son style, le pouvoir de la conviction change parfois de camp, et le cardinal ne facilite pas les choses avec ses surprises, et cet art de la dissimulation qu'il maîtrise à la perfection. Las Casas expose les tragiques exactions commises sur les Indiens, les massacres de masse, les tortures, les conversions forcées, et regrette la destruction de leur culture, leur art, leurs récits. Pour Sepulveda, Dieu a guidé la découverte de l'Amérique, et les Indiens étaient faits pour être dominés, car barbares. La preuve ? Les sacrifices humains, bien sûr !

Je ne donnerai bien sûr pas d'indices sur l'issue de la controverse, car c'est une claque monumentale qui nous attend, une vraie chute. L'écriture est d'une pureté travaillée, d'une simplicité d'où ressort le caractère généreux, passionné, de Las Casas pour qui on se prend d'admiration. Les implications philosophiques, quoique clairement présentées, dans un langage des plus accessibles, donnent le vertige, car il s'agit du destin d'un continent, d'un peuple entier, et en même temps de ce qu'est l'humanité, sous ses traits les plus sombres ou les plus fraternels. C'est l'éternelle curiosité de l'homme pour l'homme, l'éternel appât du gain qui dévoie tout, l'éternel choix entre le Bien et le Mal.

Je vais voter coup de coeur, mais c'est aussi un essentiel, de ces livres qu'on a envie de relire à peine refermés, pétris d'humanité, et qui rendent intelligent.

Extraits :
"(...) parmi tous les droits du vainqueur on trouve aussi celui de raconter." (page 26)

"Il est rare que ceux qui établissent des catégories sociales entre les hommes se rangent eux-mêmes sur les plus bas degrés de l'échelle." (page 98)

"Par-dessus tout, se demande-t-il [Las Casas], est-ce que j'ai su les toucher ? Est-ce que j'ai pu remuer quelque chose dans leur poitrine, dans leur sang ? Car la seule façon de sortir du couloir est d'en percer le mur, pour y faire entrer la lumière. Pour percer le mur, seule l'émotion." (page 192)

"Il [Sepulveda] est certain que, dans la salle même où il parle, comme il a pu s'en rendre compte à plusieurs reprises, la majorité des assistants préférerait au fond que les choses ne changent pas, qu'elles restent comme toujours, qu'une partie de l'humanité continue à dominer et à exploiter comme bon lui semble l'autre partie (la plus nombreuse), en vertu d'un ordre ancien, d'un ordre acquis, dont on peut dire en tout cas qu'il est naturel, sinon divin." (page 194)

Merci Elea pour ta très belle critique, je le note avec empressement  

@Louloute, curieusement c'est un roman autour d'un dialogue philosophique, mais tout est action, c'est très "dramatique" (au sens théâtral). Je dirais qu'il faut simplement quelques connaissances historiques - et encore, il rappelle habilement beaucoup d'événements... Je pense qu'il devrait te plaire.

Ce livre doit traîner quelque part chez moi, mon fiston a dû le lire pour le bac français, je crois (en première technologique). Je ne crois pas qu'il l'ait lu d'ailleurs et moi non plus. Ca a l'air vachement rébarbatif tout de même ...
Sinon, je me souviens du nom de Las Casas, défenseur des Indiens d'Amérique, un pionnier, en fait. J'ai entendu parler de lui à la fac, dans le temps...

Woaw tu l'as tenté ! Il traîne dans ma PAL aussi ! 
J'ai peur de me plonger dedans, néanmoins, avec ta critique, il me semble beaucoup plus intéressant ! Merci ma belle

Je ne l'ai pas trouvé du tout rébarbatif, maintenant c'est vrai que l'intrigue n'est pas liée à l'affectivité des personnages.

Il n'est pas long à lire non plus. J'espère que vous l'apprécierez si vous l'essayez, mais on n'a pas toujours les mêmes goûts. Merci les filles !