[Grandes, Almudena] Les secrets de Ciempozuelos

J.-C. LATTÈS (20/04/2022)
EAN : 9782709668552
700 pages

Lu en espagnol, « La madre de Frankenstein » (version Kindle - 542 pages)

En faisant des recherches sur son œuvre, j’ai malheureusement découvert qu’Almudena Grandes est décédée le 27 novembre 2021, à 61 ans, emportée par un cancer.

Dans la saga monumentale débutée en 2010, « Episodios de una guerra interminable » soit « Episodes d’une guerre interminable », elle donne la voix aux vaincus de la guerre civile, et par une écriture toujours très documentée, revisite et ressuscite notamment l’histoire de l’après-guerre et du franquisme :
• Inés y la alegría (2010) - Inès et la joie (2012)
• El lector de Julio Verne (2012) – Le lecteur de Jules Verne (2013)
• Las tres bodas de Manolita (2014) – Les trois mariages de Manolita (2016)
• Los Pacientes del Doctor García (2017) – Les patients du Docteur Garcia (2020)
• La madre de Frankestein (2020) – Les secrets de Ciempozuelos (2022)
• Mariano en el Bidasoa, publié à titre posthume en 2022

Présentation de l’éditeur :

1954. Le jeune psychiatre Germán Velázquez revient en Espagne pour travailler à l’asile pour femmes de Ciempozuelos, à la périphérie de Madrid. Après avoir fui la victoire des nationalistes en 1939, Germán a vécu quinze ans en Suisse, chez un psychiatre juif lui-même en exil.
À Ciempozuelos, Germán retrouve une patiente qui l’avait fasciné, enfant, quand son père la soignait : Aurora Rodríguez Carballeira, paranoïaque qui a assassiné sa propre fille. Il y fait également la connaissance d’une aide-soignante, María Castejón, à qui doña Aurora a appris à lire et à écrire. Attiré par María qui le repousse, Germán la soupçonne de cacher de nombreux secrets.
Âmes-sœurs désireuses de fuir leurs passés respectifs, Germán et María aspirent à se donner une nouvelle chance, mais ils vivent dans un pays humilié, où les péchés deviennent des délits, et où la religion et la morale officielle camouflent abus et exactions.


J’avais beaucoup apprécié "Les Patients du Docteur Garcia" et mes attentes étaient donc exigeantes pour celui-ci. Alors disons qu’il n’atteint pas la même hauteur mais qu’il reste un livre passionnant, mêlant une fois de plus personnages réels et créations fictives.

L’histoire est racontée dans une alternance de chapitres, à la première personne, et à travers les voix très différentes des trois personnages principaux. Ainsi, ceux d'Aurora sont courts, seulement constitués du dialogue mental d'une femme qui passe par différentes humeurs en fonction de l'évolution de sa maladie. Ceux de Marie, chargés d'une simplicité et d'un amour pour les autres qui ne peuvent pas laisser indifférent. D'un autre côté, ceux de Germán sont beaucoup plus réfléchis, précis, nous exposant les faits qu'il vit ou a vécu.

Germán Velázquez :

A dix-neuf ans il quitte l'Espagne et va s’exiler en Suisse où il est accueilli par la famille du Dr Goldstein. Là, il réalise son rêve : devenir psychiatre. Puis, après quinze ans, il accepte une offre de retour en Espagne pour travailler dans l’asile pour femmes de Ciempozuelos. Il y sera en charge d'un programme pour étudier l'utilisation de la chlorpromazine, un médicament presque miraculeux pour cette époque et qui a changé le cours de la psychiatrie en permettant d’améliorer l’état des malades, notamment de schizophrènes. Ce personnage sert à montrer le retard scientifique et l'étroitesse d'esprit de l'Espagne de l'époque par rapport aux étrangers.
On découvre ainsi un homme exilé qui a du mal à vivre dans son pays d’origine, parce qu’il ne reconnaît pas.

Aurora Rodríguez Carballeira :

Malgré sa mégalomanie et sa maladie mentale, il est impossible de ne pas être fasciné par la figure d'Aurora. Elle a élevé Hildegart pour qu'elle devienne une fille modèle et une référence féministe, mais elle s'est sentie tellement déçue par cette jeune fille qui échappait à son contrôle qu'elle a décidé de la tuer. La fin de la vie d’Aurora a été librement reconstituée, mais tout ce qui est raconté est crédible.

María Castejón :

Un personnage inoubliable et attachant. Elle est aide-soignante à Ciempozuelos, où son grand-père travaillait comme jardinier. Elle a une relation très spéciale avec Aurora dont elle s’occupe depuis longtemps. Elle traite les patientes avec respect et affection.

À part Aurora, d'autres personnages authentiques apparaissent, comme le psychiatre Antonio Vallejo Najera ou un membre de l’Opus Dei, le cardinal Leopoldo Eijo Garay.
Pour les fictifs, et puisqu’il s’agit du cinquième opus, on retrouve Rita, épouse du Dr Garcia qui est ici la sœur de Germán et le Dr Garcia lui-même (deux petites apparitions).

Ce roman nous montre principalement que dans les années qui ont suivi la guerre civile, rien n'a été fait sans l'approbation d'une élite dirigeante dans laquelle l'influence de l'Église était omniprésente.
Bien sûr la vision féministe d'Almudena Grandes est présente, nous montrant que, si c'était déjà difficile pour de nombreux Espagnols par manque de perspectives et de liberté, pour les femmes c'était encore plus compliqué.
Une lecture à plusieurs niveaux, avec de nombreux thèmes, certains aussi révoltants que celui de l'eugénisme qui a occasionné tant de malheur à de nombreux Espagnols :

"Ravi de vous rencontrer", dis-je en serrant la main de l'idéologue de l'eugénisme fasciste espagnol, créateur de la théorie selon laquelle le marxisme était un gène pervers, intrinsèquement associé à l'infériorité mentale, qu'il fallait à tout prix extirper, en fusillant les « porteurs » et en leur enlevant leurs nouveau-nés pour les donner à des familles irréprochables, qui sauraient neutraliser leur terrible héritage génétique à travers une éducation religieuse et patriotique adéquate. (Page 67- Kindle) - (Ma traduction).

Merci Dulcie pour ta critique