[Chang Kang-Myoung] Generation B
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[Chang Kang-Myoung] Generation B
Generation B
Chang Kang-Myoung
Traduit du coréen par Hwang Jihae et Véronique Cavallasca
Decrescenzo éditeurs
Juin 2019
225 pages
ISBN : 978-2-36727-072-2
Chang Kang-Myoung
Traduit du coréen par Hwang Jihae et Véronique Cavallasca
Decrescenzo éditeurs
Juin 2019
225 pages
ISBN : 978-2-36727-072-2
Résumé de l'éditeur :
Un groupe de jeunes étudiants s'appliquent à franchir les étapes selon le modèle normatif de réussite en Corée : intégrer l'une des meilleures universités puis un grand groupe comme Samsung. Mais cette génération subit un monde dans lequel les grands rêves d'autrefois n'ont pas d'équivalent aujourd'hui... Lorsque le succès leur tendra enfin les bras, la machine s'emballera : sur un site baptisé whydoyoulive.com, des vidéos de suicides sont publiées selon un agenda bien précis. Le site internet gagne en audience et bientôt le phénomène se propage comme une traînée de poudre...
Dans son roman à mi-chemin entre le polar et le livre de société, l'écrivain Chang Kang-Myoung fait un portrait sans complaisance du système éducatif coréen, présenté comme un modèle mondial.
Mon avis :
J'ai beaucoup apprécié cette lecture comme telle, la trouvant prenante et bien menée. Toutefois, étant donné le sujet délicat, une vague de suicides planifiés chez les jeunes, on ne peut que se poser des questions supplémentaires sur le propos de l'auteur, ainsi que sur l'éthique de son approche. Le fait que ma fille de 18 ans l'ait choisi d'instinct parmi d'autres n'y est sans doute pas étranger.
Un groupe de jeunes étudiants à l'université A de Séoul se regroupe : tous ont en commun de complexer par rapport à leurs études (l'université A n'est pas un premier choix), et de ressentir un certain découragement quant à leur avenir. Pour eux, l'horizon est bouché, ils sont condamnés à devoir s'insérer dans un monde professionnel où les meilleures places sont prises, où ils devront subir avec hypocrisie la pression sociale, la rude compétition, et les prérogatives des aînés. Dans ce groupe de 5 jeunes, les caractères sont différents, les problématiques aussi, mais tous ont en commun leur relation avec Seoyon, dite Jackie, très belle jeune fille, très douée, mais totalement nihiliste et plutôt instable psychologiquement, terriblement manipulatrice. Ce n'est pas une personne des plus recommandables, en ce sens où elle rêve d'accomplir un grand projet, qui la rende l'égale de Charles Manson (oui, quand on a ces références, on peut dire que ça s'engage mal), moyennant qu'elle convainque quelques-uns de ses amis de se suicider cinq ans après elle, pour assurer la réussite de son site dédié aux Déclarations de suicide, whydoyoulive.com.
Au fil des années, nous suivons plusieurs d'entre eux : le narrateur à la première personne, qui répond au surnom d'Antéchrist, sa petite amie Chu, avec qui il vit une relation conflictuelle et compliquée (Seyeon les a littéralement jetés dans les bras l'un de l'autre), Hwiyeong ou Socrate, Byeonggwon ou Zapruder. Après la mort par suicide de Seoyon, ils reçoivent par mail un envoi planifié : deux mystérieux dossiers, dont l'un est codé, et les noms de tous ceux qui sont concernés. Ils n'en connaissent pas 3 d'entre eux.
Chacun cherche à faire son chemin dans la vie, insatisfait, traînant ses désillusions : le narrateur a tenté plusieurs fois le concours de fonctionnaire de 7ème catégorie (autant dire que ce n'est pas glorieux), poursuivi par des problèmes d'argent et en proie à ses addictions, l'alcool entre autres ; Hwiyeong de son côté est devenu journaliste et peine à trouver de la considération dans son emploi. Ils se retrouvent de temps en temps pour manger et surtout boire ensemble, et commencent à enquêter lorsque le site est dévoilé, en même temps qu'ils apprennent avec les années le suicide de plusieurs d'entre eux, bien qu'ils cherchent à empêcher chacun. Dans ce bras de fer, qui aura le dernier mot ? Parviendront-ils tous deux à ne pas honorer une promesse d'étudiant, à trouver des raisons de vivre ?
Ce roman me laisse plutôt désarmée, en ce qu'il reflète des façons de vivre, de penser, qui m'ont paru parfois radicalement différentes des nôtres, parfois terriblement proches. Les problèmes humains sont similaires sous toutes les latitudes, leur intégration dans un contexte social est tributaire de la culture du pays. J'ai beau être de plus en plus familière avec la culture coréenne, ou plutôt ce qu'elle veut bien nous montrer, je n'ai pu que constater mon insuffisance à pleinement comprendre les enjeux philosophiques du roman. Car il est bien évident que l'auteur crée un environnement pour nous présenter différentes options. L'aspect le plus évident, la première strate, c'est la dénonciation de la société hyper-compétitive, dont le premier credo est "défoncez-vous au travail pour vous faire une place au soleil". A travers Seyeon, il amène une vision particulière de la "Grande Société Blanche", qui "blanchit", efface tout ce qui dérange, dépasse, et uniformise les comportements et les réponses. En cela, les Déclarés, ceux qui annoncent publiquement leur suicide avant de le réaliser, si possible filmé en ligne, apportent une réponse radicale, un refus que la société ne pourra pas supprimer ou édulcorer. Le projet est ambitieux, calculé en tout, et en voie de réussir de manière éclatante. Le roman au présent est émaillé des textes de Seyeon sous forme de journal, ou de ses analyses et articles sur le site, définissant son projet. On peut s'arrêter à cette vision romantique et nihiliste, mais là n'est pas le propos de l'auteur. Il est évident que Seyeon, aussi triste que soit son destin, était une manipulatrice quelque peu sociopathe ; la question qui se pose est aussi "comment contrer la Déclaration ?"
Et c'est ici que le roman, s'il a commencé d'une manière un peu trop démonstrative, devient touchant, car les deux protagonistes, Hwiyeong et le narrateur, ont fort à faire avec leur propre vie, pas loin d'être ratée, mais tentent de s'opposer, de sauver ce qui peut encore l'être, de retrouver les membres un par un pour obtenir des réponses. Il plane sur ce roman une tristesse douce-amère palpable, la désillusion d'une génération, et pourtant tout n'est pas perdu, on veut y croire, la vie peut revêtir parfois les couleurs d'une promenade le long du fleuve Han, et la force de l'écriture de Chang Kang-Myoung, sa finesse au scalpel qui se découpe sur la géographie urbaine de Séoul, n'est pas des moindres.
Je vote un bon 4,5/5.
Citations :
"Si l'espérance de vie était la même qu'à cette lointaine époque, vingt, trente ans, finalement, on n'aurait pas le temps d'avoir des angoisses existentielles !"
Antéchrist s'était fait extraire deux dents de sagesse quand il était lycéen et il avait été opéré de l'appendicite lors de son service militaire. S'il était né cent ans plus tôt, il aurait passé tout ce temps à souffrir de ses dents de travers pour mourir d'une appendicite vers 20 ans. Si on savait qu'on a que vingt-cinq ou vingt-huit ans devant soi, est-ce qu'on ne vivrait pas plus intensément, sans se soucier du devoir de bien mourir ? (page 40)
Pourtant, pourquoi nos objectifs nous semblent-ils si insatisfaisants ? C'est parce que nous savons bien au fond de nous qu'ils sont minables. Les grands desseins n'ont besoin de rien de plus pour déchaîner les passions, ils se suffisent à eux-mêmes. Avoir un bon métier ou faire un enfant, ces deux objectifs-là n'ont pas cette dimension. (page 51)
J'ai reçu mon contrat d'embauche chez Samsung Electronics. Je dois commencer à y travailler dès l'année prochaine. Si je me suicide durant ma carrière professionnelle, les gens vont croire que c'est à cause d'une inadaptation au travail, ou d'une dépression. Mon plan doit être exécuté quand je ne peux être suspectée du moindre regret. (page 69)
Malgré tout, il serait faux de dire que Jackie n'a pas reconnu ses "disciples". Socrate, Zapruder, Antéchrist, Ruby, Harvey, Jerry et mary avaient tous des dispositions. Assez innocents pour sacrifier les promesses de leur avenir personnel pour une cause à laquelle ils croyaient, et suffisamment intelligents pour douter de la valeur de la Réussite, but suprême de la société coréenne du XXIe siècle.
Ils étaient assez sensibles pour percevoir la contradiction entre cette réussite-là et leurs propres aspirations, et enfin, tous assez jeunes et déterminés pour tenter l'impossible pour résoudre cette contradiction néfaste. (page 82)
Je suis une future sainte qui saisit la chance de mourir en martyre. Cette mort complètera ma vie. Elle sera bien plus significative que la mort de n'importe quel poète ou d'une quelconque rockstar. Pourquoi devrais-je sacrifier cette chance ? Si, en attendant une autre occasion, je suis usée par les vicissitudes de la vie et finis par me transformer en quelqu'un d'autre, c'est aussi une autre forme de mort. Je préfère mourir quand j'ai les nerfs à vif. (page 101)
Dernière édition par elea2020 le Dim 22 Aoû 2021 - 0:34, édité 2 fois
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Chang Kang-Myoung] Generation B
Merci Elea pour ta critique
louloute- Grand sage du forum
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Emploi/loisirs : mère au foyer
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