[Tchékhov, Anton] Les Trois soeurs
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[Tchékhov, Anton] Les Trois soeurs
Les Trois soeurs
Anton Tchékhov
Œuvres d'A. Tchékhov, les Editeurs Français Réunis, 1954
(4 pièces : la Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie)
Traduction et présentation Elsa Triolet
Résumé de la pièce :
L’action débute au printemps, dans une petite ville de province, alors que trois sœurs, Olga (28 ans, enseignante dans un lycée de filles), Macha (mariée à Fedor Koulyguine, professeur) et Irina (la plus jeune, qui a 20 ans), se rappellent la mort de leur père l’année précédente (leur mère est morte des années auparavant), et leur départ de Moscou pour cette ville terne et anonyme de province, lorsque leur père a pris le commandement d’une batterie. Elles espèrent repartir prochainement, quand leur frère, André Prosorov, obtiendra une chaire de professeur. Leur plus grand rêve, entretenu avec enthousiasme : repartir à Moscou, sinon toutes les trois, du moins Olga et Irina.
Plusieurs officiers gravitent autour d’elles, invités quasi permanents de la maison : le baron Nicolaï Tousenbach, amoureux d’Irina, le provocateur Vassili Solioni, les deux sous-lieutenants Fedotik et Rode, et Ivan Romanovitch Tcheboutykine, médecin militaire, à présent âgé de 60 ans, toujours avec un journal en main, qui vit à demeure.
Aujourd’hui se présente à elles un nouvel arrivant, Alexandre Verchinine, qui arrive justement de Moscou et les a connues par le passé.
Nous suivrons au cours des quatre actes l’évolution familiale durant cinq ans, et la manière dont la situation matérielle d’André, et son mariage avec Natalia Ivanovna, autrement appelée Natacha, vont impacter fortement la condition des trois sœurs, et bouleverser leurs rêves d’une vie meilleure….
Mon avis sur la pièce :
C’est un gros coup de cœur ! Les quatre actes se situent dans la même villa, et il n’est pas dérangeant que quatre ans se déroulent entre l’acte II et l’acte III, puisque l’unité est essentiellement constituée par la famille des trois sœurs et de leur frère André, et de l’évolution de leur vie personnelle au long de cette pièce.
La pièce est publiée en 1901, et Anton Tchékhov maîtrise de mieux en mieux la construction de l’intrigue, vraiment solide, qui soutient bien l’analyse des caractères et l’instauration des ambiances. Les évocations de scènes d’action sont captivantes, et l'ensemble de la pièce donne un aperçu très complet de la société provinciale russe : l’enseignement, l’administration, le mariage et les enfants, les fêtes, et même des « accidents » plus grands que nature, comme le grand incendie qui se déclenche dans l’acte III, et un duel ; alors que, en raison du genre dramatique, elles se déroulent presque toutes hors scène, et l'on en voit surtout les conséquences.
Pour autant, Tchékhov dépeint aussi à merveille la vie insipide d’une ville de province, manquant d’animation, de culture, voire d’intelligence, ville où s’étiolent les trois sœurs, qui tentent de garder courage en projetant de déménager pour repartir à Moscou, où la vie sera forcément plus palpitante et où leur mérite sera récompensé…
Pour entrer dans le détail sans trop dévoiler l’intrigue, disons que j’ai beaucoup aimé les relations évoquées entre les personnages, à travers le quotidien de la vie domestique d’une famille russe. Tout d’abord, la relation entre le frère et ses sœurs est criante de vérité – le frère est influencé par sa femme et en vient à prendre des décisions financières sans en parler à ses soeurs, mais il sait qu’elles lui en veulent et il se sent coupable. De leur côté, les trois sœurs le critiquent régulièrement, et se moquent de son épouse.
Les rapports entre André et sa femme Natacha sont également intéressants : une fois marié, André s’ennuie, et ne s’entend plus avec sa femme, laquelle a reporté toute son affection sur ses enfants, sur qui elle s’extasie la plupart du temps. Il est fréquent de voir passer André dans le IIe acte, poussant une voiture d’enfant d’un bout à l’autre de la pièce, tandis que Natacha se préoccupe de faire taire tout le monde et d’empêcher le déroulement de fêtes à la maison. D’une manière assez mesquine, elle redessine la répartition des chambres, accapare par exemple la chambre d’Irina pour y mettre ses enfants, puis cherche à prendre le pouvoir dans la maison, comme en témoigne une dispute avec Olga, à propos de la vieille domestique Anfissa. Toutefois, elle finit par passer à autre chose et à tromper délibérément son mari, et l’entente du couple ne tarde pas à se fissurer totalement ; André commence à perdre pied dans sa vie et à mal tourner.
Le couple de Macha et Fedor Koulyguine suit un peu le même schéma, mais le personnage de Fedor est touchant d’une certaine manière et un peu ridicule, par sa grande gentillesse et une volonté manifeste de s’aveugler en ne retenant que le positif, même lorsque Macha le chasse ouvertement de la maison, où elle reste dormir avec ses sœurs. Pour sa part, on le voit souvent passer dans les pièces en appelant Macha, surpris de ne pas la trouver, tandis que celle-ci éprouve de tendres sentiments pour un autre homme de leur entourage…
Cette fois, le point de vue alterne selon les personnages à qui Tchékhov confie des tirades importantes ; toutefois, c’est encore un médecin qui interprète la lucidité désespérée et une forme de conscience collective. En effet, Ivan Tcheboutykine, sous l’effet de l’alcool, finit par révéler certaines vérités dans les derniers actes, au moment où les personnages font le point sur l’évolution de leur vie par rapport à leurs rêves du début de la pièce, et leurs perspectives se concluent sur un horizon bouché par la tragédie, notamment pour Irina. C’est ici que l’on peut se faire la réflexion que Tchékhov devient le chroniqueur d’une société finissante, rattrapée par l’inutilité, voire le parasitisme de la bourgeoisie. On est toutefois moins dans la critique « fin de siècle », que dans l’espoir d’une nouvelle société à venir, pour laquelle il faudrait travailler dès aujourd’hui.
« Nous y voilà, quelque chose d’énorme s’est mis en mouvement, il se prépare un bon et formidable orage, il s’avance, il est déjà tout près, et il va bientôt souffler sur notre société et balayer la paresse, l’indifférence, la pourriture de l’ennui, les préjugés contre le travail. Moi, je travaillerai, mais dans 25 ou 30 ans au plus, chaque homme travaillera. Chaque homme ! » (Tousenbach, acte I)
« Dans deux ou trois cents ans, ou même mille ans – il ne s’agit pas de préciser – il y aura une vie nouvelle, heureuse. Nous n’aurons point de part à cette vie, bien sûr, mais c’est pour elle que nous vivons aujourd’hui, que nous travaillons, et, quoique nous souffrions, nous la créons ; et c’est là le seul but de notre existence, et, si vous voulez, de notre bonheur. » (Verchinine, acte II)
Anton Tchékhov
Œuvres d'A. Tchékhov, les Editeurs Français Réunis, 1954
(4 pièces : la Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie)
Traduction et présentation Elsa Triolet
Résumé de la pièce :
L’action débute au printemps, dans une petite ville de province, alors que trois sœurs, Olga (28 ans, enseignante dans un lycée de filles), Macha (mariée à Fedor Koulyguine, professeur) et Irina (la plus jeune, qui a 20 ans), se rappellent la mort de leur père l’année précédente (leur mère est morte des années auparavant), et leur départ de Moscou pour cette ville terne et anonyme de province, lorsque leur père a pris le commandement d’une batterie. Elles espèrent repartir prochainement, quand leur frère, André Prosorov, obtiendra une chaire de professeur. Leur plus grand rêve, entretenu avec enthousiasme : repartir à Moscou, sinon toutes les trois, du moins Olga et Irina.
Plusieurs officiers gravitent autour d’elles, invités quasi permanents de la maison : le baron Nicolaï Tousenbach, amoureux d’Irina, le provocateur Vassili Solioni, les deux sous-lieutenants Fedotik et Rode, et Ivan Romanovitch Tcheboutykine, médecin militaire, à présent âgé de 60 ans, toujours avec un journal en main, qui vit à demeure.
Aujourd’hui se présente à elles un nouvel arrivant, Alexandre Verchinine, qui arrive justement de Moscou et les a connues par le passé.
Nous suivrons au cours des quatre actes l’évolution familiale durant cinq ans, et la manière dont la situation matérielle d’André, et son mariage avec Natalia Ivanovna, autrement appelée Natacha, vont impacter fortement la condition des trois sœurs, et bouleverser leurs rêves d’une vie meilleure….
Mon avis sur la pièce :
C’est un gros coup de cœur ! Les quatre actes se situent dans la même villa, et il n’est pas dérangeant que quatre ans se déroulent entre l’acte II et l’acte III, puisque l’unité est essentiellement constituée par la famille des trois sœurs et de leur frère André, et de l’évolution de leur vie personnelle au long de cette pièce.
La pièce est publiée en 1901, et Anton Tchékhov maîtrise de mieux en mieux la construction de l’intrigue, vraiment solide, qui soutient bien l’analyse des caractères et l’instauration des ambiances. Les évocations de scènes d’action sont captivantes, et l'ensemble de la pièce donne un aperçu très complet de la société provinciale russe : l’enseignement, l’administration, le mariage et les enfants, les fêtes, et même des « accidents » plus grands que nature, comme le grand incendie qui se déclenche dans l’acte III, et un duel ; alors que, en raison du genre dramatique, elles se déroulent presque toutes hors scène, et l'on en voit surtout les conséquences.
Pour autant, Tchékhov dépeint aussi à merveille la vie insipide d’une ville de province, manquant d’animation, de culture, voire d’intelligence, ville où s’étiolent les trois sœurs, qui tentent de garder courage en projetant de déménager pour repartir à Moscou, où la vie sera forcément plus palpitante et où leur mérite sera récompensé…
Pour entrer dans le détail sans trop dévoiler l’intrigue, disons que j’ai beaucoup aimé les relations évoquées entre les personnages, à travers le quotidien de la vie domestique d’une famille russe. Tout d’abord, la relation entre le frère et ses sœurs est criante de vérité – le frère est influencé par sa femme et en vient à prendre des décisions financières sans en parler à ses soeurs, mais il sait qu’elles lui en veulent et il se sent coupable. De leur côté, les trois sœurs le critiquent régulièrement, et se moquent de son épouse.
Les rapports entre André et sa femme Natacha sont également intéressants : une fois marié, André s’ennuie, et ne s’entend plus avec sa femme, laquelle a reporté toute son affection sur ses enfants, sur qui elle s’extasie la plupart du temps. Il est fréquent de voir passer André dans le IIe acte, poussant une voiture d’enfant d’un bout à l’autre de la pièce, tandis que Natacha se préoccupe de faire taire tout le monde et d’empêcher le déroulement de fêtes à la maison. D’une manière assez mesquine, elle redessine la répartition des chambres, accapare par exemple la chambre d’Irina pour y mettre ses enfants, puis cherche à prendre le pouvoir dans la maison, comme en témoigne une dispute avec Olga, à propos de la vieille domestique Anfissa. Toutefois, elle finit par passer à autre chose et à tromper délibérément son mari, et l’entente du couple ne tarde pas à se fissurer totalement ; André commence à perdre pied dans sa vie et à mal tourner.
Le couple de Macha et Fedor Koulyguine suit un peu le même schéma, mais le personnage de Fedor est touchant d’une certaine manière et un peu ridicule, par sa grande gentillesse et une volonté manifeste de s’aveugler en ne retenant que le positif, même lorsque Macha le chasse ouvertement de la maison, où elle reste dormir avec ses sœurs. Pour sa part, on le voit souvent passer dans les pièces en appelant Macha, surpris de ne pas la trouver, tandis que celle-ci éprouve de tendres sentiments pour un autre homme de leur entourage…
Cette fois, le point de vue alterne selon les personnages à qui Tchékhov confie des tirades importantes ; toutefois, c’est encore un médecin qui interprète la lucidité désespérée et une forme de conscience collective. En effet, Ivan Tcheboutykine, sous l’effet de l’alcool, finit par révéler certaines vérités dans les derniers actes, au moment où les personnages font le point sur l’évolution de leur vie par rapport à leurs rêves du début de la pièce, et leurs perspectives se concluent sur un horizon bouché par la tragédie, notamment pour Irina. C’est ici que l’on peut se faire la réflexion que Tchékhov devient le chroniqueur d’une société finissante, rattrapée par l’inutilité, voire le parasitisme de la bourgeoisie. On est toutefois moins dans la critique « fin de siècle », que dans l’espoir d’une nouvelle société à venir, pour laquelle il faudrait travailler dès aujourd’hui.
« Nous y voilà, quelque chose d’énorme s’est mis en mouvement, il se prépare un bon et formidable orage, il s’avance, il est déjà tout près, et il va bientôt souffler sur notre société et balayer la paresse, l’indifférence, la pourriture de l’ennui, les préjugés contre le travail. Moi, je travaillerai, mais dans 25 ou 30 ans au plus, chaque homme travaillera. Chaque homme ! » (Tousenbach, acte I)
« Dans deux ou trois cents ans, ou même mille ans – il ne s’agit pas de préciser – il y aura une vie nouvelle, heureuse. Nous n’aurons point de part à cette vie, bien sûr, mais c’est pour elle que nous vivons aujourd’hui, que nous travaillons, et, quoique nous souffrions, nous la créons ; et c’est là le seul but de notre existence, et, si vous voulez, de notre bonheur. » (Verchinine, acte II)
Dernière édition par elea2020 le Jeu 16 Jan 2020 - 15:29, édité 3 fois (Raison : oubli du sondage)
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