[Tchekhov, Anton] La Mouette
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[Tchekhov, Anton] La Mouette
La Mouette
Anton Tchekhov
Théâtre
Editions Le Livre de Poche
Quatrième de couverture
"Je suis une mouette. Non, ce n'est pas ça... Vous vous souvenez, vous avez tiré une mouette ? Survient un homme, il la voit, et, pour passer le temps, il la détruit... Un sujet de petite nouvelle... Ce n'est pas ça... (Elle se passe la main sur le front.) De quoi est-ce que je ?... Je parle de la scène. Maintenant, je ne suis déjà plus... Je suis déjà une véritable actrice, je joue avec bonheur, avec exaltation, la scène m'enivre et je me sens éblouissante. Et maintenant, depuis que je suis ici, je sors tout le temps marcher, je marche et je réfléchis, je réfléchis et je sens que, de jour en jour, mes forces spirituelles grandissent..."
Mon regard
« Il faut mettre sa peau sur la table, sinon vous n’obtenez rien ! »
Vous vous rappelez sûrement cette archive vidéo dans « La Grande Librairie » où Céline, entre deux « n’est-ce pas » surannés, expulse comme une grogne ce que tout artiste doit s’appliquer à lui-même : « Il faut mettre sa peau sur la table, sinon vous n’obtenez rien ! ». Eh bien c’est qu’a fait Tchekhov. Tout ! Il a tout sacrifié pour son œuvre, jusqu’à lui-même. Croyez-moi, je ne cherche ni à faire le phraseur ni à vous chatouiller les lacrymales mais au sortir d’un livre bouleversant nous avons eu tous envie une fois de nous rapprocher de l’auteur en fouillant sa bio. Or bien souvent, leur vie laisse sans voix. Tant d’abnégation pour la recherche du mot, de la note, de la scène juste suscite vertige et respect. Respect pour la démesure christique de la chose. Vertige devant le vide (souvent du cœur) qu’ils s’imposent et qu’ils s’acharnent à combler par l’écrit, par des sons, des couleurs. Mais revenons à notre mouette.
La mouette, c’est Nina. Jeune actrice sans talent qui rêve de devenir célèbre. On dit qu’il faut naître, s’envoler et disparaître sans bruit, l’envol demeurant une tentative trop souvent couronnée d’échecs pour certains, Nina n’a pas trouvé d’autre moyen d’élévation que le rêve et l’introspection. C’est une mouette dans le brouillard, Nina. Elle vit chaque seconde avec la peur de s’aplatir le bec contre un mur. Treplev aime Nina. Lui, c’est un jeune auteur de théâtre sans talent qui rêve de peindre la vie mieux, cent fois mieux que cette province russe endormie, cette maison sans âme, ces journées dans le parc brûlées en plates conversations, et plat aussi ce lac, qui renvoie trait pour trait l’ensemble comme une humiliation. La mort lente, quoi. Et quand bien même le vent ou une pierre viendrait ajouter des rides à la surface, Treplev s’en fiche, il ne voit son reflet ni dans l’eau ni dans les yeux de Nina ; elle ne l’aime pas. Elle, c’est Trigorine qu'elle admire. Trigorine, c’est un auteur à succès sans talent qui rêve de pêche à la ligne plutôt que de chasse à la mouette. Et Nina, comme tout animal ou insecte volant, se sent plus attirée par la vanité-lumière d’un Trigorine, l’art pour l’art, la quête d’absolu, tout ça l’ennuie à un point ! Et Treplev est malheureux. Un jour, près du vieux tilleul, il se présente à elle avec une proie de chasse et la dépose à ses pieds. Qu’est-ce que cela signifie ? – dit-elle – Pourquoi le corps de cette mouette, Treplev, encore chaude ? Il s’explique mais elle ne retient que le macabre de son geste. En plus de l’horrifier, de l’ennuyer, ce qui l’agace le plus chez Treplev, c’est la manie qu’il a de vouloir s’exprimer toujours par des symboles qu’elle ne comprend pas. Très mauvais effet ; Treplev a semble-t-il tué tout espoir de se faire un jour aimer d’elle, d’ailleurs, n’est-ce pas ce qu’il voulait obtenir de cette scène ? N’a-t-il pas délibérément recherché l’affront ? Peut-être s’est-il dit qu’il aurait enfin quelque chose à raconter après ça. « Il faut mettre sa peau sur la table, sinon vous n’obtenez rien ! » Oui mais ça ne marche pas dans son cas. Lui c‘est par l’entremise d’un oiseau sans défense qu’il s’est mis à nu. Et puis la mouette, de toute façon, c’est Nina. Alors ? Que voir dans ce symbole ?... (Je n’en dirai pas plus.)
Sur Anton Tchekhov, que dire sans risquer de sauter à pieds joints dans le lieu commun… Oui, c’est un grand peintre de la nature humaine. Oui, c’est un immense conteur. Avec près de 600 nouvelles à son catalogue, c’est une chance qu’il soit passé au théâtre, l’écriture dramatique quand on vient du roman ou de la nouvelle y gagne toujours (Giraudoux, Vinaver, Beckett). Un style épuré, sans ornements, qui prend la peine de laisser entendre les harmoniques et dont beaucoup se réclament encore aujourd’hui. En relisant la pièce, j’ai pensé à Sagan ; son Château en Suède reprend les thématiques tchekhoviennes avec le même type de personnages englués dans l’oisiveté, rongés de peur et d’ennui, des ombres qui se contentent de regarder défiler les secondes en parlant au passé, en rêvant leur vie sans plus la vivre ; il y a même carrément allusion directe à La Mouette avec une scène d’oiseau tué par amour, chez Sagan une sarcelle bleue.
Voilà. Une de ces oeuvres qui au même titre que les poumons, le foie, le cœur, font partie de notre corps. Elle est déjà en vous. Après lecture vous la sentirez vivre, vous la sentirez battre.
Dernière édition par antibiok le Mer 16 Mar 2011 - 19:59, édité 2 fois (Raison : italique)
Invité- Invité
Re: [Tchekhov, Anton] La Mouette
Belle critique écrite avec le coeur
Dernière édition par Voyager-en-lecture le Dim 13 Mar 2011 - 21:37, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: [Tchekhov, Anton] La Mouette
moi qui ne suis pas initiée au théâtre, qui le connais fort mal, et qui par conséquent n'en lis pas ( souvenirs douloureux d'école...et oui, avec la poésie c'était mon calvaire) et qui n'ose pas aller à sa rencontre...et bien tu me donnerais envie d'aller y jeter un œil
Invité- Invité
Re: [Tchekhov, Anton] La Mouette
Grâce à vous, je ne dirai plus que dimanche est le jour le plus terne de la semaine.
Merci Mina ! Merci Vel ! Merci mimi !
Merci Mina ! Merci Vel ! Merci mimi !
Invité- Invité
Re: [Tchekhov, Anton] La Mouette
La Mouette, Anton Tchékhov
Œuvres d'A. Tchékhov, les Editeurs Français Réunis, 1954
(4 pièces : la Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie)
Traduction et présentation Elsa Triolet
(Je refais une présentation, car je lis une édition un peu particulière.)
La quatrième de couverture ne comportant pas de résumé, voici la description de sa pièce par l'auteur :
«C'est une comédie : trois rôles de femmes, six rôles d'hommes, quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de conversations littéraires, peu d'action, cent kilos d'amour.»
Mon avis sur la pièce :
Quoi qu'en dise Tchékhov lui-même, la pièce ne respecte guère d'unité : ni de lieu (certes, il y a le lac, mais on se trouve tantôt à l'intérieur tantôt à l'extérieur de la demeure, avec des entrées de personnages faisant qu'on visualise deux espaces différents dans un même lieu scénique), ni de temps (il se passe deux ans entre l'acte III et l'acte IV).
Les personnages sont assez resserrés, ils ont des liens entre eux, et vivent dans le même périmètre. J'ai toutefois eu du mal à m'y retrouver, puisque chacun(e) aimait une personne qui en aimait une autre, sans que cela ne soit un vaudeville, mais plutôt un drame "bourgeois" (les personnages s'y traitent d'ailleurs de "petits-bourgeois de Kiev"). Il s'agit de riches oisifs, retirés à la campagne, qui s'ennuient et cherchent à meubler leur vie, soit pour oublier le temps qui a passé, parfois sans avoir vécu, ou les perspectives d'une vie étriquée, sans réaliser ses aspirations, personnelles ou artistiques.
Au début de la pièce, les jeunes s'opposent aux vieux : Constantin représente une pièce qu'il a créée, sans êtres vivants, sur un théâtre extérieur dans le jardin avec vue sur le lac. Il veut des formes nouvelles, de l'absolu, et fait jouer son rôle principal et unique à la jeune fille qu'il aime, Nina. Mais sa pièce est interrompue par sa mère, actrice connue qui n'apprécie guère qu'une autre qu'elle soit la vedette de leur petit microcosme. La mère, Irina, a un personnage peu sympathique, plutôt narcissique et égoïste, obsédée par son âge et son apparence, et s'occupant bien plus de séduire l'écrivain (médiocre) Trigorine qu'elle n'accorde d'attention à son fils. Ils arrivent tout de même à se parler par répliques de Hamlet interposées, et l'on sent que le choix n'est pas innocent.
Le frère d'Irina, Piotr, est plus plaisant et humain, mais malade, son état décline au fil de la pièce. Il reste impuissant à éviter le drame qu'il est le seul à pressentir.
Autour d'eux, des personnages servent de témoins, de près ou de loin, au drame qui se noue et qui décidera du destin de la jeune Nina, qui se laisse prendre au mirage de la célébrité, et rêve de devenir actrice.
Il me semble que les personnages représentent des attitudes face à la vie, des choix, si l'on peut dire, car nombre de leurs choix semblent faits par défaut, par dépit, plus que par une volonté réelle - par exemple, faire un mariage de raison avec un instituteur pauvre parce qu'on en aime un autre qui ne vous aime pas, puis mépriser et ne plus supporter l'homme qu'on a ainsi choisi. Aucun des personnages ne me paraît avoir de passions solides, ils se trompent de voie, n'ont pas de talent ou commettent de graves erreurs d'appréciation par aveuglement sur les autres. Leurs sentiments paraissent mesquins et terre-à-terre, seul le désespoir qui se laisse entrevoir est sincère.
Je me suis surprise à me demander comment l'on pouvait bien représenter ce lac sur les décors. La récurrence du lieu en fait presque une abstraction, de même que le motif de la mouette, auquel s'identifie à plusieurs reprises Nina.
Personne ne sort grandi de la vision de l'auteur, mais c'est une pièce qui fait réfléchir sur la vie, l'art, les apparences, et qui est plus profonde qu'il n'y paraît au premier abord. Je pense qu'elle fait partie des œuvres qu'on peut relire avec profit.
Œuvres d'A. Tchékhov, les Editeurs Français Réunis, 1954
(4 pièces : la Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie)
Traduction et présentation Elsa Triolet
(Je refais une présentation, car je lis une édition un peu particulière.)
La quatrième de couverture ne comportant pas de résumé, voici la description de sa pièce par l'auteur :
«C'est une comédie : trois rôles de femmes, six rôles d'hommes, quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de conversations littéraires, peu d'action, cent kilos d'amour.»
Mon avis sur la pièce :
Quoi qu'en dise Tchékhov lui-même, la pièce ne respecte guère d'unité : ni de lieu (certes, il y a le lac, mais on se trouve tantôt à l'intérieur tantôt à l'extérieur de la demeure, avec des entrées de personnages faisant qu'on visualise deux espaces différents dans un même lieu scénique), ni de temps (il se passe deux ans entre l'acte III et l'acte IV).
Les personnages sont assez resserrés, ils ont des liens entre eux, et vivent dans le même périmètre. J'ai toutefois eu du mal à m'y retrouver, puisque chacun(e) aimait une personne qui en aimait une autre, sans que cela ne soit un vaudeville, mais plutôt un drame "bourgeois" (les personnages s'y traitent d'ailleurs de "petits-bourgeois de Kiev"). Il s'agit de riches oisifs, retirés à la campagne, qui s'ennuient et cherchent à meubler leur vie, soit pour oublier le temps qui a passé, parfois sans avoir vécu, ou les perspectives d'une vie étriquée, sans réaliser ses aspirations, personnelles ou artistiques.
Au début de la pièce, les jeunes s'opposent aux vieux : Constantin représente une pièce qu'il a créée, sans êtres vivants, sur un théâtre extérieur dans le jardin avec vue sur le lac. Il veut des formes nouvelles, de l'absolu, et fait jouer son rôle principal et unique à la jeune fille qu'il aime, Nina. Mais sa pièce est interrompue par sa mère, actrice connue qui n'apprécie guère qu'une autre qu'elle soit la vedette de leur petit microcosme. La mère, Irina, a un personnage peu sympathique, plutôt narcissique et égoïste, obsédée par son âge et son apparence, et s'occupant bien plus de séduire l'écrivain (médiocre) Trigorine qu'elle n'accorde d'attention à son fils. Ils arrivent tout de même à se parler par répliques de Hamlet interposées, et l'on sent que le choix n'est pas innocent.
Le frère d'Irina, Piotr, est plus plaisant et humain, mais malade, son état décline au fil de la pièce. Il reste impuissant à éviter le drame qu'il est le seul à pressentir.
Autour d'eux, des personnages servent de témoins, de près ou de loin, au drame qui se noue et qui décidera du destin de la jeune Nina, qui se laisse prendre au mirage de la célébrité, et rêve de devenir actrice.
Il me semble que les personnages représentent des attitudes face à la vie, des choix, si l'on peut dire, car nombre de leurs choix semblent faits par défaut, par dépit, plus que par une volonté réelle - par exemple, faire un mariage de raison avec un instituteur pauvre parce qu'on en aime un autre qui ne vous aime pas, puis mépriser et ne plus supporter l'homme qu'on a ainsi choisi. Aucun des personnages ne me paraît avoir de passions solides, ils se trompent de voie, n'ont pas de talent ou commettent de graves erreurs d'appréciation par aveuglement sur les autres. Leurs sentiments paraissent mesquins et terre-à-terre, seul le désespoir qui se laisse entrevoir est sincère.
Je me suis surprise à me demander comment l'on pouvait bien représenter ce lac sur les décors. La récurrence du lieu en fait presque une abstraction, de même que le motif de la mouette, auquel s'identifie à plusieurs reprises Nina.
Personne ne sort grandi de la vision de l'auteur, mais c'est une pièce qui fait réfléchir sur la vie, l'art, les apparences, et qui est plus profonde qu'il n'y paraît au premier abord. Je pense qu'elle fait partie des œuvres qu'on peut relire avec profit.
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