[Sophocle] Les Trachiniennes
2 participants
Page 1 sur 1
Quel est votre avis sur cette pièce ?
[Sophocle] Les Trachiniennes
Les Trachiniennes
Sophocle
Folio classiques - Gallimard
Traduction de Paul Mazon
Les Belles Lettres, 1962 (pour la traduction)
Sophocle
Folio classiques - Gallimard
Traduction de Paul Mazon
Les Belles Lettres, 1962 (pour la traduction)
Résumé (source Actes sud) :
A Trachis, Déjanire, prévenue par son fils Hyllos du retour de son mari Héraclès, est folle de joie. Ce sentiment s’estompe et se transforme lorsque Lichas, messager et compagnon d’Héraclès, lui apprend que ce dernier est accompagné par la jeune Iole pour laquelle il brûle. Folle de jalousie, elle fait envoyer à Héraclès une tunique trempée dans le sang de Nessos pensant ainsi se garantir l’amour d’Héraclès.
- Spoiler:
- Mais le sang est empoisonné, et au lieu de raviver son amour pour elle, elle le condamne à une mort lente. Apprenant l’événement, elle se suicide alors que son époux arrive à Trachis. Une tragédie où la force de l’amour est bien au-delà de la jalousie.
Mon avis :
C'est pour moi une belle découverte que cette tragédie de Sophocle, première dans l'édition complète des tragédies - j'étais partie pour relire Antigone et découvrir Œdipe-Roi, je lirai tout simplement tout, tant j'ai aimé replonger dans ces tragédies antiques qui n'ont rien à envier en force dramatique à Shakespeare, et en modernité à notre théâtre contemporain. C'est tout simplement universel...
Sophocle part ici d'un mythe : celui de la fin d'Héraclès (Hercule), demi-dieu aux exploits prodigieux, fils de Zeus et d'Alcmène, telle que cette fin a été annoncée par la prophétie de Dodone. Le début de la pièce suit un schéma un peu similaire à l'Odyssée, dans la mesure où le retour d'Héraclès est annoncé à sa famille après 15 ans, et où sa femme, Déjanire, envoie son fils Hyllos à la rencontre de son père. Les conditions du retour d'Héraclès au domicile familial sont assez obscures : il vient de gagner une guerre contre Eurysthée, guerre qu'on peut attribuer à une vengeance après les 12 travaux, puis sa captivité chez Omphale, reine de Lydie, et il se trouve en train de sacrifier en l'honneur des dieux.
Toutefois, Déjanire reçoit de Lychas, envoyé de son époux, un cadeau empoisonné : les captives obtenues comme butin de guerre suite à la défaite d'Eurysthée. C'est que la femme d'Hercule va comprendre peu à peu que l'une d'elles, une belle jeune fille du nom de Iole, est la princesse, fille d'Eurysthée, pour qui Héraclès a provoqué cette guerre. Elle n'est ni plus ni moins qu'une seconde épouse que Déjanire devra désormais accepter "sous la même couverture". Déjanire essaie de faire contre mauvaise fortune bon cœur, d'accepter la situation, mais ses angoisses et mauvaises pensées prennent le dessus - elle doit réagir, faire quelque chose pour conserver l'amour d'Héraclès et son statut d'épouse, et non de femme vieillissante reléguée à l'indifférence. Et justement, elle a dans ses coffres une tunique imprégnée du sang de Nessos, le Centaure tué par Héraclès, tunique qui, à en croire le Centaure lui-même, ferait l'effet d'un puissant filtre d'amour et lui rendrait celui de son mari intact comme au premier jour. Tiens donc... Cadeau empoisonné contre cadeau empoisonné : ce troc aurait-il restauré l'équilibre des forces ? Nous savons bien que dans une tragédie, les efforts des humains ne feront que réaliser les intentions des Dieux, Déjanire va l'apprendre à ses dépens, comme Hyllos, puis Héraclès.
Si je n'ai pas été tout à fait entraînée par les déboires des personnages (quoique j'aie aimé cet environnement mythologique), j'ai trouvé fascinante la psychologie de Sophocle, la complexité des caractères et la perfection mécanique de l'enchaînement tragique des actions. Déjanire, pourtant touchée de pitié par le sort de captives qui n'ont rien demandé, reste pourtant ambivalente ; son amour déçu n'a d'égal que sa colère et sa frustration d'être ainsi ignorée par son époux, alors que son retour aurait dû être une fête. Le héros n'est-il pas d'ailleurs resté en arrière que pour faire régler ce problème en-dehors de sa présence, puis venir tranquillement récolter les fruits de sa victoire ? Il est tenu pour vrai par tous que Déjanire a été trompée par les paroles perfides de Nessos, mais... La colère, la vengeance, sont les thèmes qui sous-tendent fortement cette tragédie et, pour tout dire, n'entraînent que malheur sur malheur. Peut-être est-ce le message de Sophocle : une forme de tempérance des sentiments, bien vaine quand on sait que l'hybris, la démesure, était un crime puni par les Dieux. Héraclès ne moissonne-t-il pas ici que ce qu'il a semé, tout héros fabuleux qu'il soit ?
Du point de vue du style, cette pièce m'a été vraiment facile à lire, j'en ai apprécié la portée, la modernité, et d'une certaine manière la simplicité efficace. Les procédés théâtraux qui visent à nous apprendre ce qui est hors scène ou à donner des informations sur l'état d'esprit des personnages sont rodés, et donnent un grand naturel à l'action. La place du chœur n'a rien d'artificiel (d'ailleurs, c'est l'origine de ce chœur qui donne son nom à la pièce, puisque Déjanire vit à Trachis), et le coryphée trouve bien son rôle : ce pourrait être des suivantes, des femmes proches de Déjanire, et une femme un peu plus "savante" que les autres. Parfois, la justesse de leurs conseils ou interventions est soulignée par Déjanire comme une sagesse populaire qu'elle peut suivre en toute confiance. Certaines assertions prennent un sens universel que j'ai eu plaisir à relever en citations, et dont je me souviendrai, car ce sont un peu des "leçons de vie". Il va sans dire que je poursuis ma lecture des œuvres complètes. (4,5/5)
Citations :
DÉJANIRE : C'est une vérité admise depuis bien longtemps chez les hommes qu'on ne peut savoir, pour aucun mortel, avant qu'il soit mort, si la vie lui fut douce ou cruelle. (dicton attribué à Solon) Page 39.
DÉJANIRE : Mais les affres qu'éprouve mon cœur, puisses-tu pour les comprendre ne pas avoir à les subir, et les ignorer pour ton compte demain tout comme aujourd'hui ! La jeunesse grandit dans un domaine qui n'appartient qu'à elle, où ni l'ardeur du ciel ni la pluie ni les vents ne viennent l'émouvoir (...). Page 43.
DÉJANIRE : Une étrange pitié, mes amies, me pénètre, quand je vois là ces malheureuses, perdues en pays étranger, sans maison, sans famille. Nées de parents libres sans doute, les voilà aujourd'hui vivant des vies d'esclaves. Page 48.
DÉJANIRE : Nous voici donc deux désormais sous la même couverture à attendre qu'un homme nous prenne dans ses bras... Et c'est là le salaire que celui qui était pour moi le loyal, le noble Héraclès, vient de m'envoyer, pour la peine d'avoir si longtemps gardé sa maison ! Page 57.
LE CORYPHÉE : Nous voilà forcées, je l'avoue, de redouter d'affreuses choses. Cependant, il ne faut pas donner au pressentiment le pas sur l'événement.
DÉJANIRE : Quand on a formé des desseins honteux, il n'est pas de pressentiment qui vous puisse apporter la moindre confiance. Page 63.
LA NOURRICE : Il n'est pas de demain pour qui n'a pas déjà passé aujourd'hui sans accident. Page 69.
HYLLOS (à HÉRACLÈS) : Prête-moi donc l'oreille, si tu veux moins souffrir de la colère qui te pèse ; sinon, tu risquerais de ne pas savoir combien sont vains tes désirs de revanche, tout comme tes rancœurs. Page 74.
HYLLOS : Tout tient en un mot : elle a mal fait croyant bien faire. Page 75.
elea2020- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 5875
Age : 56
Localisation : 44
Emploi/loisirs : enseignante en reconversion
Genre littéraire préféré : dystopies et classiques, littérature russe
Date d'inscription : 02/01/2020
Re: [Sophocle] Les Trachiniennes
A une époque, j'étais en plein dans la mythologie.
J'ai beaucoup lu du théâtre antique, enchainant les tragédies grecques.
Je me rend compte que dans mes souvenirs, j'ai tout mélangé ... c'est qu'il faut reconnaitre, que c'est souvent embrouillé .
La sœur qui est aussi l'épouse de tel ou tel dieu mais aussi la fille d'un autre...
J'ai beaucoup lu du théâtre antique, enchainant les tragédies grecques.
Je me rend compte que dans mes souvenirs, j'ai tout mélangé ... c'est qu'il faut reconnaitre, que c'est souvent embrouillé .
La sœur qui est aussi l'épouse de tel ou tel dieu mais aussi la fille d'un autre...
DameLecture- Membre connaisseur
-
Nombre de messages : 341
Localisation : france
Date d'inscription : 12/06/2021
Re: [Sophocle] Les Trachiniennes
Oui, c'est vrai que les liens de filiation sont compliqués... Tout à l'heure, j'ai dû vérifier dans une autre lecture qui exactement était Oreste (on parlait des colères d'Oreste), fils d'Agamemnon et Clytemnestre, frère d'Électre...
elea2020- Grand sage du forum
-
Nombre de messages : 5875
Age : 56
Localisation : 44
Emploi/loisirs : enseignante en reconversion
Genre littéraire préféré : dystopies et classiques, littérature russe
Date d'inscription : 02/01/2020
Sujets similaires
» [Sophocle] Antigone
» [Sophocle] Oedipe roi
» [Sophocle] Ajax
» [Méautis, Georges] Sophocle - Essai sur le héros tragique
» [Sophocle] Oedipe roi
» [Sophocle] Ajax
» [Méautis, Georges] Sophocle - Essai sur le héros tragique
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum