[Eun, Hee-kyung] Secrets
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[Eun, Hee-kyung] Secrets
Secrets
Eun Hee-kyung
éditions Picquier
Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld le Brusq
2014 (2017 en poche)
288 pages
ISBN : 978-2-8097-1229-2
Eun Hee-kyung
éditions Picquier
Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld le Brusq
2014 (2017 en poche)
288 pages
ISBN : 978-2-8097-1229-2
Présentation de l'éditeur :
A la mort de son père, Yeongjun, cinéaste audacieux mais homme taciturne et sans attaches, revient dans sa ville natale qu'il a quittée il y a vingt-cinq ans. Il y rencontre son frère et apprend que sur son lit de mort, leur père les a chargés d'une étrange mission : vendre la maison de leur enfance et faire don du fruit de la vente à une inconnue.
Dès lors se lèvent les échos bruissants du passé, ranimant la violente rivalité des frères. Vérités et mensonges, secrets et malédictions, amours cachés et haines anciennes se révèlent un à un, tissant une toile d'une complexité fascinante.
Car que savons-nous de la vérité profonde des êtres qui nous furent proches, et même du cœur brûlant qui alimente notre propre volonté de vivre et d'aimer ?
Roman lu dans le cadre des Lectures Communes septembre-octobre-novembre 2024
Mon avis :
J’aime la littérature coréenne, de même que la littérature japonaise : selon moi, elle est imprégnée d’une atmosphère que nous pouvons ressentir, de paysages que nous pouvons voir, une partie de l’œuvre est communicable ; cependant, il restera toujours une part irréconciliable qui m’échappe, dans la façon de voir les choses. Le paysage en lui-même m’est accessible, mais le regard ne le sera jamais complètement. Et tout en disant cela, je peux dire pourtant que je commence à bien connaître la culture coréenne.
Ainsi ce roman de Eun Hee-kyung : j’ai accompli cette lecture avec plaisir tout du long, tout en constatant que personne n’écrit ainsi en Europe, ou en France. L’intrigue repose sur l’histoire familiale de deux frères « ennemis », depuis l’Occupation japonaise (l’un des secrets est lié du reste au meurtre d’un espion japonais dans la police coréenne) jusqu’à notre époque. Aujourd’hui, Yeongjun et Yeongu se parlent peu, mais ils sont obligés de se retrouver pour vendre la maison paternelle à une mystérieuse héritière (un autre secret). Jeonguk, figure paternelle impressionnante, est mort récemment, et nous voyons les réactions des deux frères à ce décès, la réflexion qu’il implique sur leurs propres accomplissements et le sens de leur vie.
Yeonguk était une figure locale, un entrepreneur dynamique dans la construction, doué pour les affaires – et pour contourner les lois et obtenir les marchés. À travers sa réussite et sa revanche sociale, nous parcourons également l’histoire d’une ville moyenne, K. (province du Jeolla du sud), et finalement toute l’histoire de la Corée du sud, ses régimes autoritaires et répressifs, son développement économique brutal et exagéré. Les habitants de K. ont une particularité : ils se sont toujours davantage complu dans l’opposition, et la vie politique s’en ressent, notamment dans la rivalité qui existe entre deux familles, les Jeong et les Choe.
- Spoiler:
- Jong Yeonguk perdra en raison de cela tout ce statut obtenu à la force du poignet, il fera faillite et devra fuir à Séoul.
Nous suivons surtout les ressentis et perceptions de Yeongjun, qui n’a jamais aimé sa ville natale, et ne se sent pas capable de ressentir grand-chose pour les gens. Il est cinéaste, mais assez marginal dans le circuit, car il réalise des films intellectuels peu goûtés par le grand public. J’ai apprécié les moments où nous le voyons diriger son dernier film, ses interactions étonnantes avec l’actrice du film, et ses deux assistants. Nous comprenons qu’il est peu à peu gagné par le chagrin et tente de se réapproprier ses souvenirs et l’histoire de son père. Sa vie est marquée par la place qu’occupe l’aîné dans une famille aisée – il n’est guère que le réceptacle de l’ambition de ses parents. Yeongu, de son côté, a fait les quatre cents coups, il a fugué, mais il a toujours été reçu comme le véritable enfant prodigue. Yeongjun a vécu sa révolte adolescent, mais elle est restée contenue dans un dernier secret lié à la personnalité introvertie de sa malheureuse cousine Myeongseon, terriblement timide et effrayée par tout, capable de s’extérioriser uniquement dans la danse traditionnelle.
Le roman est jalonné de beaux passages très visuels, la restitution des ambiances est parfaite, bien que celles-ci demeurent souvent ambiguës, indécises. La psychologie des personnages déteint sur leur entourage, mais les personnages secondaires de l’époque actuelle sont peu creusés, ils sont un peu comme des ombres à peine dessinées autour d’eux, comme la ligne de crête des collines au-dessus de la ville, symbole récurrent de ce qu’on voit tous les jours et qu’on oublie. En revanche, le style est très explicatif, peu de scènes sont véritablement suggérées par l’action ou les dialogues, lesquels sont insérés dans le texte sans aucune ponctuation particulière, sinon des points de suspension omniprésents, qui ajoutent encore à cette impression d’indécision et d’irréalité. Je déconseille absolument ce roman à des lecteurs ou lectrices qui n’ont pas de goût pour la contemplation et l’explication magistrale. 3,5/5
Citations :
À la manière d'un auvent cachant le ciel, les collines barraient le regard. De quoi arracher un soupir. La silhouette de ces monts évoquait un groupe de marchands ambulants fatigués, affalés contre leurs ballots, vus en ombres chinoises dans le cadre éclairé d'une fenêtre d'auberge. Ceux qui passaient avaient hâte de repartir. (page 8 )
Dehors, les immeubles s'alignaient les uns derrière les autres. À cette heure-ci, chaque fenêtre abritait la même fatigue, la même inquiétude ou le même soulagement de la journée achevée, et le même perpétuel espoir de bonheur. Bientôt, tout serait plongé dans l'obscurité. Yeongu était l'un de tous ceux-là. Cela faisait dix ans qu'il menait cette vie, mais au fond ce n'était pas sa vie. (page 41)
Doucement, Myeongseon se leva et commença à danser en rythme. Sur le "maru"* déjà plongé dans l'ombre, la tache de son chemisier blanc et de sa jupe indigo glissa et tourna dans une suite de mouvements. La lumière filtrée par la porte éclairait son profil tandis qu'elle allongeait le bras, son regard visant bien sa main dans l'axe de l'épaule. Le rythme s'accéléra, ses jambes pâles tournoyant très vite. Maintenant frénétique, la danse faisait sauter ses nattes.
*salon d'été recouvert de parquet (page 139)
N'avoir plus l'air d'un orphelin depuis que son père est mort, c'est un peu bizarre... en tout cas ça veut dire que je suis normal maintenant. (page 209)
Les ploucs ont un faible pour tout ce qui est nouveau ou sort de l'ordinaire. Ils s'intéressent à beaucoup de choses sans lien ni logique entre elles. Ils sont aussi prompts à s'enthousiasmer qu'à se lasser. Les attroupements les attirent et, influençables, ils achètent toutes sortes de biens inutiles. (page 219)
Tous les paysages à l'harmonie simple avaient disparu. Ainsi de la verdure qui changeait de teinte au cours du jour, d'un groupe de toitures serrées sous un rai de soleil, des champs et rizières où se lisait l'empreinte d'une main attentive ou encore d'une rivière contournant un village. En lieu et place, la modernisation irréfléchie avait donné des simulacres de villes. (page 291)
Écrasant sa cigarette contre le mur, Yeongu prit le temps de réfléchir. Avant d'aborder Yeongjun, toujours prompt à déceler la faille, il lui fallait d'abord prendre un peu d'assurance. (page 310)
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Eun, Hee-kyung] Secrets
Merci pour cette critique, elea.
Même si l'histoire est attrayante de prime abord, ta note et ton "déconseil" ne me donnent pas très envie de me lancer dans cette lecture
Même si l'histoire est attrayante de prime abord, ta note et ton "déconseil" ne me donnent pas très envie de me lancer dans cette lecture
Dulcie- Grand expert du forum
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Re: [Eun, Hee-kyung] Secrets
Dulcie a écrit:Merci pour cette critique, elea.
Même si l'histoire est attrayante de prime abord, ta note et ton "déconseil" ne me donnent pas très envie de me lancer dans cette lecture
Je ne peux pas vraiment le recommander, parce qu'il est un peu fastidieux à lire, et il n'y a pas ou très peu d'action. C'est entièrement construit sur le récit du passé et l'introspection.
elea2020- Grand sage du forum
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Genre littéraire préféré : dystopies et classiques, littérature russe
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Re: [Eun, Hee-kyung] Secrets
Lu dans le cadre de la lecture commune de Septembre, Octobre, Novembre 2024. Pays à l'honneur: la Corée
Mon avis
Celui qui ne possède aucune richesse intérieure n’éprouve aucun goût à vivre et tout lui est indifférent. » (page 215)
Si j’ai vu quelques, très bons, films coréens, je ne me suis jamais penchée sur la littérature de ce pays. L’autrice de Secrets est connue et reconnue, l’occasion était donc là pour une découverte totale de ce roman et de Eun Hee-kyung.
C’est à pas feutrés et avec beaucoup de détails qu’on s’imprègne de cette histoire. L’écriture (bravo aux deux traducteurs) est pointilleuse, précise, « analytique ». Rien n’est laissé au hasard, ni les faits, ni les pensées de chacun. Il faut que le lecteur soit au courant de tout ou presque, je vous rappelle que le titre est « Secrets » avec les tenants et les aboutissants de ce type de situation. Le tout est parfaitement développé pour qu’on ne se perde pas (même si je suis persuadée que certains penseront qu’il aurait fallu « écrémer »).
Yeongjun est réalisateur, il a fui la ville de K. trop terne, pour faire sa vie ailleurs. Son frère, Yeongu, est resté sur place et à la mort de leur père, il reprend contact avec lui. Ils n’ont que peu de liens mais ils vont bien être obligés d’agir ensemble même si l’aîné n’en a pas envie. La tâche qui leur incombe est de vendre la maison où ils ont vécu enfants et de donner l’argent à une inconnue. Mais quelle idée a eu leur paternel dans ses dernières volontés ? Cette demeure en elle-même est une part cachée de leur vie.
Nous arrivons dans la ville de K. que nous voyons par les yeux de Yeongjun, il est assez détaché de ce qu’il examine mais ses ressentis et ses fines observations nous permettent de comprendre comment s’est construit cette cité. On le suit dans ses pensées qui font des allers-retours, qui partent sur une autre voie avant de revenir. Ce n’est pas linéaire donc ce n’est pas aisé à lire mais c’est unique par l’atmosphère qui se dégage. À travers l’histoire de cette famille sur trois générations, c’est aussi l’histoire d’un pays que l’on aperçoit.
Un des personnages s’interroge : « Pourquoi est-ce à moi de porter les secrets des autres depuis plus de trente ans ? »
Qu’en est-il de ces secrets qui unissent et désunissent les familles ? Qui rongent ? Qui changent les relations ? Qui installent suspicion et mensonges ? Au fil des pages, ce qui était tu ou caché se dévoile avant parfois d’être recouvert d’un voile flou.
Pour moi, ce récit ne ressemble en rien à ce que j’ai déjà lu, il se mérite car la construction n’est pas ordinaire. Ce qui est le plus marquant, c’est ce style, parfois épuré pour parler de certains individus qui ont moins d’importance, alors qu’il est infiniment précis pour les principaux protagonistes.
C’est l’histoire d’une famille, d’une ville, d’un pays. Les trois se sont construits, ont quelques fois été détruits, ont rebondi plus ou moins bien, ont été aimés ou détestés mais tous ont grandi, comme le lecteur au contact de ce texte qui le fait sortir de sa zone de confort, qui l’oblige à ouvrir son esprit pour mieux ouvrir son cœur et laisser le phrasé de Eun faire son chemin en nous.
Mon avis
Celui qui ne possède aucune richesse intérieure n’éprouve aucun goût à vivre et tout lui est indifférent. » (page 215)
Si j’ai vu quelques, très bons, films coréens, je ne me suis jamais penchée sur la littérature de ce pays. L’autrice de Secrets est connue et reconnue, l’occasion était donc là pour une découverte totale de ce roman et de Eun Hee-kyung.
C’est à pas feutrés et avec beaucoup de détails qu’on s’imprègne de cette histoire. L’écriture (bravo aux deux traducteurs) est pointilleuse, précise, « analytique ». Rien n’est laissé au hasard, ni les faits, ni les pensées de chacun. Il faut que le lecteur soit au courant de tout ou presque, je vous rappelle que le titre est « Secrets » avec les tenants et les aboutissants de ce type de situation. Le tout est parfaitement développé pour qu’on ne se perde pas (même si je suis persuadée que certains penseront qu’il aurait fallu « écrémer »).
Yeongjun est réalisateur, il a fui la ville de K. trop terne, pour faire sa vie ailleurs. Son frère, Yeongu, est resté sur place et à la mort de leur père, il reprend contact avec lui. Ils n’ont que peu de liens mais ils vont bien être obligés d’agir ensemble même si l’aîné n’en a pas envie. La tâche qui leur incombe est de vendre la maison où ils ont vécu enfants et de donner l’argent à une inconnue. Mais quelle idée a eu leur paternel dans ses dernières volontés ? Cette demeure en elle-même est une part cachée de leur vie.
Nous arrivons dans la ville de K. que nous voyons par les yeux de Yeongjun, il est assez détaché de ce qu’il examine mais ses ressentis et ses fines observations nous permettent de comprendre comment s’est construit cette cité. On le suit dans ses pensées qui font des allers-retours, qui partent sur une autre voie avant de revenir. Ce n’est pas linéaire donc ce n’est pas aisé à lire mais c’est unique par l’atmosphère qui se dégage. À travers l’histoire de cette famille sur trois générations, c’est aussi l’histoire d’un pays que l’on aperçoit.
Un des personnages s’interroge : « Pourquoi est-ce à moi de porter les secrets des autres depuis plus de trente ans ? »
Qu’en est-il de ces secrets qui unissent et désunissent les familles ? Qui rongent ? Qui changent les relations ? Qui installent suspicion et mensonges ? Au fil des pages, ce qui était tu ou caché se dévoile avant parfois d’être recouvert d’un voile flou.
Pour moi, ce récit ne ressemble en rien à ce que j’ai déjà lu, il se mérite car la construction n’est pas ordinaire. Ce qui est le plus marquant, c’est ce style, parfois épuré pour parler de certains individus qui ont moins d’importance, alors qu’il est infiniment précis pour les principaux protagonistes.
C’est l’histoire d’une famille, d’une ville, d’un pays. Les trois se sont construits, ont quelques fois été détruits, ont rebondi plus ou moins bien, ont été aimés ou détestés mais tous ont grandi, comme le lecteur au contact de ce texte qui le fait sortir de sa zone de confort, qui l’oblige à ouvrir son esprit pour mieux ouvrir son cœur et laisser le phrasé de Eun faire son chemin en nous.
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Re: [Eun, Hee-kyung] Secrets
Très belle critique @Cassiopée, c'est vrai que la relation entre les deux frères est touchante, et un peu triste, chacun traîne ses casseroles et ne se sent pas compris par l'autre.
Je suis d'accord pour les personnages secondaires, un peu stylisés.
Je suis d'accord pour les personnages secondaires, un peu stylisés.
elea2020- Grand sage du forum
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Cassiopée- Admin
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