[Manook, Ian] L'oiseau bleu d'Erzeroum

Albin Michel   Avril 2021
ISBN 2226398996
544 pages

On parle peu du génocide arménien, dans les livres d'histoire et dans la mémoire collective. Peut-être parce qu'une page aussi brutale et incompréhensible ne veut pas être connue. Ian Manook a fait un choix courageux - inspiré par la biographie de sa grand-mère paternelle – en décrivant les cruautés dont sont capables les hommes au nom de la religion et du nationalisme.

Le roman commence en 1915 à Erzeroum, en Arménie turque, et suit deux sœurs : Araxie, dix ans et Haïganouch, six ans. Leur enfance insouciante est bouleversée en un jour ordinaire, lorsque les Kurdes et le parti "Jeunes Turcs", en charge du nettoyage ethnique arménien, attaquent leur maison et tuent brutalement leur mère. Haïganouch est également blessée, devenant aveugle à jamais. De là commence une série de vicissitudes qui bouleverseront à jamais leur existence et qui feront d'elles les témoins d'atrocités indicibles. Recueillies par leur oncle dans une ville voisine, elles font aussitôt partie du long cortège de déportés. Le « déplacement » de la communauté arménienne se soldera par d’innombrables morts : parmi ceux-ci, il y aura aussi tous les membres de la famille des deux fillettes. Elles sont cependant miraculeusement sauvées par une vieille dame et un homme bon, mais leur aventure ne fait que commencer : vendues comme esclaves, elles vont se retrouver dans un autre monde d'abus, de violence et de racisme.

Leur histoire n'est cependant pas la seule que nous suivons : en effet, leurs voix alternent avec celles d'autres personnages tout aussi forts et intéressants. Il y a Agop et Haigaz, de jeunes Arméniens qui s'enrôlent dans les rangs de la résistance pour survivre ; il y a Assina, épouse-enfant d'un Turc impitoyable ; il y a Christopher Patterson, un jeune et riche américain horrifié par les massacres ; et bien d'autres qui joueront un rôle dans la vie des sœurs.

L’ouvrage ne se cantonne pas au récit de la destruction d'un peuple. Il parle aussi de l'imbrication de vies et d'histoires qui se poursuivent et parfois s'unissent, prétexte à l’analyse des parallélismes entre ce qui s'est passé en Turquie, en Allemagne et en Russie à cette époque. C'est une histoire d'horreurs mais aussi de résilience pour ces êtres qui s’accrochent résolument à la vie et qui n’ont de cesse de progresser coûte que coûte.

« L'Oiseau bleu d'Erzeroum » n'est pas toujours facile à lire, loin de là. Les premiers chapitres sont impitoyables, pleins de violence et de douleur. Manook ne nous épargne rien : dans ses mots on perçoit clairement le désespoir, la haine, la tragédie et la violence impitoyable. Une violence qui, à certains moments, vous coupe le souffle.

Comme je disais plus haut, l’auteur ne se cantonne pas au génocide arménien. Sur plus de 500 pages, on passe de la Turquie à la France, en passant aussi par les Etats-Unis, la Suisse et la Russie. Le travail de recherche que l'écrivain a effectué est minutieux. Il analyse chaque événement historique, non seulement ceux relatifs à l'effondrement de l'Empire ottoman, mais aussi ceux de l'Arménie soviétique et de la montée d'Hitler. Au fil des chapitres on voit les années s'écouler, jusqu'à arriver à ce qui sera la nouvelle page noire de l'histoire : le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

En plus de cela, Manook excelle dans la description du caractère des personnages : qu’il les aime ou les déteste, le lecteur ne peut rester indifférent. Araxie est évident la plus aboutie puisqu’elle est largement inspirée par sa grand-mère. Mais les autres sont aussi très intéressants et souvent touchants. Je citerai Agop qui a réussi à me faire rire, allégeant ainsi la lecture.

Avec une belle plume non entachée de fautes, je recommande ce roman à ceux qui veulent en savoir plus sur cette sombre parenthèse de l'histoire, à ceux qui aiment les romans historiques bien documentés, à ceux qui apprécient les sagas familiales et qui veulent un livre où l'amitié, la fraternité et l'amour peuvent aider à tout surmonter.

Une suite a été publiée en 2022 sous le titre " Le chant d'Haïganouch".

Merci Dulcie pour ta critique