[Guth, Paul] Lettre ouverte aux futurs illettrés
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[Guth, Paul] Lettre ouverte aux futurs illettrés
Lettre ouverte aux futurs illettrés
Paul Guth
Le Livre de poche
Albin Michel, 1980
218 pages
ISBN : 2-253-02751-0
Paul Guth
Le Livre de poche
Albin Michel, 1980
218 pages
ISBN : 2-253-02751-0
Résumé de couverture :
France, ton enseignement fout le camp !
Depuis des années l'école inflige à vos enfants un "génocide intellectuel". De toutes ses forces de toute son expérience de pédagogue, Paul Guth crie son indignation. Il dénonce le "lavage de cerveau" scolaire, cette amputation de la mémoire collective sans laquelle une nation ne peut subsister...
Mon avis :
De par la date de son pamphlet sur la réforme Haby, ainsi que le ton, avec ses expressions volontairement outrées, on se doute que Paul Guth dira pis que pendre de notre bonne vieille Éducation Nationale. Mais pourquoi aussi à partir de 1975, tout jeter à bas de l'enseignement traditionnel ?
La construction est limpide et ne posera pas de difficulté, sinon peut-être de devoir survoler les chapitres sur les domaines qui nous intéressent moins. Paul Guth commence, en s'adressant à un Jacques, élève de 3ème, par une description de la vie politique des "taupes" - c'est ainsi qu'il nomme les Français alors au nombre de 50 000 d'ailleurs. Il consacrera quatre autres parties à l'état général de la société selon lui : beaucoup de bruit, des songes creux, de la myopie alors qu'ils ont le nez sur des problèmes qui ne feront qu'empirer. Il nous aura auparavant raconté un peu sa vie, son expérience d'élève dans les années folles, puis d'enseignant, tout en parlant de la France, qui disparaît insidieusement en tant qu'"objet d'étude" des programmes. C'est une partie intéressante quoique grincheuse ; il faut aussi adhérer un minimum à certains constats, sinon on risque de bondir à chaque page, j'imagine. Disons pour le racheter qu'il a été en khâgne avec des auteurs de renom dont Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, mais aussi Robert Brasillach et Georges Pompidou ! Bref, il a l'expérience d'enseignant qu'il faut pour nous livrer les arcanes de ces changements de programme et de leurs dangers.
Alors certes, le discours "tout fout le camp", "on nous fabrique des imbéciles" n'est pas nouveau, mais force est de constater que cet émiettement des connaissances n'a pas donné plus d'assise - ni malheureusement de sens averti et réfléchi de la citoyenneté - aux collégiens et lycéens, ni ne les a rendus plus structurés et cohérents dans leur organisation mentale des connaissances. Supprimer les langues anciennes n'a pas libéré une parole poétique et créative (le maître mot de nos pédagogues et autres inspecteurs généraux) ; parcelliser l'apprentissage de l'Histoire en grands thèmes éclatés n'a pas fait jongler les petits mignons avec les dates, ne leur a pas insufflé une vision d'ensemble ; laisser les jeunes se saisir du matériel selon sa subjectivité et explorer les possibles en art plastique n'a pas ramené le calme en cours de "dessin", bien au contraire... Pour qui connaît le système éducatif depuis longtemps, a vu les modes insipides se succéder, on ne peut se dire qu'une chose : rien n'a changé en fait, sinon le niveau des élèves qui chute encore et toujours. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est PISA.
C'est donc une lecture à la fois enrichissante, riche en réflexion, en "et si... ?" mais aussi souvent divertissante. L'essai n'est pas très long et se lit bien, même si l'auteur fait parfois des choix qui m'ont laissé dubitative : retranscrire un dossier sur l'Histoire paru dans un journal, ou encore partir dans une énième digression patriotique un peu réac (ça ne me gêne pas plus que ça), passer beaucoup de temps et donner un luxe de détails sur des points qui n'en demandaient pas tant... Quelques défauts à déplorer qui seront sans doute rédhibitoires pour une partie des lecteurs, mais tout de même une tonalité sympathique de par son amour des lettres et des langues anciennes, ainsi que de l'Histoire - sous ses airs bougons, nous avons affaire à un vrai généreux qui voulait le meilleur pour ses élèves. 3,5/5
Citations :
La loi primordiale de l'amour est l'émerveillement. L'extase mutuelle s'épanouit dans le silence des regards, la grâce des attitudes, le déroulement romanesque des propos. Toutes ces merveilles sont écrasées par les tapis de bombes de la sono. Dans ce déchaînement d'explosions, comment se parler, se regarder, s'effleurer des yeux et des mots, comment tisser les subtiles dentelles du flirt, héritier des cours d'amour ? (Page 31)
Le danger c'est de toujours mettre la charrue avant les bœufs. Il fallait d'abord t'enraciner sur un noyau solide de ta langue natale. En t'enseignant la langue écrite et en te lestant de latin, pour te maintenir sur ton centre de gravité. (...)
Ainsi procède-t-on pour le corps, plus sage que l'esprit, et dont on devrait écouter les leçons. (...)
Athlètes et danseurs se préparent d'abord longuement par des exercices de rigueur, sans rapport direct, semble-t-il, avec le numéro à exécuter. La danseuse se ploie dans d'interminables exercices à la barre avant de se changer en oiseau. Chaque jour, le pianiste et le violoniste les plus glorieux s'imposent des exercices infinis avant de se lancer dans Mozart ou Chopin. (page 69)
D'après Eugénie Grandet de Balzac, "étudiez un champ sémantique : polysémie du mot 'économie' (épargne, administration, organisation...)".
Je ne te vois pas labourant un "champ sémantique" avec ta charrue devant tes bœufs. En revanche, je te vois prendre la "polysémie" pour une maladie, genre septicémie. (page 72)
"La démocratie c'est la possibilité qu'on offre aux gens de faire un choix. Mais pour qu'ils puissent faire ce choix, encore faut-il qu'ils aient tous un minimum de connaissances leur permettant de se prononcer non par réaction passionnelle mais, autant que faire se peut, par raison."
André Bergeron (secrétaire général de FO), débat dans France-Soir sur l'histoire, 11 avril 1980. (page 163)
Les enfants ne savent plus jouer ni s'ennuyer. L'ennui était pour l'esprit l'équivalent de la jachère où la terre se repose avant de donner de plus riches moissons. (page 201)
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